Cour d’appel administrative de Toulouse, le 15 juillet 2025, n°23TL02222

Une patiente a été hospitalisée dans un établissement de santé public pour la pose d’une prothèse de hanche, intervention au cours de laquelle une fissure du fémur a été traitée. Face à la persistance de douleurs, une seconde intervention dans un autre centre hospitalier a été nécessaire pour changer la prothèse, révélant une infection contractée lors de la première hospitalisation et entraînant une nouvelle fracture. Saisie d’une demande indemnitaire par la patiente, la juridiction administrative de première instance a condamné l’office national d’indemnisation des accidents médicaux à réparer les préjudices, estimant que le seuil de gravité requis pour une prise en charge au titre de la solidarité nationale était atteint. L’office a interjeté appel de ce jugement, contestant l’évaluation du taux de déficit fonctionnel permanent imputable à l’infection nosocomiale, qu’il estimait inférieur au seuil de 25 % fixant la compétence de la solidarité nationale. Il demandait en conséquence sa mise hors de cause, ce qui aurait eu pour effet de faire peser la charge de l’indemnisation sur l’établissement de santé initial.

La question de droit soumise à la cour administrative d’appel portait donc sur les modalités d’évaluation du taux d’atteinte permanente à l’intégrité physique et psychique imputable à une infection nosocomiale. Il s’agissait de déterminer si les conséquences dommageables d’un second accident médical non fautif, mais rendu nécessaire par l’infection, devaient être intégrées dans le calcul de ce taux pour déterminer si le dommage relevait de la responsabilité de l’établissement ou de la solidarité nationale.

Par un arrêt du 15 juillet 2025, la cour administrative d’appel rejette la requête de l’office. Elle juge que pour apprécier le caractère de gravité du dommage, il convient de prendre en compte l’ensemble des suites de l’infection, y compris la fracture du fémur survenue lors de la seconde opération rendue nécessaire par cette infection. La cour estime que la gravité doit s’apprécier « par la comparaison du déficit fonctionnel permanent effectif de la patiente avec celui qu’elle aurait connu en cas de réussite de la première intervention chirurgicale ». En retenant un taux de déficit fonctionnel permanent imputable de 28 %, supérieur au seuil légal, elle confirme que l’indemnisation des préjudices de la victime incombe à l’office national au titre de la solidarité nationale.

La cour confirme ainsi une méthode d’évaluation globale du préjudice (I), ce qui emporte la validation d’une solution protectrice pour la victime d’un dommage corporel grave (II).

I. La consécration d’une méthode d’évaluation globale du préjudice

La cour administrative d’appel adopte une approche extensive pour déterminer le préjudice imputable à l’infection nosocomiale, en y agrégeant les complications ultérieures directes (A) et en définissant une méthode de calcul comparative précise (B).

A. L’imputation des conséquences d’un second accident médical non fautif

La décision commentée rattache explicitement à l’infection nosocomiale initiale la fracture fémorale survenue lors de la seconde intervention chirurgicale. Bien que cette fracture constitue un dommage distinct dans sa matérialité, les juges la considèrent comme une suite directe et certaine de l’opération de reprise prothétique. Cette dernière n’ayant été rendue nécessaire que par le descellement de la première prothèse, lui-même causé par l’infection. La cour souligne ainsi que la fracture « ne présente pas un caractère fautif mais est en rapport direct et certain avec l’intervention subie par Mme C… veuve A… le 31 mai 2016 ».

Ce faisant, elle établit une chaîne de causalité ininterrompue entre le fait générateur initial, à savoir l’infection contractée dans le premier établissement, et le dommage final subi par la patiente. Cette analyse s’oppose à une vision fragmentée des préjudices qui aurait consisté à isoler les conséquences de l’infection stricto sensu de celles de l’aléa thérapeutique survenu postérieurement. Une telle approche globale est conforme à une juste appréciation de la situation de la victime, dont l’état de santé s’est aggravé en raison d’une cascade d’événements dommageables trouvant leur source dans un même fait générateur.

B. La définition d’un calcul par comparaison avec l’état de santé espéré

Au-delà de l’imputation des dommages, la cour précise la méthode de calcul du déficit fonctionnel permanent déterminant le seuil de gravité. Elle écarte l’argument de l’office qui tendait à prendre en compte l’état de santé général antérieur de la patiente pour minimiser le taux de déficit imputable. Les juges posent au contraire un principe d’évaluation différentiel particulièrement clair. Ils énoncent qu’ « il y a lieu d’apprécier la gravité du dommage au sens du II de l’article L. 1142-1 du code de la santé publique, par la comparaison du déficit fonctionnel permanent effectif de la patiente avec celui qu’elle aurait connu en cas de réussite de la première intervention chirurgicale ».

Cette méthode permet de mesurer l’impact réel de l’infection et de ses suites non en partant de l’état antérieur de la patiente, mais de l’état qui aurait dû être le sien si l’acte de soin initial s’était déroulé sans encombre. En l’espèce, le taux de déficit permanent global de 35 % est diminué uniquement du taux de 7 % qui aurait subsisté en cas de succès de l’opération. Le résultat de 28 % objective ainsi la perte de chance de voir son état de santé amélioré par l’intervention et neutralise les arguments fondés sur ses comorbidités.

Cette approche méthodologique aboutit logiquement à une solution favorable à la victime, dont le droit à indemnisation est ainsi consolidé.

II. La validation d’une solution favorable à l’indemnisation de la victime

En retenant un taux de déficit supérieur au seuil légal, la cour garantit une réparation intégrale et effective pour la victime (A), tout en réaffirmant la vocation de la solidarité nationale à prendre en charge les accidents médicaux les plus graves (B).

A. Le rejet d’une appréciation restrictive du dommage réparable

La position de l’office national d’indemnisation consistait à défendre une interprétation restrictive des textes, en tentant d’isoler chaque source de préjudice pour demeurer en deçà du seuil de 25 %. En refusant cette lecture, la cour fait prévaloir une conception protectrice des droits des patients. Elle considère l’ensemble des atteintes subies par la victime comme un tout indivisible, dès lors qu’elles découlent du même accident médical. Cette vision holistique est essentielle pour ne pas laisser la victime démunie face à un enchevêtrement de causes et de responsabilités potentielles.

Le jugement garantit ainsi que la réparation ne soit pas minorée par une ventilation artificielle des postes de préjudice. En agrégeant les conséquences de la fracture à celles de l’infection, la cour reconnaît que sans cette dernière, la seconde intervention et le risque d’accident qui lui est inhérent n’auraient jamais existé. La solution est donc empreinte de pragmatisme et d’équité, assurant à la patiente une indemnisation à la hauteur du dommage globalement subi, sans qu’elle ait à supporter les conséquences d’un aléa thérapeutique directement provoqué par le premier dommage.

B. L’affirmation de la place centrale de la solidarité nationale

Cette décision illustre la finalité du dispositif issu de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé. Le législateur a entendu créer un régime de réparation au titre de la solidarité nationale pour les accidents médicaux les plus graves, lorsque la responsabilité d’un professionnel ou d’un établissement n’est pas engagée pour faute. En l’espèce, le régime de responsabilité sans faute de l’établissement en matière d’infection nosocomiale trouve sa limite lorsque le dommage atteint un certain seuil de gravité, fixé à 25 % de déficit fonctionnel permanent.

En interprétant largement les conditions d’atteinte de ce seuil, la cour administrative d’appel confirme que la vocation de l’office national d’indemnisation est bien de prendre en charge les conséquences les plus lourdes des aléas thérapeutiques. Cette solution renforce la sécurité juridique pour les victimes d’accidents médicaux graves, qui peuvent ainsi se tourner vers un guichet unique et solvable sans avoir à démontrer une faute. La portée de l’arrêt réside dans cette confirmation que le mécanisme de solidarité nationale doit être mobilisé dans toute sa plénitude lorsque la chaîne causale d’un dommage non fautif aboutit à une altération majeure de l’intégrité de la personne.

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Hassan KOHEN
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