Cour d’appel administrative de Toulouse, le 15 juillet 2025, n°23TL02296

Un agent titulaire d’un établissement public hospitalier a été victime d’un accident reconnu imputable au service. Postérieurement, l’agent a été placé en congés pour maladie, avant de faire valoir ses droits à la retraite. S’estimant dans l’incapacité d’avoir pu solder l’ensemble de ses jours de congés avant sa radiation des cadres en raison de ses arrêts maladie, l’agent a sollicité l’indemnisation de ces jours, ainsi que le remboursement de certains frais médicaux. Sa demande est demeurée sans réponse. L’agent a alors saisi le tribunal administratif d’une demande tendant à la condamnation de l’établissement hospitalier au paiement des sommes réclamées. Par un jugement, le tribunal administratif a rejeté sa demande. L’agent a interjeté appel de ce jugement, soutenant notamment une irrégularité de la procédure de première instance et réitérant ses prétentions indemnitaires sur le fondement du droit de l’Union européenne, ainsi que sa demande de remboursement de frais médicaux et sa demande d’expertise.

La question de droit soumise à la cour administrative d’appel était de déterminer si un agent public, empêché de prendre ses congés en raison d’une maladie, a droit à une indemnité financière compensatrice lors de son départ à la retraite, et dans quelles conditions ce droit s’applique aux différents types de congés et aux frais de santé afférents.

Par un arrêt du 15 juillet 2025, la cour administrative d’appel rejette la requête. Elle juge que si le droit à une indemnité pour les congés annuels non pris en raison d’une maladie est un principe découlant du droit de l’Union, son application est subordonnée à la preuve par l’agent de l’impossibilité effective de prendre ces congés, preuve non rapportée en l’espèce. La cour précise en outre que ce droit à indemnisation ne s’étend pas aux jours de congés accumulés sur un compte épargne-temps, qui ne relèvent pas du régime minimal de protection européen. Enfin, elle écarte la demande de remboursement des frais médicaux, faute de preuve d’un lien de causalité direct avec l’accident de service. La solution se fonde ainsi sur une application différenciée des régimes d’indemnisation des congés (I), tout en étant déterminée par un contrôle rigoureux des éléments de preuve fournis par la requérante (II).

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I. La réaffirmation de régimes d’indemnisation différenciés pour les congés non pris

La cour administrative d’appel rappelle la dualité des sources régissant le droit à compensation des congés non pris, distinguant nettement le socle garanti par le droit de l’Union pour les congés annuels (A) de la situation des jours épargnés sur un compte épargne-temps, qui en sont exclus (B).

A. Un droit à indemnisation conditionné pour les congés annuels non soldés

L’arrêt rappelle avec orthodoxie le principe selon lequel un agent qui n’a pu exercer son droit au congé annuel payé en raison d’un congé de maladie a droit, lors de la fin de sa relation de travail, à une indemnité financière. Cette solution s’appuie sur les dispositions de l’article 7 de la directive 2003/88/CE, telles qu’interprétées de manière constante par la Cour de justice de l’Union européenne. La juridiction d’appel énonce que ces dispositions « font obstacle, d’une part, à ce que le droit au congé annuel payé qu’un travailleur n’a pas pu exercer pendant une certaine période, parce qu’il était placé en congé de maladie pendant tout ou partie de la période en cause, s’éteigne à l’expiration de celle-ci et, d’autre part, à ce que, lorsqu’il est mis fin à la relation de travail, tout droit à indemnité financière soit dénié au travailleur ».

En consacrant cette solution, la cour confirme la primauté et l’effet direct des garanties sociales européennes en matière de temps de travail. Le droit au congé annuel payé est ainsi érigé en principe essentiel du droit social de l’Union, dont la perte sans contrepartie financière, du seul fait d’une maladie, constituerait une atteinte injustifiée. Toutefois, ce droit n’est pas absolu. Sa mise en œuvre effective demeure subordonnée à la démonstration factuelle que l’agent a bien été empêché d’exercer son droit au congé du fait de la maladie, une exigence probatoire qui s’avérera décisive en l’espèce. La portée de ce droit est par ailleurs strictement délimitée.

B. L’exclusion des jours du compte épargne-temps de la protection européenne

La cour opère une distinction fondamentale entre le congé annuel minimal et les jours de repos additionnels. Elle juge que les jours inscrits sur un compte épargne-temps (CET) ne bénéficient pas de la protection offerte par la directive de 2003. Selon l’arrêt, ces jours « n’ont donc pas le caractère de congés payés annuels, au sens de cette directive, et doivent dès lors être considérés comme des jours de congés supplémentaires ». Par conséquent, la requérante ne pouvait utilement se prévaloir des dispositions du droit de l’Union pour en réclamer l’indemnisation.

Cette interprétation restrictive est conforme à la jurisprudence de la Cour de justice, qui limite la garantie d’indemnisation à la période minimale de quatre semaines de congé annuel payé. Les jours de congés supplémentaires, issus de dispositifs nationaux plus favorables comme le CET dans la fonction publique française, relèvent exclusivement du droit interne. En l’absence de disposition nationale prévoyant explicitement une indemnisation en cas de départ à la retraite après une maladie, ces jours peuvent être perdus sans compensation. La décision illustre ainsi la coexistence de deux niveaux de protection : un socle européen intangible et des avantages statutaires nationaux soumis à leurs propres règles, moins protectrices en cas de non-utilisation.

II. Le rejet des prétentions face à l’insuffisance des preuves apportées

Au-delà des principes juridiques, la solution de l’espèce repose entièrement sur l’appréciation des faits et des preuves. Que ce soit pour les congés annuels (A) ou pour les frais médicaux (B), la cour rejette les demandes de la requérante en raison d’un défaut de démonstration probante.

A. L’impossibilité non établie de prendre les congés annuels

Alors que le principe du droit à indemnisation était acquis, la cour rejette la demande de la requérante sur un plan purement factuel. Elle constate que l’affirmation de l’agent, selon laquelle elle n’aurait pu prendre ses congés, « est contredit par les pièces du dossier ». En effet, un document administratif versé aux débats indiquait que l’intéressée avait été placée en congés annuels pour une période de trois mois, tandis que les certificats d’arrêt de travail produits ne couvraient pas la totalité de cette même période. La cour en déduit qu’« il ne saurait être tenu pour établi que [l’agent] n’aurait pas utilisé ses jours de congés annuels ».

Cette approche met en lumière le rôle central du juge administratif dans le contrôle des faits et l’application du fardeau de la preuve. Même en l’absence de défense de l’administration hospitalière, réputée avoir acquiescé aux faits, le juge conserve son pouvoir d’appréciation et se doit de vérifier la cohérence entre les allégations de la requérante et les pièces du dossier. La décision rappelle ainsi qu’un droit, aussi fondamental soit-il, ne peut être reconnu par le juge que si son titulaire en démontre rigoureusement les conditions factuelles d’application. L’insuffisance probatoire est ici fatale à la prétention de l’agent.

B. L’absence de lien de causalité prouvé pour les frais médicaux

Le même raisonnement fondé sur la charge de la preuve conduit la cour à rejeter la demande de remboursement des frais médicaux. La requérante sollicitait le paiement d’une somme de 246 euros au titre de frais qu’elle estimait directement liés à son accident de service. Cependant, la cour considère que les pièces fournies, notamment des certificats d’arrêt de travail, « ne permettent pas d’établir qu’ils seraient directement liés à l’accident de service qu’elle a subi le 30 août 2015 ».

Cette motivation réaffirme une exigence classique du droit de la responsabilité administrative : la nécessité d’un lien de causalité direct et certain entre le fait générateur (l’accident de service) et le préjudice dont la réparation est demandée (les frais médicaux). Le juge ne peut se contenter de simples allégations ou de documents non probants. En l’absence de preuve établissant ce lien, la demande indemnitaire ne peut qu’être écartée. Le rejet de la demande d’expertise médicale, jugée non nécessaire, est la conséquence logique de cette carence probatoire globale, qui scelle le sort de l’ensemble des prétentions de la requérante.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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