Cour d’appel administrative de Toulouse, le 15 juillet 2025, n°23TL01603

Par un arrêt en date du 15 juillet 2025, la cour administrative d’appel a été amenée à se prononcer sur la légalité de plusieurs décisions administratives relatives au séjour et à l’éloignement d’une ressortissante étrangère. En l’espèce, une ressortissante arménienne, entrée en France en 2021, a vu sa demande d’asile rejetée par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides. Elle a par la suite sollicité un titre de séjour en qualité d’étranger malade, qui lui a été refusé par un arrêté préfectoral en date du 23 mai 2022. Quelques mois plus tard, le 22 septembre 2022, la même autorité lui a fait obligation de quitter le territoire français et a fixé son pays d’origine comme destination de renvoi. L’intéressée a saisi le tribunal administratif de Nîmes de deux recours distincts visant à l’annulation de ces décisions. Par deux jugements, le tribunal a rejeté l’ensemble de ses demandes. La requérante a alors interjeté appel de ces deux jugements, conduisant la cour administrative d’appel à joindre les affaires pour statuer par un seul arrêt. Il revenait ainsi aux juges d’appel de déterminer si le refus d’admission au séjour et les mesures d’éloignement subséquentes étaient entachés d’illégalité, notamment au regard des exigences de motivation, de l’examen de la situation personnelle de l’intéressée et du respect de ses droits fondamentaux. La cour administrative d’appel rejette les requêtes, confirmant la légalité tant du refus de titre de séjour que des décisions portant obligation de quitter le territoire et fixant le pays de renvoi, en opérant une distinction rigoureuse entre les régimes juridiques applicables à chaque acte et en faisant peser sur la requérante la charge de la preuve de ses allégations.

La solution retenue par la cour administrative d’appel s’articule autour d’une double validation : celle du refus de séjour, fondée sur une application stricte des cadres légaux spécifiques (I), puis celle des mesures d’éloignement, qui combine un contrôle renforcé dans son principe et une exigence probatoire rigoureuse dans sa mise en œuvre (II).

I. La validation du refus de séjour par une application stricte des cadres légaux

La cour confirme la légalité du refus de titre de séjour en s’appuyant d’une part sur une appréciation limitée du contrôle exercé sur l’avis médical (A) et, d’autre part, en affirmant l’inefficacité juridique de l’argument fondé sur les risques encourus en cas de retour (B).

A. Le contrôle restreint du juge sur l’appréciation médicale

En matière de séjour pour raisons de santé, le législateur a instauré une procédure spécifique, codifiée à l’article L. 425-9 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, qui subordonne la délivrance du titre à un avis d’un collège de médecins de l’Office français de l’immigration et de l’intégration. Dans la présente affaire, cet avis avait conclu que l’état de santé de la requérante ne l’exposait pas à des conséquences d’une exceptionnelle gravité en cas de défaut de prise en charge. La cour, pour écarter le moyen de la requérante, se range derrière cette expertise technique. Elle relève en effet que la requérante « ne justifie pas qu’à la date de l’arrêté attaqué, son état de santé (…) était tel qu’un défaut de prise en charge aurait entraîné des conséquences d’une exceptionnelle gravité ». Cette approche illustre la position traditionnelle du juge administratif qui, n’étant pas médecin, n’entend pas substituer son appréciation à celle de l’organe spécialisé. Son contrôle se limite à vérifier que la décision préfectorale n’est pas entachée d’erreur manifeste d’appréciation au vu de l’avis émis, faisant ainsi peser sur l’étranger une charge probatoire particulièrement lourde pour contester les conclusions médicales.

B. L’inopérance du moyen tiré de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme

Face au refus de séjour, la requérante invoquait la méconnaissance de l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, arguant des risques qu’elle encourrait en cas de retour dans son pays d’origine. La cour écarte ce moyen en le déclarant inopérant. Elle énonce de manière catégorique que « le moyen tiré de la méconnaissance de l’article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales est inopérant à l’encontre d’une décision portant refus d’admission au séjour, une telle décision n’ayant ni pour objet, ni pour effet de contraindre l’intéressée à retourner dans son pays d’origine ». Ce faisant, les juges d’appel opèrent une distinction fondamentale et classique en droit des étrangers entre la décision qui statue sur le droit au séjour sur le territoire et celle qui organise l’éloignement forcé. Une décision de refus de titre de séjour, si elle place l’étranger en situation irrégulière, n’entraîne pas par elle-même son renvoi. Seule la décision fixant le pays de destination est susceptible de l’exposer directement à des traitements contraires à l’article 3, ce qui justifie la concentration du contrôle du juge sur cet acte spécifique.

II. Le contrôle des mesures d’éloignement, entre principe protecteur et exigence probatoire

Si le refus de séjour est validé par une application littérale des textes, l’examen des mesures d’éloignement révèle une approche plus nuancée, caractérisée par une validation formelle de l’obligation de quitter le territoire (A) et par une appréciation souveraine mais exigeante des risques encourus en cas de renvoi (B).

A. La validation formelle de l’obligation de quitter le territoire

Concernant l’obligation de quitter le territoire français, la cour procède à un examen tout aussi rigoureux des moyens soulevés. Elle écarte notamment l’argument tiré de l’atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale garanti par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. La cour retient que, « compte tenu des circonstances de l’espèce et notamment du caractère récent du séjour en France de l’intéressée à la date de l’arrêté attaqué, la décision attaquée n’a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise ». Cette analyse confirme une jurisprudence constante qui exige, pour faire obstacle à une mesure d’éloignement, la démonstration de liens personnels et familiaux d’une intensité et d’une stabilité particulières, que la brièveté du séjour de la requérante ne permettait pas d’établir en l’espèce. Le juge effectue ici une balance classique entre le droit de l’étranger et les objectifs d’intérêt général, dont la maîtrise des flux migratoires, balance qui penche défavorablement pour l’intéressée en raison de la précarité de son ancrage en France.

B. L’appréciation souveraine mais conditionnée des risques liés au renvoi

Le point le plus notable de la décision réside dans l’examen de la légalité de la décision fixant le pays de renvoi. La cour rappelle d’abord avec force le principe selon lequel l’autorité administrative est tenue d’effectuer son propre examen des risques encourus au regard de l’article 3 de la Convention, indépendamment des décisions rendues par les instances de l’asile. Elle affirme que « l’examen et l’appréciation par ces instances (…) ne lient pas le préfet, et sont sans influence sur l’obligation qui est la sienne de vérifier (…) que les mesures qu’il prend ne méconnaissent pas les dispositions de l’article L. 721-4 précité ». Toutefois, après avoir posé ce principe protecteur, la cour le neutralise en pratique en constatant la carence probatoire de la requérante. Elle souligne que celle-ci « n’étaye ses allégations d’aucun élément de preuve, ni n’établit que sa vie et celle de ses proches seraient menacées en cas de retour en Arménie ». La décision illustre ainsi parfaitement la dialectique du contrôle juridictionnel en la matière : si le juge reconnaît l’autonomie de l’appréciation du préfet et l’étendue de son propre contrôle, il ne peut l’exercer qu’à la condition que l’étranger lui fournisse des éléments suffisamment précis et étayés pour rendre ses craintes crédibles. En l’absence de tels éléments, le rejet du recours devient inéluctable, transformant le contrôle de pleine juridiction en une vérification de la charge de la preuve.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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