Cour d’appel administrative de Toulouse, le 16 septembre 2025, n°24TL00586

Par un arrêt du 16 septembre 2025, une cour administrative d’appel a été amenée à se prononcer sur la légalité du refus de délivrance d’un titre de séjour opposé à un ressortissant étranger. En l’espèce, un individu de nationalité guinéenne, entré irrégulièrement sur le territoire national, a sollicité son admission exceptionnelle au séjour sur le fondement de motifs humanitaires ou exceptionnels. Il mettait en avant une scolarité assidue, l’obtention d’un diplôme professionnel et l’existence d’un contrat d’apprentissage dans un secteur en tension. L’autorité préfectorale a toutefois rejeté sa demande, assortissant sa décision d’une obligation de quitter le territoire français. Saisi d’un recours contre cette décision, le tribunal administratif de Nîmes l’a rejeté par un jugement en date du 6 février 2024. Le requérant a interjeté appel de ce jugement, soutenant que la décision préfectorale était entachée d’un défaut d’examen particulier, d’erreurs d’appréciation et qu’elle portait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale. Il appartenait donc à la cour d’appel de déterminer si l’intégration professionnelle et scolaire d’un étranger en situation irrégulière depuis une période relativement brève suffisait à caractériser un motif exceptionnel d’admission au séjour ou une atteinte disproportionnée à sa vie privée. La cour administrative d’appel rejette la requête. Elle juge que, malgré certaines erreurs de motivation, l’autorité préfectorale a bien procédé à l’examen de la demande au regard du bon fondement juridique et n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation. Elle estime que ni les considérations humanitaires, ni les motifs exceptionnels, ni le droit au respect de la vie privée et familiale ne justifiaient l’octroi d’un titre de séjour, compte tenu de la durée limitée du séjour en France et de l’absence de liens familiaux sur le territoire.

La décision de la cour administrative d’appel confirme la marge d’appréciation dont dispose l’administration dans l’examen des demandes d’admission exceptionnelle au séjour, en neutralisant les vices de motivation non déterminants (I). Elle procède ensuite à une application stricte des critères d’admission au séjour, faisant prévaloir la brièveté du séjour sur l’intégration professionnelle et sociale de l’intéressé (II).

I. La confirmation de la marge d’appréciation administrative par la neutralisation des vices de motivation

La cour valide le refus de séjour en écartant les moyens tirés des imperfections de la motivation de l’acte préfectoral. Elle considère d’une part que l’examen de la demande a bien été opéré sur le fondement pertinent, malgré des références erronées (A). D’autre part, elle juge que le caractère éventuellement mal-fondé de l’un des motifs de la décision est sans incidence sur sa légalité globale (B).

A. La recherche du fondement réel de la décision administrative

Le requérant soutenait que sa demande, fondée sur l’admission exceptionnelle au séjour, n’avait pas fait l’objet d’un examen particulier. La cour écarte ce moyen en relevant que si le préfet a visé des articles sans lien avec la demande, il a bien répondu sur le terrain de l’article L. 435-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Elle s’appuie sur les termes mêmes de la décision attaquée, qui reprennent les critères de ce régime dérogatoire. En effet, le juge retient que le préfet, en rejetant la demande au motif qu’elle « ne se justifie pas au regard de considérations humanitaires ou de motifs exceptionnels », a nécessairement entendu se placer sur le terrain de l’admission exceptionnelle. Cette démarche pragmatique permet au juge de dépasser les maladresses de rédaction de l’administration pour se concentrer sur l’intention véritable de l’auteur de l’acte. Le moyen tiré du défaut d’examen sérieux et particulier de la demande est donc logiquement écarté.

B. L’application de la théorie du motif surabondant

Le requérant contestait également le refus de séjour en ce qu’il lui opposait un doute sur l’authenticité de ses actes d’état civil. La cour administrative d’appel ne se prononce pas sur le bien-fondé de ce motif. Elle estime que celui-ci est surabondant et donc sans influence sur la légalité de la décision. Le juge considère en effet que « la préfète de Vaucluse aurait pris la même décision si elle s’était fondée uniquement sur le motif mentionné au point 5 ». Cette technique de neutralisation d’un motif erroné ou douteux permet de « sauver » un acte administratif qui repose par ailleurs sur un autre motif, légal et suffisant. En l’espèce, le refus était suffisamment justifié par l’absence de considérations humanitaires ou de motifs exceptionnels, rendant inopérante la discussion sur l’authenticité des documents. Cette approche renforce la stabilité des décisions administratives, qui ne peuvent être annulées pour un vice qui n’a pas exercé une influence déterminante sur leur contenu.

Une fois la régularité formelle de l’appréciation préfectorale ainsi confortée, la cour examine le bien-fondé de la décision au regard des critères substantiels de l’admission au séjour.

II. L’appréciation restrictive des conditions de l’admission au séjour

La cour administrative d’appel procède à une évaluation concrète de la situation du requérant et conclut que son intégration, bien que réelle, ne suffit pas à justifier son admission au séjour. Elle retient une interprétation stricte des motifs exceptionnels prévus par la loi (A) et juge que le refus de titre de séjour ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de l’intéressé (B).

A. La portée limitée de l’intégration professionnelle et sociale

Le juge reconnaît les efforts d’intégration du requérant, notant qu’il « justifie avoir été scolarisé », qu’il a « obtenu un certificat d’aptitude professionnelle agricole » et qu’il bénéficiait « d’un contrat d’apprentissage ». Toutefois, ces éléments positifs sont mis en balance avec d’autres considérations. La cour souligne « la faible durée de séjour en France » et le fait que l’intéressé est « célibataire, sans charge de famille et ne dispose pas de liens familiaux en France ». De plus, il n’établit pas être dépourvu d’attaches dans son pays d’origine. La conjonction de ces éléments conduit le juge à conclure que le préfet n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en estimant que la situation ne revêtait pas un caractère humanitaire ou exceptionnel. Cette décision illustre que, dans le cadre du large pouvoir d’appréciation que lui confère l’article L. 435-1, l’administration peut légalement faire primer la brièveté du séjour et l’absence de liens familiaux sur une intégration professionnelle réussie.

B. L’absence d’une atteinte disproportionnée à la vie privée

Le requérant invoquait également l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Pour écarter ce moyen, la cour réitère les éléments de fait déjà pris en compte. Elle rappelle que l’étranger « ne serait entré en France qu’en 2020 », qu’il est « célibataire, sans charge de famille et ne dispose pas de liens familiaux en France ». Elle en déduit que le refus de séjour ne porte pas une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale. La décision s’inscrit dans une jurisprudence constante selon laquelle l’intensité des liens personnels et familiaux tissés en France est une condition centrale pour qu’un étranger, particulièrement s’il est en situation irrégulière et présent depuis peu, puisse se prévaloir d’une protection au titre de sa vie privée. La cour estime ici que les relations professionnelles et personnelles nouées, attestées par des témoignages élogieux, ne suffisent pas à constituer un centre de la vie privée dont la rupture serait contraire aux exigences de la Convention, face à la légitimité du contrôle des flux migratoires par l’État.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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