Cour d’appel administrative de Toulouse, le 16 septembre 2025, n°24TL00035

Un ressortissant algérien s’est vu refuser la délivrance d’un certificat de résidence par l’autorité préfectorale, décision assortie d’une obligation de quitter le territoire français. Cette décision administrative était motivée par le fait que l’intéressé, père d’un enfant français, ne démontrait pas subvenir aux besoins de celui-ci depuis au moins un an, condition posée par l’accord franco-algérien du 27 décembre 1968. Saisi par l’administré, le tribunal administratif de Toulouse a annulé cet arrêté et a enjoint au préfet de délivrer le titre de séjour sollicité. Le préfet a alors interjeté appel de ce jugement, maintenant que la condition de subvenir aux besoins de l’enfant n’était pas remplie. La question de droit soumise à la cour administrative d’appel était donc de déterminer si un parent, dispensé judiciairement de verser une contribution financière à l’entretien de son enfant placé, mais qui exerce un droit de visite de manière assidue, peut être considéré comme subvenant effectivement à ses besoins au sens de l’accord franco-algérien. Par un arrêt du 16 septembre 2025, la cour administrative d’appel rejette la requête du préfet. Elle juge que le parent qui se conforme aux décisions du juge des enfants, lesquelles organisent les modalités de sa contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant, doit être regardé comme subvenant à ses besoins, même en l’absence de versements financiers lorsque le juge l’en a expressément dispensé.

Cette décision précise les contours de l’obligation de subvenir aux besoins de son enfant pour le parent étranger sollicitant un titre de séjour, en l’articulant avec les décisions du juge judiciaire. Il convient ainsi d’analyser la manière dont la cour subordonne l’appréciation administrative à l’autorité du juge des enfants (I), avant d’examiner la portée de cette solution qui renforce la protection du lien parent-enfant dans le contentieux du droit au séjour (II).

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I. L’appréciation de la condition de prise en charge de l’enfant à l’aune des décisions judiciaires

La cour administrative d’appel établit une hiérarchie claire entre la prérogative administrative et l’office du juge judiciaire, en faisant de la décision de ce dernier le cadre d’évaluation de l’obligation parentale (A). Cette approche conduit logiquement à reconnaître que la contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant peut revêtir une forme non pécuniaire (B).

A. La primauté du cadre fixé par le juge des enfants

L’arrêt commenté rappelle d’abord les dispositions pertinentes du code civil relatives à l’autorité parentale et aux mesures d’assistance éducative. Il en déduit que « la circonstance qu’un enfant de nationalité française a fait l’objet d’une mesure d’assistance éducative ne fait pas obstacle, par elle-même, à ce que son père ou sa mère étrangers puisse obtenir un titre de séjour ». La cour pose ainsi un principe de compatibilité entre le placement d’un enfant et le droit au séjour de son parent.

Plus fondamentalement, elle lie l’évaluation de la contribution parentale au respect des décisions judiciaires qui en fixent les modalités. Le juge administratif ne peut ignorer les décisions du juge des enfants qui, en l’espèce, a organisé la relation entre le père et sa fille, placée auprès de l’aide sociale à l’enfance. L’autorité préfectorale ne saurait donc substituer sa propre appréciation des devoirs parentaux à celle, concrète et motivée, opérée par la juridiction compétente. C’est en se conformant « en tous points aux décisions du juge des enfants » que le père est réputé satisfaire à ses obligations.

B. La reconnaissance de la contribution non financière

La conséquence directe de cette articulation est la validation d’une contribution parentale qui n’est pas de nature financière. Le préfet fondait son refus sur l’absence de preuve de versements pécuniaires. Or, la cour relève que le juge des enfants, dans ses jugements, avait « dispensé M. A… du versement d’une contribution financière à son enfant ».

Dès lors, l’absence de flux financiers ne pouvait être opposée au requérant. La cour souligne qu’il n’était « pas tenu, pour démontrer sa contribution dans l’entretien et l’éducation de son enfant, de justifier de versements réguliers de sommes d’argent en sa faveur ». En contrepartie, elle valorise l’implication personnelle du père, qui a exercé de manière « régulière et assidue son droit de visite » et dont l’implication a été positivement évaluée par les services éducatifs. La subvention aux besoins de l’enfant s’entend donc de manière qualitative et non purement matérielle, englobant l’investissement affectif et éducatif du parent.

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II. Le renforcement de la protection du lien parent-enfant

En adoptant une lecture souple et concrète de la condition posée par l’accord franco-algérien, la cour assure la prééminence de l’intérêt supérieur de l’enfant (A). Cette solution pragmatique offre une sécurité juridique aux parents impliqués mais économiquement précaires, dont le droit au séjour se trouve ainsi consolidé (B).

A. La prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant

Bien que l’arrêt ne se fonde pas explicitement sur l’article 3-1 de la Convention internationale des droits de l’enfant, sa motivation est entièrement imprégnée par la considération de l’intérêt supérieur de l’enfant. La cour prend soin de noter l’évolution positive de la relation père-fille, relevant que grâce à la mesure d’assistance éducative, « le lien entre M. A… et son enfant était en cours de consolidation à la date de la décision attaquée ».

En refusant de sanctionner le père pour une absence de contribution financière dont un juge l’avait exempté, la cour évite de créer une situation où le droit au séjour serait conditionné à des capacités financières, au risque de priver l’enfant du lien avec l’un de ses parents. La décision administrative, si elle avait été validée, aurait eu pour effet de rompre un lien jugé bénéfique pour l’enfant par l’autorité judiciaire compétente. La solution retenue protège donc la stabilité de la relation filiale, conformément aux exigences constitutionnelles et conventionnelles.

B. La portée de la solution pour les parents en situation de précarité

Au-delà du cas d’espèce, la portée de cet arrêt est significative pour les parents étrangers en situation de précarité économique. Il établit qu’une décision judiciaire de dispense de contribution alimentaire, souvent motivée par l’absence de ressources du parent, ne peut constituer un obstacle à l’obtention d’un titre de séjour sur le fondement de la parenté d’un enfant français.

Cette jurisprudence limite le pouvoir d’appréciation de l’administration, qui ne peut exiger une preuve de contribution financière lorsqu’un juge a statué en sens contraire. Elle impose au préfet d’examiner l’ensemble des éléments du dossier, et notamment la nature de l’implication du parent dans la vie de son enfant telle qu’elle est structurée par les mesures d’assistance éducative. L’arrêt constitue ainsi une garantie contre les refus de séjour fondés sur une approche purement comptable de l’obligation parentale d’entretien.

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