Cour d’appel administrative de Toulouse, le 16 septembre 2025, n°24TL00435

Un arrêt rendu par la Cour administrative d’appel de Toulouse le 16 septembre 2025 illustre le contrôle exercé par le juge sur l’obligation pour l’administration d’examiner de manière actuelle et complète la situation d’un étranger sollicitant un titre de séjour. En l’espèce, une ressortissante d’un État tiers, épouse d’un citoyen de l’Union européenne, avait sollicité son admission au séjour sur le territoire français. L’autorité préfectorale avait rejeté sa demande par un arrêté en date du 18 août 2023, lui notifiant par ailleurs une obligation de quitter le territoire français.

Saisi d’un recours en annulation, le tribunal administratif de Nîmes avait, par un jugement du 23 janvier 2024, rejeté la demande. La requérante a interjeté appel de ce jugement, soutenant notamment que la décision préfectorale était fondée sur une appréciation erronée de sa situation personnelle et familiale, l’administration ayant utilisé des données financières anciennes de près de trois ans et omis de prendre en compte la naissance de son troisième enfant. Se posait alors à la cour la question de savoir si un refus de séjour fondé sur des éléments factuels obsolètes et inexacts relatifs à la situation familiale et financière d’une personne caractérisait une illégalité de nature à justifier son annulation.

La Cour administrative d’appel répond par l’affirmative, en jugeant que l’autorité administrative « n’a pas procédé à un examen réel et sérieux de sa demande » en se fondant sur une situation familiale et financière qui ne correspondait plus à la réalité au jour de sa décision. Par conséquent, la cour annule le jugement de première instance ainsi que l’arrêté préfectoral dans toutes ses dispositions. Cette solution met en lumière l’exigence d’un examen particulier et actuel de chaque demande (I), renforçant ainsi les garanties procédurales accordées au ressortissant étranger (II).

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I. La censure d’un examen déficient de la situation individuelle

La décision de la Cour administrative d’appel sanctionne une défaillance de l’administration dans son obligation d’instruire les demandes de titre de séjour. Cette censure se fonde d’abord sur le constat d’une appréciation factuelle obsolète (A), ce qui conduit le juge à caractériser une absence d’examen réel et sérieux du dossier (B).

A. L’exigence d’une appréciation fondée sur des éléments actualisés

L’administration est tenue de fonder ses décisions sur les circonstances de fait et de droit applicables à la date à laquelle elles sont prises. En l’espèce, l’autorité préfectorale a évalué la condition de ressources du foyer en se référant aux revenus perçus par l’époux de la requérante pour l’année 2020. Or, la décision contestée a été édictée près de trois ans plus tard, le 18 août 2023. La cour relève que les revenus du conjoint étaient, à cette date, « sensiblement supérieurs » à ceux pris en compte par la préfecture.

De plus, l’arrêté litigieux mentionnait une composition familiale de deux enfants, alors qu’un troisième enfant était né le jour même de l’édiction de l’acte. Cette double erreur sur des éléments déterminants de la situation personnelle et familiale de l’intéressée vicie le raisonnement de l’administration. La solution rappelle que la durée d’instruction d’un dossier, en l’occurrence particulièrement longue, ne saurait dispenser l’autorité compétente de son obligation de s’assurer de l’actualité des informations qui fondent sa décision, quitte à solliciter des pièces complémentaires avant de statuer.

B. La caractérisation de l’absence d’examen réel et sérieux

La conséquence directe de cette appréciation erronée des faits est la requalification du vice par le juge administratif. Celui-ci ne se limite pas à constater une simple erreur matérielle, mais en déduit une méconnaissance par l’administration de son obligation de procéder à un examen particulier de chaque situation. En jugeant que « la préfète du Gard n’a pas procédé à un examen réel et sérieux de sa demande », la cour sanctionne une faute dans le processus même de décision.

Ce faisant, elle confère une portée significative à cette obligation, qui constitue une garantie fondamentale pour l’administré. L’examen ne peut être ni superficiel ni fondé sur des données périmées. Le vice retenu n’est donc pas une erreur manifeste d’appréciation, que le juge contrôle de manière restreinte, mais un vice de procédure qui affecte la légalité externe de l’acte. L’annulation est ainsi encourue sans que le juge n’ait à substituer sa propre appréciation à celle de l’administration, mais en se fondant sur la seule défaillance de l’instruction menée par cette dernière.

II. Le renforcement des garanties du ressortissant étranger

Au-delà de la seule annulation de l’acte, cet arrêt réaffirme le rôle du juge d’appel comme garant des droits des administrés (A) et adresse un signal à l’administration quant à la nécessité d’éviter toute forme d’automatisation dans le traitement des dossiers (B).

A. L’effet dévolutif de l’appel au service de la protection des droits

Dans son considérant de principe, la cour écarte le moyen tiré d’une prétendue erreur d’appréciation des premiers juges en rappelant la nature de son office. Il lui appartient, dans le cadre de l’effet dévolutif de l’appel, de se prononcer directement sur les moyens qui lui sont soumis, et non d’évaluer le bien-fondé des motifs du jugement de première instance. Cette règle procédurale prend ici tout son sens en tant que mécanisme de garantie.

En effet, la cour ne se contente pas de juger le jugement, mais elle rejuge l’affaire dans son intégralité, en fait comme en droit. Elle examine ainsi l’ensemble des arguments soulevés par la requérante et les confronte à la légalité de l’arrêté préfectoral. Cette approche permet de corriger intégralement les conséquences de la décision de première instance et d’offrir une protection juridictionnelle effective à l’appelante, en assurant qu’une analyse complète de sa situation soit finalement opérée.

B. La garantie judiciaire contre les risques d’une décision automatisée

En sanctionnant un examen fondé sur des données anciennes de plusieurs années, la cour met en garde contre la tendance à un traitement sériel ou automatisé des demandes de titres de séjour. La charge de travail des préfectures et l’allongement des délais d’instruction ne peuvent justifier qu’une décision affectant durablement la situation d’une personne et de sa famille soit prise sur la base d’un dossier qui n’a pas été rigoureusement mis à jour.

La portée de cet arrêt est donc avant tout pédagogique. Il incite les services préfectoraux à la vigilance et à la diligence, en les obligeant à exercer pleinement leur pouvoir d’appréciation au vu d’une situation actuelle et complète. En annulant l’ensemble des mesures, y compris l’obligation de quitter le territoire français qui en était la conséquence légale, la décision réaffirme que le droit au séjour doit être examiné avec une attention particulière, proportionnée aux enjeux humains qu’il représente.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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