Par un arrêt en date du 16 septembre 2025, la Cour administrative d’appel a précisé les conditions d’appréciation du droit au séjour d’un étranger au regard de l’équilibre entre le respect de la vie privée et familiale et la protection de l’ordre public.
En l’espèce, un ressortissant étranger, entré sur le territoire national en 1995, avait bénéficié d’une carte de résident jusqu’en 2015, date à laquelle il n’en a pas sollicité le renouvellement. En 2021, il a présenté une demande d’admission exceptionnelle au séjour en invoquant sa longue présence en France et la nationalité française de ses trois enfants, dont un mineur. Le préfet a rejeté sa demande par une décision du 30 mai 2022. Saisi par l’intéressé, le tribunal administratif a rejeté le recours formé contre cette décision. Le requérant a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant que le refus de titre de séjour portait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale, garanti par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et méconnaissait les dispositions relatives à l’admission exceptionnelle au séjour ainsi que l’intérêt supérieur de son enfant.
La question de droit soumise à la cour était donc de déterminer si le refus d’octroyer un titre de séjour à un étranger, présent de longue date sur le territoire et père d’enfants français, constituait une ingérence disproportionnée dans son droit au respect de la vie privée et familiale, au regard de son comportement jugé menaçant pour l’ordre public et de la faiblesse de son intégration.
La Cour administrative d’appel rejette la requête, considérant que la décision du préfet n’est pas entachée d’illégalité. Elle juge que la menace pour l’ordre public que représente le comportement du requérant, combinée à l’absence de preuve de liens privés et familiaux suffisamment intenses et d’une insertion socio-professionnelle, justifie le refus de séjour. L’atteinte portée au droit au respect de la vie privée et familiale n’est ainsi pas jugée disproportionnée par rapport aux buts poursuivis par la décision.
La solution retenue par la cour illustre la méthode du bilan appliquée par le juge administratif, où la protection de l’ordre public constitue un impératif majeur susceptible de primer sur le droit à la vie familiale. Il convient ainsi d’analyser l’appréciation rigoureuse faite par la cour des conditions de l’intégration (I), avant d’étudier la portée conférée à la menace à l’ordre public dans le cadre du contrôle de la décision administrative (II).
I. L’appréciation rigoureuse des critères d’intégration privée et familiale
La cour procède à une évaluation stricte des éléments avancés par le requérant pour justifier de son droit au séjour, en examinant d’une part l’effectivité des liens familiaux (A) et d’autre part l’absence d’une insertion socio-professionnelle avérée (B).
A. L’insuffisante démonstration de l’intensité des liens familiaux
La cour administrative d’appel, pour écarter la violation de l’article 8 de la Convention européenne, examine concrètement la réalité des liens que le requérant allègue entretenir avec ses enfants français. Elle constate que l’intéressé « ne produit toutefois aucun élément circonstancié au soutien de ses allégations permettant de caractériser la nature et l’intensité des liens qu’il entretient avec ces derniers ». Cette approche factuelle souligne une exigence probatoire stricte qui pèse sur le demandeur. La seule existence de liens de filiation, même avec un enfant mineur, ne suffit pas à établir une vie privée et familiale dont le respect imposerait la délivrance d’un titre de séjour.
De surcroît, la cour relève que le requérant ne justifie pas « de la contribution à l’éducation et à l’entretien de son enfant mineur ». En se contentant d’indiquer qu’il participe à proportion de ses facultés sans l’établir, il échoue à démontrer l’un des piliers de l’autorité parentale et de la réalité du lien familial. La décision enseigne que la durée de présence sur le territoire, même de vingt-sept années, ne saurait pallier l’absence de preuves tangibles d’une vie familiale stable et effective. L’analyse ne se limite donc pas à une simple constatation formelle, mais s’attache à la substance même des relations familiales, dont le caractère ténu affaiblit considérablement la position du requérant.
B. L’absence d’une insertion socio-professionnelle probante
Au-delà de la sphère familiale, la cour examine la situation du requérant au regard des dispositions de l’article L. 435-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, qui permettent une régularisation pour des motifs exceptionnels ou humanitaires. Là encore, le contrôle se révèle concret et exigeant. La cour note que « M. B… ne justifie d’aucune une insertion socio-professionnelle avérée depuis son entrée en France au cours de l’année 1995 ». L’absence de toute expérience professionnelle significative, de diplômes ou même d’une simple promesse d’embauche est un facteur déterminant du rejet.
Cette analyse confirme que l’admission exceptionnelle au séjour par le travail suppose que le demandeur puisse faire valoir un potentiel d’intégration économique, ce qui fait ici défaut. La situation de précarité et d’isolement de l’intéressé, vivant « sans domiciliation stable », renforce cette conclusion. En conséquence, ni les considérations humanitaires, ni les motifs exceptionnels ne peuvent être retenus. La cour valide ainsi une conception de l’admission au séjour qui repose non seulement sur une présence durable, mais également sur une capacité démontrée à s’insérer dans la société française par le travail et par des liens sociaux effectifs.
Cette double exigence d’une intégration familiale et professionnelle substantielle prépare le terrain à l’examen du second pôle du bilan effectué par le juge : la menace à l’ordre public, dont le poids s’avère décisif dans la solution du litige.
II. La prévalence de la menace à l’ordre public dans le contrôle de la décision
La décision de la cour confirme la place centrale de la notion d’ordre public dans le contentieux du droit des étrangers. Elle réaffirme le large pouvoir d’appréciation de l’administration en la matière (A), tout en relativisant la portée d’autres principes, tel que l’intérêt supérieur de l’enfant (B).
A. La confirmation du pouvoir d’appréciation de l’administration
Face aux arguments du requérant, la cour accorde un poids déterminant à la menace que son comportement représente pour l’ordre public. Elle s’appuie sur les motifs de la décision préfectorale, qui font état d’un casier judiciaire mentionnant plusieurs condamnations pour conduite sous l’empire d’un état alcoolique en récidive. Le fait que l’appelant ne conteste pas la matérialité de ces faits, qualifiés par la cour de « trajectoire délinquante », est essentiel. L’administration dispose, sous le contrôle du juge, d’une marge d’appréciation importante pour évaluer si le comportement d’un étranger constitue une menace pour la société.
La cour précise que le préfet, en refusant le titre de séjour, « n’a pas porté au droit respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts poursuivis ». Cette formule consacre la mise en balance des intérêts en présence : d’un côté, un droit à la vie familiale fondé sur des liens jugés faibles ; de l’autre, la nécessité de défendre l’ordre et la sécurité publics. Dans ce cas d’espèce, le second impératif l’emporte nettement sur le premier. L’arrêt confirme ainsi une jurisprudence constante selon laquelle des condamnations pénales, même anciennes si elles révèlent une persistance dans un comportement délictueux, peuvent légalement fonder un refus de séjour.
B. La portée limitée de l’intérêt supérieur de l’enfant
Le requérant invoquait également l’article 3, paragraphe 1, de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant, qui impose de faire de l’intérêt supérieur de l’enfant une considération primordiale. La cour écarte ce moyen par un raisonnement en deux temps d’une grande rigueur. D’abord, elle juge le moyen « inopérant » en tant qu’il vise l’éloignement du requérant, car la décision attaquée est un simple refus de titre et « n’a ni pour objet ni pour effet d’éloigner M. B… ». Cette distinction technique est classique mais fondamentale : le refus de séjour et la mesure d’éloignement sont deux actes juridiquement distincts, n’emportant pas les mêmes conséquences directes.
Ensuite, et à titre subsidiaire, la cour rappelle que le requérant « ne justifie, au demeurant, pas entretenir des liens » avec son fils mineur. Cette motivation démontre que l’invocation de l’intérêt supérieur de l’enfant ne peut prospérer in abstracto. Pour que ce principe puisse être utilement invoqué contre un refus de séjour, il doit reposer sur une situation factuelle où le lien de l’enfant avec son parent est réel et où la décision administrative aurait pour effet de compromettre cet intérêt de manière tangible. En l’absence d’une telle preuve, l’argument devient accessoire et ne saurait suffire à infléchir la décision de l’administration, surtout face à des considérations d’ordre public jugées sérieuses.