Cour d’appel administrative de Toulouse, le 15 mai 2025, n°23TL02425

En l’espèce, un ressortissant étranger, entré mineur sur le territoire national puis pris en charge par l’aide sociale à l’enfance, a vu sa demande de renouvellement de titre de séjour refusée par un arrêté préfectoral. Cette décision était assortie d’une obligation de quitter le territoire français et de la fixation du pays de renvoi. L’intéressé a saisi le tribunal administratif, lequel a rejeté ses conclusions dirigées contre la mesure d’éloignement. La juridiction administrative d’appel fut alors saisie du litige par le requérant. Il s’agissait pour les juges du fond de déterminer si une obligation de quitter le territoire français est privée de base légale lorsque la décision de refus de séjour qui la fonde procède d’une erreur manifeste d’appréciation, notamment en raison d’indications ambigües fournies par l’administration ayant induit le demandeur en erreur. La cour répond par l’affirmative, considérant que l’appréciation de la situation personnelle du requérant était manifestement erronée, ce qui prive par conséquent de base légale la mesure d’éloignement contestée. La censure de cette dernière découle ainsi d’une analyse rigoureuse de la situation de l’intéressé (I), tout en constituant une sanction ciblée du comportement de l’administration (II).

I. L’annulation de l’obligation de quitter le territoire français, conséquence d’une erreur manifeste d’appréciation

La cour administrative d’appel annule la mesure d’éloignement en la considérant privée de base légale. Cette solution est la conséquence directe de la censure pour erreur manifeste d’appréciation du refus de renouvellement de titre de séjour (A), entraînant mécaniquement l’illégalité de l’obligation de quitter le territoire (B).

A. La censure d’un refus de séjour fondé sur une situation personnelle mal évaluée

Le juge administratif exerce un contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation sur les décisions de refus de séjour, ce qui le conduit à vérifier que l’administration n’a pas commis une erreur grossière dans l’évaluation des faits du dossier. En l’espèce, la cour relève plusieurs éléments témoignant d’une intégration notable du requérant. Elle note son parcours depuis son arrivée en France en tant que mineur, sa formation professionnelle couronnée par l’obtention d’un certificat d’aptitude professionnelle, et sa présence régulière sur le territoire depuis sa majorité, jalonnée par divers contrats de travail.

L’élément décisif du raisonnement de la cour réside toutefois dans l’analyse des échanges entre l’administration, le requérant et son employeur. L’administration préfectorale avait demandé à l’intéressé de fournir une autorisation de travail, mais avait indiqué à son employeur que cette démarche n’était « pas nécessaire de solliciter d’autorisation de travail pour les contrats de mission d’intérim de moins de trois mois ». Le juge estime que de telles « indications ambiguës ainsi transmises par l’administration préfectorale ont été de nature à induire l’appelant en erreur ». En tenant compte de cette confusion créée par l’administration elle-même, ainsi que de la capacité de l’intéressé à obtenir un autre emploi avant même la décision litigieuse, la cour conclut que le refus de séjour repose sur une appréciation manifestement erronée.

B. L’illégalité par ricochet de la mesure d’éloignement

L’obligation de quitter le territoire français est une décision prise par l’autorité administrative en conséquence, notamment, d’un refus de délivrance ou de renouvellement d’un titre de séjour. Ces deux décisions, bien que distinctes, sont intrinsèquement liées. La légalité de la mesure d’éloignement est conditionnée par la légalité du refus de séjour qui en constitue le fondement.

Dans le cas présent, la cour applique le mécanisme de l’exception d’illégalité. Ayant jugé que le refus de renouvellement du titre de séjour était entaché d’une illégalité, elle en tire la conséquence logique pour la mesure d’éloignement. L’annulation, même virtuelle, du refus de séjour prive l’obligation de quitter le territoire de sa base juridique. La cour l’exprime clairement en affirmant que « L’illégalité du refus de séjour ainsi constatée a pour effet de priver de base légale l’obligation de quitter le territoire français ainsi que, par voie de conséquence, la décision fixant le pays de renvoi ». L’annulation de la mesure d’éloignement n’est donc pas fondée sur un vice propre, mais sur l’illégalité de l’acte administratif qui la justifiait.

La démarche de la cour, fondée sur une appréciation factuelle précise, met en lumière le manque de diligence des services préfectoraux. La sanction de ce comportement administratif ambigu (II) révèle la portée de la décision.

II. La sanction d’un comportement administratif ambigu et la portée de la solution

Au-delà de la situation individuelle du requérant, l’arrêt commenté constitue une sanction du comportement fautif de l’administration (A). Il convient cependant de noter que cette solution, fortement liée aux circonstances de l’espèce, possède une portée limitée (B).

A. La prise en compte des indications trompeuses de l’administration

L’un des apports principaux de cette décision est l’importance accordée au comportement de l’administration dans ses interactions avec l’usager. Le juge ne se contente pas d’examiner si les conditions légales du séjour sont remplies ; il analyse la manière dont la procédure a été menée. En qualifiant les informations transmises par les services préfectoraux d’ « indications ambiguës », la cour souligne un manquement de l’administration à son devoir de clarté et de loyauté.

En effet, on ne saurait reprocher à un administré de ne pas avoir produit un document lorsque les services compétents lui ont eux-mêmes laissé entendre qu’il n’était pas requis. En intégrant ce dialogue administratif dans son contrôle de l’appréciation des faits, le juge rappelle que l’administration est tenue à une certaine cohérence et ne peut se prévaloir de ses propres turpitudes ou de la confusion qu’elle a elle-même générée. Cette prise en compte garantit le respect du principe de confiance légitime et sanctionne une administration qui, par ses agissements, a placé le demandeur dans une situation d’incertitude juridique préjudiciable à l’examen de son droit au séjour.

B. Une solution d’espèce invitant à une meilleure diligence administrative

La décision commentée doit être qualifiée de décision d’espèce. La solution retenue est étroitement dépendante des faits particuliers du dossier : un parcours d’intégration jugé solide combiné à une erreur factuelle de l’administration. Cet arrêt ne saurait être interprété comme créant un droit automatique au renouvellement pour tout travailleur temporaire ou comme assouplissant de manière générale les conditions d’obtention d’un titre de séjour. Il s’agit d’une censure ciblée d’une erreur grossière d’appréciation dans un contexte factuel très spécifique.

Néanmoins, la portée de l’arrêt n’est pas nulle. Il constitue un rappel à l’ordre pour les services préfectoraux quant à l’importance d’un examen attentif, complet et impartial de chaque situation individuelle. La décision enjoint d’ailleurs au préfet de « réexaminer la situation de l’intéressé à la lumière des motifs de cet arrêt », ce qui confirme la nature de la censure. Sans créer de jurisprudence nouvelle, cet arrêt renforce l’exigence de bonne administration et rappelle que la rigueur attendue des administrés dans la constitution de leurs dossiers doit avoir pour corollaire une égale diligence de la part des services chargés de les instruire.

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Hassan KOHEN
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