Par un arrêt en date du 16 septembre 2025, une cour administrative d’appel s’est prononcée sur les conditions d’octroi d’un titre de séjour pour raisons de santé. En l’espèce, un ressortissant étranger, entré régulièrement en France et victime d’un accident du travail ayant entraîné une paraplégie, avait initialement obtenu une autorisation de séjour sur le fondement de son état de santé. Suite à une demande de renouvellement, le préfet a opposé un refus, assorti d’une obligation de quitter le territoire français, en se fondant sur un nouvel avis médical. Saisi d’un recours contre cette décision, le tribunal administratif de Nîmes l’a rejeté par un jugement du 5 avril 2024. Le requérant a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant que le refus de titre de séjour méconnaissait les dispositions de l’article L. 425-9 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Il appartenait ainsi aux juges d’appel de déterminer si la gravité d’une pathologie, bien que stabilisée, suffisait à caractériser des conséquences d’une « exceptionnelle gravité » en cas de défaut de prise en charge, au sens de la législation applicable. La cour administrative d’appel rejette la requête, considérant que la condition tenant à l’exceptionnelle gravité des conséquences d’un défaut de soins n’était pas remplie, nonobstant la lourdeur de la pathologie de l’intéressé.
La décision commentée confirme l’interprétation stricte des critères régissant la délivrance d’un titre de séjour pour raisons médicales, en s’appuyant sur une appréciation souveraine des éléments de fait et de preuve soumis au juge. Cette approche rigoureuse illustre la place centrale de l’avis médical administratif dans le contentieux (I), tout en soulevant des interrogations sur la portée effective de la protection accordée aux étrangers malades (II).
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I. La confirmation d’une appréciation stricte des conditions médicales
L’arrêt réaffirme avec clarté le rôle déterminant de l’avis médical émis par l’Office français de l’immigration et de l’intégration (A) et en tire les conséquences en distinguant la sévérité d’une pathologie de la condition légale spécifique requise pour la délivrance du titre (B).
A. Le rôle prépondérant de l’avis du collège de médecins de l’OFII
La cour administrative d’appel rappelle, dans sa motivation, la procédure applicable en matière de demande de titre de séjour pour raisons de santé. L’article L. 425-9 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile institue un mécanisme où la décision de l’autorité administrative est prise « après avis d’un collège de médecins du service médical de l’Office français de l’immigration et de l’intégration ». Dans la présente affaire, le préfet s’est conformé à cette procédure en sollicitant un tel avis avant de statuer sur la demande de renouvellement.
La décision préfectorale de refus s’est ainsi fondée sur l’avis émis le 19 octobre 2023, selon lequel « le défaut d’une telle prise en charge ne devrait pas entraîner de conséquences d’une exceptionnelle gravité ». En validant le raisonnement du préfet, qui a suivi cet avis, la cour conforte la place centrale de cette expertise médicale administrative. Elle rappelle implicitement que, si cet avis ne lie pas le juge, il constitue un élément d’appréciation essentiel et souvent décisif. Le juge administratif exerce un contrôle sur la décision préfectorale, mais il ne substitue pas son appréciation médicale à celle des experts désignés par la loi, sauf à ce que le requérant apporte des éléments probants de nature à sérieusement contredire le sens de l’avis.
B. La distinction entre la gravité de la pathologie et l’exceptionnelle gravité des conséquences du défaut de soins
Le cœur du raisonnement des juges d’appel réside dans l’analyse de la situation concrète du requérant au regard des conditions posées par la loi. Le requérant présentait un état de santé particulièrement lourd, attesté par une « fracture vertébrale avec paraplégie », une reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé et un taux d’incapacité supérieur ou égal à 80 %. Ces éléments, non contestés, témoignaient d’une condition invalidante et d’une vulnérabilité manifeste.
Cependant, la cour opère une distinction juridique fondamentale. Elle ne nie pas la gravité de l’état de santé, mais elle recherche si le critère précis de la loi est rempli, à savoir si le défaut de prise en charge entraînerait des conséquences « d’une exceptionnelle gravité ». Or, elle constate, en se fondant notamment sur un certificat médical faisant état d’une « amélioration significative », qu’aucune pièce versée au dossier ne permettait d’établir cette condition au jour de la décision attaquée. Ainsi, une pathologie, même très sévère et ayant entraîné un handicap permanent, ne satisfait pas nécessairement à l’exigence légale, dès lors qu’elle est considérée comme stabilisée et que l’arrêt des soins n’aurait pas les conséquences extrêmes visées par le texte.
II. La portée limitée de la protection accordée à l’étranger malade
Cette solution, si elle est juridiquement fondée sur une lecture littérale du texte, conduit à interroger la finalité du dispositif de protection (A) et révèle les limites du contrôle du juge administratif, qui se refuse à examiner l’ensemble des conditions légales lorsque l’une d’elles fait défaut (B).
A. Une interprétation rigoureuse de la vulnérabilité médicale
En exigeant la preuve de conséquences d’une « exceptionnelle gravité » et en considérant qu’une amélioration, même relative, peut suffire à écarter ce critère, la cour adopte une conception restrictive de la protection due à l’étranger malade. Cette approche peut paraître sévère au regard de la situation d’un individu souffrant de séquelles irréversibles et lourdement handicapantes. La décision illustre une forme de paradoxe : un système de soins performant qui stabilise l’état d’un patient peut, par cette stabilisation même, le priver du droit de séjour qui lui permettait d’accéder à ces soins.
Le législateur a manifestement entendu réserver le bénéfice de cette protection à des cas extrêmes, afin d’éviter un détournement de la procédure. Toutefois, l’appréciation faite en l’espèce montre que la barre est placée très haut pour le demandeur. La charge de la preuve qui pèse sur lui est considérable, puisqu’il doit non seulement démontrer sa pathologie mais aussi anticiper et prouver la nature exceptionnellement grave des conséquences d’une interruption de son suivi médical, ce qui relève souvent de l’hypothèse et du pronostic.
B. L’économie de l’examen des conditions d’accès aux soins dans le pays d’origine
De manière significative, la cour écarte la question de la disponibilité d’un traitement dans le pays d’origine de l’intéressé. Elle précise qu’il n’est « pas besoin de se prononcer sur la possibilité pour [le requérant] de bénéficier effectivement d’un traitement approprié à son état de santé dans son pays d’origine ». Cette posture, conforme au principe de l’économie de moyens, est fréquente dans le raisonnement juridictionnel. Dès lors que l’une des conditions cumulatives posées par l’article L. 425-9 n’est pas remplie, l’examen des autres devient inutile.
Néanmoins, cette méthode a pour effet d’éluder un débat souvent complexe et central sur la réalité de l’offre de soins dans le pays de renvoi. L’analyse se concentre uniquement sur la situation médicale intrinsèque du requérant en France, sans la mettre en perspective avec ce qui l’attendrait en cas de retour. Cette décision confirme que la condition relative à l’exceptionnelle gravité constitue le premier et principal verrou d’accès au titre de séjour pour soins. En validant cette approche séquentielle et rigide, l’arrêt contribue à faire de ce critère un filtre absolu, réduisant d’autant la portée de la protection humanitaire voulue par le législateur.