Par un arrêt en date du 16 juillet 2025, la cour administrative d’appel de Toulouse a annulé un jugement du tribunal administratif de Montpellier qui avait validé le refus du préfet de l’Hérault de renouveler le titre de séjour d’une ressortissante étrangère. Cette décision soulève la question de l’étendue du contrôle du juge administratif sur l’appréciation par l’administration de la situation personnelle d’un étranger, notamment au regard de ses liens familiaux et de son état de santé.
En l’espèce, une ressortissante nigériane, entrée en France en 2018, avait obtenu un titre de séjour pour raisons de santé après une première annulation juridictionnelle d’un refus de l’administration. Arrivé à expiration, elle en sollicita le renouvellement, mais le préfet rejeta sa demande par un arrêté du 18 août 2022, assorti d’une obligation de quitter le territoire français. Entre-temps, l’intéressée avait donné naissance en France à un enfant, reconnu par son compagnon, titulaire d’un titre de séjour régulier. La requérante a saisi le tribunal administratif de Montpellier, qui a rejeté sa demande par un jugement du 13 avril 2023, estimant la décision préfectorale fondée. L’appelante a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant que le refus de séjour méconnaissait son droit au respect de sa vie privée et familiale ainsi que l’intérêt supérieur de son enfant, et arguait de la nécessité de la poursuite de son traitement médical en France.
Le problème de droit soumis à la cour administrative d’appel était donc de savoir si un préfet commet une erreur manifeste d’appréciation en refusant de renouveler un titre de séjour et en prononçant une obligation de quitter le territoire, sans tenir compte de la globalité de la situation de l’intéressée, incluant à la fois son état de santé, l’ancienneté de son séjour, et la naissance d’un enfant sur le territoire français dont le père, en situation régulière, participe à l’entretien.
La cour administrative d’appel de Toulouse répond par l’affirmative, considérant que l’ensemble des circonstances de l’espèce révèle une erreur manifeste d’appréciation. Elle juge que « le préfet a commis une erreur manifeste dans l’appréciation des conséquences de sa décision sur la situation personnelle » de la requérante. Par conséquent, la cour annule le jugement du tribunal administratif et l’arrêté préfectoral, puis enjoint à l’administration de délivrer à l’intéressée un titre de séjour portant la mention « vie privée et familiale ». Cette solution se fonde sur une analyse globale des faits, marquant une correction de l’appréciation administrative (I), et consacre la primauté des liens familiaux établis en France (II).
I. La censure d’une appréciation administrative restrictive
La décision de la cour administrative d’appel se distingue par son approche globale de la situation personnelle de la requérante, contrastant avec l’examen fragmenté opéré par l’administration et validé en première instance. Elle exerce ainsi un contrôle entier sur les faits (A) avant de requalifier la nature des liens familiaux (B).
A. La réaffirmation d’un contrôle de l’ensemble des faits
La cour prend soin de ne pas isoler les différents aspects du dossier de la requérante, mais de les agréger pour en tirer une conclusion d’ensemble. Elle relève ainsi cumulativement « une durée de séjour d’environ quatre ans en France », la naissance d’un enfant sur le territoire, ainsi que la nécessité pour l’appelante de poursuivre un traitement médical spécifique. Cette méthode s’oppose à celle du préfet qui semble avoir examiné chaque critère séparément, sans mesurer leur effet combiné. La cour souligne notamment que l’état de santé de l’intéressée « nécessite que lui soit administrées des injections […] qui lui est indispensable », confirmant ainsi que la demande initiale de titre pour soins n’était pas un simple prétexte.
En agissant de la sorte, le juge d’appel ne se contente pas de vérifier l’absence d’illégalité externe ou d’erreur de droit, mais il pénètre le cœur de la décision administrative pour en sonder le bien-fondé au regard des faits. Le recours à la notion d’erreur manifeste d’appréciation lui permet de sanctionner une décision qui, bien que peut-être légale dans son principe, apparaît comme étant matériellement disproportionnée et inadaptée à la singularité du cas d’espèce. C’est cette prise en compte de toutes les « circonstances propres au cas d’espèce » qui justifie la censure.
B. La correction de l’appréciation des liens familiaux
Un élément décisif du raisonnement de la cour réside dans la réévaluation du rôle du père de l’enfant. Alors que le préfet et le tribunal administratif avaient écarté cet aspect, la cour affirme que « contrairement à qu’ont estimé le préfet et les premiers juges, il ressort des pièces du dossier que ce dernier participe à l’entretien et à l’éducation l’enfant ». Pour étayer cette affirmation, elle se fonde sur des preuves matérielles, citant explicitement les « factures d’achats versées au dossier, établies à son nom et couvrant l’année 2022 ». Cette analyse factuelle détaillée démontre que le juge d’appel n’hésite pas à se substituer à l’administration dans l’appréciation des preuves.
Cette rectification est fondamentale, car elle transforme la perception de la cellule familiale. La situation de la requérante n’est plus celle d’une mère isolée, mais celle d’un couple parental co-éduquant un enfant français. En reconnaissant l’effectivité de la contribution du père, la cour donne toute sa portée au droit à une vie privée et familiale, et renforce indirectement l’ancrage de la requérante sur le territoire. La décision ne repose plus seulement sur un état de santé, mais sur une réalité familiale tangible et établie.
II. La consécration de la primauté de la vie familiale
Au-delà de la simple censure de l’erreur administrative, l’arrêt emporte des conséquences significatives en faisant prévaloir implicitement l’intérêt de l’enfant (A) et en ajustant la nature même du droit au séjour accordé à la requérante (B).
A. L’intérêt supérieur de l’enfant comme critère implicite déterminant
Bien que la cour ne fonde pas explicitement sa décision sur l’article 3-1 de la Convention internationale des droits de l’enfant, l’intérêt supérieur de celui-ci irrigue l’ensemble de son raisonnement. La présence de l’enfant, né en France et âgé de quelques mois seulement au moment de la décision préfectorale, constitue le pivot de l’argumentation. La nécessité de ne pas le séparer de sa mère, et de préserver son droit à être élevé par ses deux parents, est au cœur de l’appréciation de la cour. Le fait que les parents soient de nationalités différentes, rendant une reconstitution de la cellule familiale à l’étranger particulièrement complexe, est une circonstance de fait que le juge a nécessairement prise en compte.
En invalidant une mesure d’éloignement qui aurait pour effet de briser ce lien familial essentiel au développement d’un très jeune enfant, la cour confère une portée concrète à ce principe. Elle rappelle ainsi que l’administration, dans l’exercice de son pouvoir de police des étrangers, ne peut ignorer les conséquences de ses décisions sur la situation des enfants, même si le droit au séjour de leurs parents n’est pas de plein droit. La protection de la vie familiale devient alors une limite à l’exercice de la prérogative administrative.
B. La portée de l’injonction : le passage d’un séjour pour soins à un séjour familial
L’aspect le plus notable de la décision, quant à sa portée, réside dans la nature de l’injonction prononcée. La cour ne se limite pas à ordonner un réexamen de la situation ou la délivrance du titre initialement demandé, à savoir un titre pour raison de santé. Elle enjoint au préfet de délivrer « un titre de séjour portant la mention « vie privée et familiale » ». Ce faisant, le juge administratif opère une véritable requalification du fondement du droit au séjour de l’intéressée. La base de sa présence légale en France n’est plus son état de santé, mais l’existence de ses attaches familiales.
Cette injonction est porteuse d’une forte signification. Elle indique que la situation familiale de la requérante, consolidée par la naissance de l’enfant et l’implication du père, est devenue le motif principal et le plus stable justifiant sa résidence en France. C’est une reconnaissance que le centre de ses intérêts privés et familiaux se trouve désormais durablement sur le territoire. La solution adoptée par la cour s’inscrit ainsi dans une logique de pérennisation du séjour, en le fondant sur un motif plus protecteur et moins précaire qu’un titre délivré pour une pathologie médicale. La portée de l’arrêt dépasse donc le cas d’espèce en illustrant la manière dont les attaches familiales peuvent transformer et consolider le droit au séjour d’un ressortissant étranger.