Par un arrêt en date du 13 mars 2025, la cour administrative d’appel de Toulouse s’est prononcée sur les modalités de la preuve incombant au contribuable dans le cadre d’une procédure de taxation d’office. En l’espèce, une société exploitant un bar musical a fait l’objet d’une taxation d’office à l’impôt sur les sociétés pour l’exercice clos en 2014, en raison d’un défaut de déclaration de ses résultats dans le délai légal. L’administration fiscale avait alors reconstitué son chiffre d’affaires et ses charges à partir des éléments comptables partiels qui lui avaient été communiqués.
La société a contesté cette imposition devant le tribunal administratif de Montpellier, qui a rejeté sa demande. La cour administrative d’appel de Toulouse a confirmé ce jugement une première fois, mais sa décision a été annulée par le Conseil d’État qui lui a renvoyé l’affaire. La société soutenait principalement que la méthode de reconstitution retenue par l’administration était sommaire et que sa propre comptabilité, refaite pour l’occasion, démontrait le caractère excessif de l’imposition. La question de droit posée à la cour était donc de déterminer si les éléments produits par le contribuable, consistant en une comptabilité reconstituée a posteriori et divers justificatifs de charges, étaient de nature à renverser la présomption d’exactitude de l’imposition établie d’office.
La cour administrative d’appel de Toulouse a rejeté la requête, considérant que la société ne rapportait pas la preuve, qui lui incombait, du caractère exagéré de l’imposition. Elle juge que les critiques adressées à la méthode de l’administration ne suffisent pas à en démontrer l’invalidité et que les charges nouvellement invoquées par la société ne sont pas justifiées avec la rigueur requise.
Cette décision réaffirme la rigueur des obligations probatoires pesant sur le contribuable taxé d’office (I), tout en procédant à un examen méticuleux et souverain des justifications produites pour contester le montant de l’imposition (II).
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I. La confirmation des exigences probatoires renforcées du contribuable taxé d’office
La solution retenue par la cour administrative d’appel s’inscrit dans le cadre strict du régime de la taxation d’office, lequel impose un renversement de la charge de la preuve au détriment du contribuable (A). Face à cette exigence, la simple critique de la méthode suivie par l’administration fiscale se révèle insuffisante (B).
A. Le principe du renversement de la charge de la preuve
La cour rappelle d’emblée le fondement de sa décision en visant les articles L. 193 et R. 193-1 du livre des procédures fiscales. Ces dispositions posent clairement le principe selon lequel, en matière de taxation d’office, « la charge de la preuve incombe au contribuable qui demande la décharge ou la réduction de l’imposition ». Le contribuable doit ainsi « démontrer son caractère exagéré ». Cette règle déroge au principe général selon lequel la charge de la preuve d’un rehaussement pèse sur l’administration. La sanction de la négligence du contribuable, qui n’a pas respecté ses obligations déclaratives, se traduit par une position procédurale nettement moins favorable. Le juge de l’impôt se montre constant dans l’application de cette règle, qui vise à ne pas faire peser sur la collectivité les conséquences de la défaillance d’un contribuable. L’arrêt commenté illustre que cette exigence n’est pas une simple clause de style, mais le pivot du raisonnement du juge lorsqu’il est saisi d’une telle contestation.
B. L’inefficacité d’une critique de la méthode administrative
Pour tenter de prouver le caractère exagéré de l’imposition, la société requérante soutenait que la méthode de reconstitution employée par le service vérificateur était « excessivement sommaire ». Elle mettait en avant des incohérences apparentes, telles que des fichiers comptables incomplets, l’absence de prise en compte d’amortissements ou un montant négatif de charges sociales. Cependant, la cour écarte ces arguments en jugeant que de telles circonstances « ne suffisent pas à établir que la ‘méthode’ choisie par l’administration pour ‘reconstituer’ ses recettes aurait abouti à des résultats incohérents ou inexacts ». Cette approche confirme une jurisprudence bien établie : il ne suffit pas pour le contribuable de relever les imperfections de la reconstitution opérée par l’administration, laquelle doit souvent travailler à partir de données parcellaires fournies par le contribuable lui-même. Le requérant doit aller au-delà de la critique formelle de la méthode et apporter la preuve positive que le *résultat* de cette méthode est effectivement exagéré, ce qui suppose de présenter des éléments chiffrés probants.
Le rejet de ce premier moyen conduit logiquement la cour à examiner la comptabilité alternative proposée par la société, inaugurant ainsi la seconde phase de son raisonnement, fondée sur une appréciation concrète des preuves.
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II. L’appréciation souveraine et rigoureuse des justifications comptables
Après avoir écarté la critique de principe, la cour se livre à une analyse détaillée des éléments produits par la société. Elle rejette les charges non comptabilisées en temps utile (A) et procède à une analyse globale qui conforte le bien-fondé de l’imposition initiale (B).
A. Le rejet des charges non justifiées ou tardivement comptabilisées
La société produisait une comptabilité reconstituée par un expert-comptable, incluant des charges supplémentaires significatives. La cour procède à un examen minutieux de chaque catégorie de charge. Concernant les amortissements, elle les écarte au motif qu’ils « ne peuvent être regardés comme ayant été réellement effectués, au sens du 2° du 1 de l’article 39 du code général des impôts, dès lors qu’ils n’avaient pas été inscrits dans la comptabilité avant l’expiration du délai imparti ». Cette position est une application orthodoxe du principe de rattachement des charges à l’exercice et de l’intangibilité du bilan d’ouverture. De même, la cour rejette de nombreuses autres charges externes faute de justifications suffisantes. Elle estime que « la simple production de justificatifs d’hébergement, de réservations de billets d’avion et de train et de tickets de carte bancaire » ne suffit pas à « établir la réalité des déplacements, séjours et frais correspondants et leur intérêt pour l’exploitation ». Le même raisonnement est appliqué aux factures aux libellés imprécis, aux contrats non signés ou encore aux quittances de loyer insuffisamment détaillées. Cette analyse démontre le haut niveau de preuve exigé par le juge fiscal, qui ne se contente pas de pièces formelles mais en scrute le contenu pour vérifier la réalité, le montant et le rattachement de la dépense à l’intérêt de l’entreprise.
B. L’analyse comparative invalidant la démonstration du caractère exagéré
Le raisonnement de la cour ne s’arrête pas à un rejet successif des différentes charges. Elle procède à une mise en perspective globale des données, comparant la comptabilité reconstituée par la société avec les chiffres retenus par l’administration. Il en ressort des éléments paradoxaux qui affaiblissent la position de la requérante. La cour relève ainsi que le montant des recettes dans la comptabilité reconstituée est supérieur à celui retenu par le service vérificateur. Plus encore, elle calcule que cet excédent de recettes de 86 283 euros est supérieur au cumul des nouvelles charges qui pourraient éventuellement être considérées comme justifiées. Dans ces conditions, même en admettant une partie des prétentions de la société, le résultat imposable ne serait pas inférieur à celui fixé par l’administration. Par cette analyse comparative, la cour démontre par l’absurde que la société échoue dans sa mission de prouver le caractère « exagéré » du bénéfice imposable. Le juge conclut donc que la société « n’apporte pas la preuve, qui lui incombe (…) du caractère exagéré du bénéfice imposable ».