Par un arrêt en date du 16 septembre 2025, une cour administrative d’appel s’est prononcée sur la légalité d’une obligation de quitter le territoire français et de la décision fixant le pays de renvoi, prises à l’encontre d’un ressortissant étranger. En l’espèce, un individu de nationalité sénégalaise, entré en France en 2022, avait vu sa demande d’asile définitivement rejetée par la Cour nationale du droit d’asile. En conséquence, l’autorité préfectorale avait édicté à son encontre, le 19 décembre 2023, une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, une décision fixant le pays de destination et une interdiction de retour d’une durée d’un an. Saisi par l’intéressé, le tribunal administratif de Montpellier, par un jugement du 22 février 2024, a annulé l’interdiction de retour, mais a rejeté le surplus des conclusions, validant ainsi la mesure d’éloignement et la décision de renvoi. Le requérant a donc interjeté appel de ce jugement en ce qu’il n’avait pas fait droit à sa demande d’annulation de l’obligation de quitter le territoire et de la décision désignant son pays d’origine. Il soutenait que la mesure d’éloignement portait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale, garanti par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et que la décision de renvoi l’exposait à des traitements contraires à l’article 3 de cette même convention. Il appartenait donc à la juridiction d’appel de déterminer, d’une part, si les éléments de vie privée et d’insertion invoqués par le requérant étaient de nature à rendre l’obligation de quitter le territoire français illégale et, d’autre part, si les risques allégués en cas de retour dans son pays d’origine suffisaient à faire obstacle à son éloignement, nonobstant le rejet de sa demande d’asile. Par sa décision, la cour rejette la requête, considérant que ni l’atteinte à la vie privée et familiale n’est disproportionnée, ni les risques de traitements inhumains ou dégradants ne sont établis. Ce faisant, elle confirme une appréciation stricte du droit au respect de la vie privée et familiale (I), tout en réaffirmant le poids de la procédure d’asile dans l’évaluation des risques encourus en cas de retour (II).
I. Une appréciation stricte de l’atteinte à la vie privée et familiale
La juridiction d’appel, pour confirmer la légalité de l’obligation de quitter le territoire français, procède à une mise en balance rigoureuse des intérêts en présence (A), laquelle la conduit à considérer que les éléments d’intégration présentés par le requérant ont une portée limitée (B).
A. La mise en balance des intérêts en présence
Le juge administratif opère un contrôle de proportionnalité entre le droit au respect de la vie privée et familiale du requérant et les objectifs de la politique migratoire. Il examine avec attention les différents arguments soulevés par l’intéressé, mais constate que ceux-ci ne suffisent pas à établir une atteinte excessive à ses droits. La cour relève que la présence de l’étranger sur le territoire national, bien que remontant à mai 2022, était principalement justifiée par l’examen de sa demande d’asile. Elle écarte ensuite un à un les autres éléments, notant que son investissement dans des actions de bénévolat « ne suffisent pas à établir une insertion sociale notable ». Concernant sa vie affective, elle juge que « les attestations produites ne permettent pas d’établir l’existence d’une communauté de vie, à la date de l’arrêté contesté ». Enfin, l’existence d’une promesse d’embauche est écartée car « cet élément est postérieur à la décision en litige et est par suite, sans incidence sur sa légalité ». Cette analyse factuelle rigoureuse conduit à une solution qui, bien que classique, interroge sur la portée des éléments de vie privée invoqués.
B. La portée limitée des éléments d’intégration
En refusant de voir dans la situation du requérant une insertion suffisante pour faire obstacle à l’éloignement, la cour réaffirme une jurisprudence constante. La précarité du séjour, exclusivement liée à une procédure d’asile qui a échoué, fragilise considérablement l’argumentation fondée sur l’article 8 de la Convention européenne. La décision souligne implicitement que les liens tissés durant cette période ne sauraient conférer un droit au maintien sur le territoire. Il est intéressant de noter que la cour prend soin de distinguer son appréciation de celle qui a pu justifier l’annulation de l’interdiction de retour par le premier juge. Elle admet que l’appréciation de la situation de l’étranger, « au regard notamment des critères fixés à l’article L. 612-10 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, a pu justifier l’annulation de l’interdiction de retour », mais juge cette même situation « insuffisante pour justifier l’annulation de la mesure d’éloignement ». Cette distinction met en lumière la gradation des exigences du législateur et du juge : les conditions pour être exempté d’une interdiction de retour sont moins strictes que celles requises pour obtenir l’annulation d’une obligation de quitter le territoire.
II. Une confirmation du poids de la décision de la Cour nationale du droit d’asile
S’agissant de la légalité de la décision fixant le pays de renvoi, le juge administratif se fonde largement sur l’issue de la procédure d’asile pour écarter le grief tiré de l’article 3 de la Convention européenne, constatant l’insuffisance des preuves d’un risque personnel et actuel (A), ce qui illustre le rôle devenu résiduel du juge de l’excès de pouvoir en la matière (B).
A. L’insuffisance des preuves du risque personnel et actuel
Pour contester son renvoi vers son pays d’origine, l’intéressé invoquait les risques encourus en raison de son orientation sexuelle. Le juge d’appel rappelle qu’il appartient à l’étranger d’établir l’existence de tels risques. Or, en l’espèce, il considère cette preuve non rapportée. La cour estime en effet que le requérant « ne produit au soutien de sa requête aucun élément de nature à circonstancier ses craintes et à justifier les violences alléguées ». Plus encore, elle s’appuie de manière déterminante sur le rejet de la demande d’asile par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, décision confirmée par la Cour nationale du droit d’asile. Ce double rejet constitue pour la juridiction administrative un élément majeur d’appréciation, laissant entendre que les allégations de persécution ont déjà été examinées et jugées non fondées par les instances spécialisées. En s’appuyant de manière décisive sur ces décisions antérieures, le juge administratif délimite la portée de son propre contrôle.
B. Le rôle résiduel du juge de l’excès de pouvoir
Si en principe le juge de l’excès de pouvoir doit procéder à un examen propre et actuel de la situation de l’étranger au regard de l’article 3, la présente décision illustre la force probatoire quasi-irréfragable attachée à une décision de la Cour nationale du droit d’asile. La cour rappelle bien la règle selon laquelle « Un étranger ne peut être éloigné à destination d’un pays s’il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ». Toutefois, en l’absence d’éléments nouveaux et probants, postérieurs à la décision des instances de l’asile, le juge administratif se trouve dans une position où il ne peut que constater que le risque n’est pas établi. La solution n’est pas une simple réitération de la décision de la Cour nationale du droit d’asile, mais elle en constitue le prolongement logique. Cela démontre la difficulté pour un requérant débouté du droit d’asile de faire valoir utilement les mêmes craintes dans le cadre du contentieux de l’éloignement, sauf à produire des preuves nouvelles et circonstanciées que le juge de l’asile n’aurait pas pu examiner.