Par un arrêt en date du 15 avril 2025, la cour administrative d’appel de Toulouse s’est prononcée sur la légalité d’un refus de titre de séjour opposé à des ressortissants étrangers en situation irrégulière, parents d’enfants scolarisés sur le territoire national. En l’espèce, deux individus, entrés en France en 2012 accompagnés de leurs enfants, avaient vu leurs demandes d’asile définitivement rejetées en 2016. Ayant fait l’objet de premières mesures d’éloignement en 2017 auxquelles ils ne s’étaient pas conformés, ils ont sollicité en 2021 leur admission exceptionnelle au séjour. Le préfet a rejeté leur demande par des arrêtés du 30 décembre 2022, leur faisant obligation de quitter le territoire. Saisi par les intéressés, le tribunal administratif de Montpellier a confirmé ces décisions par un jugement du 6 juin 2023. Les requérants ont alors interjeté appel de ce jugement, invoquant notamment l’ancienneté de leur séjour, leur intégration et la scolarisation de leurs enfants pour faire valoir une atteinte disproportionnée à leur droit au respect de la vie privée et familiale garanti par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Ils contestaient également la régularité de la procédure suivie. Se posait donc à la cour la question de savoir si le refus d’autoriser le séjour, opposé à des parents d’enfants scolarisés en France mais dont la présence sur le territoire est précaire et émaillée d’infractions, constitue une ingérence disproportionnée dans leur vie privée et familiale. La cour administrative d’appel rejette la requête, considérant que la décision préfectorale n’a pas porté une atteinte excessive au droit au respect de la vie privée et familiale des requérants au regard des circonstances de l’espèce, et notamment de la menace pour l’ordre public que représentait leur maintien sur le territoire.
L’analyse des juges d’appel se fonde sur une appréciation rigoureuse des conditions du séjour des étrangers, où la réalité de l’intégration est confrontée à la précarité du maintien sur le territoire (I). Cette approche conduit la cour à faire prévaloir les impératifs de l’ordre public sur les attaches familiales développées en France (II).
I. L’appréciation restrictive de l’intégration face à la précarité du séjour
La cour administrative d’appel examine les éléments d’intégration personnelle et familiale invoqués par les requérants, mais en neutralise la portée en les opposant à la fragilité de leur situation administrative. Elle valide ainsi une méthode d’appréciation où la durée de la présence ne suffit pas à établir un droit au séjour (A), tout en écartant les arguments procéduraux qui auraient pu vicier la décision du préfet (B).
A. La neutralisation des liens privés et familiaux par l’irrégularité du maintien en France
Les requérants mettaient en avant une présence de plus de dix ans en France, la scolarisation de leurs enfants et la naissance d’un troisième sur le territoire national pour attester de l’intensité de leurs liens. La cour prend acte de ces éléments mais les met aussitôt en balance avec les conditions de leur séjour. Elle relève que « la durée de présence en France dont se prévalent les appelants est uniquement liée au délai d’instruction de leurs demandes de protection internationale et à leur refus d’exécuter une précédente mesure d’éloignement ». Ce faisant, le juge administratif refuse de conférer une valeur positive à une présence prolongée qui résulte non pas d’une démarche d’intégration légale, mais du contournement des règles relatives au séjour. L’intensité des liens familiaux est ainsi relativisée par le caractère précaire et irrégulier de leur existence. La cour souligne que les intéressés ne produisent pas « d’élément précis et circonstancié de nature à caractériser l’ancienneté, la stabilité et l’intensité des liens privés et familiaux qu’ils auraient développés en France ». Cette position réaffirme que le seul écoulement du temps, lorsqu’il est le produit d’une situation illicite, ne saurait créer un droit acquis au séjour.
B. Le rejet des moyens procéduraux et tirés du droit international
Afin de conforter la légalité de la décision préfectorale, la cour écarte également les autres moyens soulevés. S’agissant du défaut de saisine de la commission du titre de séjour, le juge rappelle la stricte portée des dispositions du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Il précise que l’administration n’est tenue de consulter cet organisme que lorsque l’étranger remplit effectivement les conditions de délivrance du titre sollicité. Or, en l’espèce, les requérants n’apportaient pas la preuve d’une résidence habituelle et continue de dix ans. La cour note que les justificatifs fournis « ne sont pas diversifiés et ne comportent aucun élément de domiciliation, ce qui permet d’en limiter la force probante ». Quant aux stipulations de la convention internationale relative aux droits de l’enfant, la cour les juge inopérantes, estimant qu’elles « créent seulement des obligations entre États sans ouvrir de droits aux intéressés ». Cette approche classique, qui refuse l’effet direct à certaines dispositions de traités internationaux, permet de purger le raisonnement de toute considération extérieure au strict bilan entre l’intégration de la famille et les manquements au droit du séjour. La légalité externe et interne de la décision étant ainsi établie, la cour peut se concentrer sur l’élément déterminant de son appréciation.
II. La prévalence de l’ordre public sur l’intérêt supérieur de l’enfant
La décision commentée se distingue par le poids qu’elle accorde à la menace pour l’ordre public, qui devient un motif central du refus de séjour. Cette considération supplante les autres éléments du dossier (A) et conduit à une application rigoureuse du principe de la reconstitution de la vie familiale hors de France, relativisant la portée de l’intérêt supérieur de l’enfant (B).
A. La caractérisation d’une menace pour l’ordre public comme motif autonome du refus
Alors même que le refus de titre de séjour aurait pu être fondé sur la seule faiblesse de l’insertion, la cour prend soin de valider l’analyse du préfet quant à la menace pour l’ordre public. Elle détaille le passif pénal des requérants, relevant que l’un est « défavorablement connu des services de police pour des faits de faux et usage de faux document administratif commis en 2013, de vol en réunion commis en 2013 » et a été condamné pour des faits similaires en 2017 et 2018. Sa compagne a également fait l’objet de condamnations pour vol. En conséquence, la cour juge que « le préfet des Pyrénées-Orientales n’a pas fait une inexacte application des articles L. 412-5 et L. 423-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile en estimant que leur comportement représentait une menace pour l’ordre public ». Loin d’être un simple élément accessoire, la dangerosité du comportement des intéressés devient un pilier de la justification du refus. Cette motivation renforce considérablement la position de l’administration et démontre que, dans la balance des intérêts, le comportement délinquant pèse d’un poids déterminant, capable à lui seul de justifier l’éloignement.
B. La subordination de la stabilité des enfants aux objectifs de contrôle migratoire
La présence d’enfants scolarisés, dont un né en France, constitue habituellement un élément d’appréciation majeur au regard de l’article 8 de la Convention européenne. La cour écarte toutefois cet argument en s’appuyant sur une logique pragmatique. Elle constate d’abord que la décision n’a « pas, par elle-même, pour objet ou pour effet de séparer les appelants de leurs enfants ». Ensuite et surtout, elle affirme qu’il « n’existe aucun obstacle à la reconstitution de l’ensemble de la cellule familiale en Arménie, pays dont les appelants et leurs enfants possèdent la nationalité ». Cette solution, bien que constante en jurisprudence, illustre la hiérarchie des normes appliquée par le juge. L’intérêt supérieur de l’enfant, bien que protégé, n’est pas un obstacle absolu à l’éloignement des parents en situation irrégulière, surtout lorsque leur comportement personnel est jugé répréhensible. La cour estime que les enfants pourront, « compte-tenu de leur âge, poursuivre leur scolarité » dans leur pays d’origine. La décision entérine ainsi une conception où le droit de l’État à maîtriser les flux migratoires et à préserver l’ordre public prime sur le droit d’un enfant à poursuivre sa vie dans le pays où il a grandi, lorsque le séjour de ses parents est entaché d’illégalités répétées.