Cour d’appel administrative de Toulouse, le 16 septembre 2025, n°23TL02875

Par un arrêt en date du 16 septembre 2025, une cour administrative d’appel s’est prononcée sur le refus d’un préfet d’accorder un titre de séjour à une ressortissante étrangère. En l’espèce, une personne de nationalité arménienne, entrée irrégulièrement sur le territoire français et dont la demande d’asile avait été rejetée, avait sollicité son admission au séjour au titre de sa vie privée et familiale. Elle invoquait une présence en France depuis plus de dix ans et l’existence de liens familiaux étroits, ses deux enfants et ses petits-enfants résidant sur le territoire. L’autorité préfectorale a opposé un refus à sa demande, assorti d’une obligation de quitter le territoire français. Le tribunal administratif de Montpellier, saisi en première instance, a rejeté le recours formé contre cette décision. La requérante a alors interjeté appel, soutenant notamment que la procédure était irrégulière, le préfet n’ayant pas saisi la commission du titre de séjour comme l’exige le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile en cas de résidence habituelle de plus de dix ans. Elle arguait également que la décision portait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de la vie privée et familiale. Le juge d’appel était ainsi conduit à s’interroger sur les critères d’appréciation de la preuve d’une résidence habituelle de longue durée et sur la méthode de contrôle de l’atteinte portée à la vie privée et familiale lorsque la matérialité des liens allégués est contestée. La cour a rejeté la requête, estimant que les pièces produites n’établissaient pas une résidence continue et habituelle sur une période de dix ans, écartant ainsi l’obligation de saisine de la commission. De surcroît, elle a jugé que l’ingérence dans la vie privée et familiale de l’intéressée n’était pas disproportionnée, compte tenu des doutes sur l’effectivité de ses liens familiaux et de l’absence de preuve d’une rupture totale de ses attaches avec son pays d’origine. La décision illustre la rigueur avec laquelle le juge administratif examine les conditions de procédure liées à la régularisation des étrangers (I), avant de procéder à une appréciation concrète de leur situation personnelle au regard des droits fondamentaux (II).

I. Le contrôle rigoureux de la condition de résidence décennale

La cour administrative d’appel confirme une approche stricte de la preuve de la résidence habituelle en France, conditionnant une garantie de procédure pour l’étranger. Cette rigueur se manifeste tant dans l’appréciation des pièces versées au dossier (A) que dans la réaffirmation de la portée limitée des circulaires administratives (B).

A. L’insuffisance de preuves sporadiques à établir une résidence continue

Le juge se livre à un examen méticuleux des éléments fournis par la requérante pour justifier de sa présence ininterrompue sur le territoire depuis 2012. Pour plusieurs années, les documents se limitent à des courriers administratifs liés à sa demande d’asile, des notifications d’audience ou une carte d’aide médicale d’État. La cour considère que de tels documents, bien qu’attestant une présence ponctuelle, sont insuffisants pour démontrer une résidence stable et continue. Elle relève ainsi que « Les documents produits ne permettent pas d’attester de sa présence continue en France durant ces cinq années ». De même, un compte-rendu opératoire ou un avis d’imposition mentionnant des revenus nuls ne suffisent pas à emporter la conviction du juge pour d’autres années. Cette analyse factuelle détaillée montre que la charge de la preuve d’une résidence habituelle, au sens de l’article L. 435-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, pèse entièrement sur le demandeur. L’exigence ne porte pas sur la production d’un document unique, mais sur un faisceau d’indices concordants et couvrant l’ensemble de la période alléguée. L’absence de documents probants pour certaines années rompt la continuité requise par la loi, justifiant ainsi le refus du préfet de saisir pour avis la commission du titre de séjour.

B. La portée écartée de la circulaire comme source de droit

Face à la sévérité de l’appréciation des preuves, la requérante tentait de se prévaloir des termes d’une circulaire ministérielle du 28 novembre 2012. Ce texte, relatif aux conditions d’examen des demandes d’admission au séjour, suggérait une certaine souplesse dans l’évaluation de l’ancienneté de la présence en France. La cour d’appel écarte cependant cet argument de manière péremptoire, rappelant une position constante en jurisprudence. Elle juge que la requérante « ne peut utilement se prévaloir, à l’encontre des décisions en litige, des termes de la circulaire du 28 novembre 2012 du ministre de l’intérieur, laquelle […] se borne à énoncer des orientations générales ». Cette solution réaffirme la hiérarchie des normes et le principe de légalité. Une circulaire, acte de nature réglementaire ou simple instruction de service, ne peut créer de droits pour les administrés ni s’imposer au juge lorsque ses termes ne font que guider l’action de l’administration dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation. En refusant de donner une valeur normative à ce texte, la cour rappelle que seule la loi et les décrets pris pour son application définissent les conditions de saisine de la commission du titre de séjour. Le préfet n’était donc pas tenu par les orientations qu’il contenait, et le juge se refuse à exercer son contrôle sur la base d’un texte dépourvu de force contraignante.

Une fois la question de la régularité de la procédure tranchée, la cour examine au fond le respect du droit à la vie privée et familiale de la requérante, en procédant là encore à une analyse concrète et circonstanciée.

II. L’appréciation concrète du droit au respect de la vie privée et familiale

Le rejet de la demande de titre de séjour est également validé au regard de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme et de l’article L. 423-23 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Pour ce faire, le juge évalue la consistance réelle des liens familiaux invoqués (A) avant de mettre en balance les différents intérêts en présence (B).

A. La remise en cause de l’intensité des liens familiaux allégués

La requérante fondait principalement sa demande sur la présence de ses enfants et petits-enfants en France, arguant d’une prise en charge par l’un de ses fils, titulaire d’une carte de résident. La cour ne se satisfait pas des attestations produites, notant qu’elles sont postérieures à la décision attaquée. Plus encore, elle relève une contradiction factuelle significative : alors que la requérante affirmait être hébergée par son fils, son avis d’imposition pour l’année précédente mentionnait toujours une domiciliation administrative auprès d’une association à Nancy. Ce décalage conduit le juge à considérer que « la réalité et l’intensité des liens familiaux entretenus par Mme D… avec ses enfants et petits-enfants, n’est pas établie ». Cette approche factuelle montre que le juge administratif ne se contente pas des déclarations des parties mais recherche des preuves tangibles de la communauté de vie et de la solidarité familiale. La production de photographies est jugée insuffisante pour pallier le manque d’éléments matériels objectifs. L’intensité des liens, critère essentiel de l’appréciation au titre de la vie privée et familiale, est ainsi considérée comme non démontrée, ce qui affaiblit considérablement la position de la requérante.

B. La mise en œuvre du bilan de proportionnalité

Le juge achève son raisonnement en opérant le bilan classique entre le droit de l’individu au respect de sa vie privée et familiale et les motifs d’intérêt général justifiant le refus de séjour. La cour prend en compte plusieurs éléments défavorables à la requérante. Elle note son entrée en France à un âge déjà avancé, à 52 ans, ce qui suggère que le centre de sa vie privée n’a pas été entièrement construit sur le territoire français. Surtout, elle souligne que l’appelante « ne démontre pas être dépourvue de toute attache dans son pays d’origine ». Cette absence de preuve d’une rupture totale avec l’Arménie pèse lourdement dans la balance. En conséquence, la décision du préfet n’est pas jugée comme portant une atteinte « disproportionnée » à son droit au respect de sa vie privée et familiale. La décision de refus de séjour apparaît alors comme une mesure justifiée au regard des objectifs de la politique de maîtrise des flux migratoires, face à une situation personnelle dont l’ancrage en France est jugé insuffisamment stable et dont les liens familiaux ne présentent pas un caractère d’effectivité incontestable. La solution, bien que sévère pour l’intéressée, s’inscrit dans une application classique du contrôle de proportionnalité en droit des étrangers.

📄 Circulaire officielle

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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