Par un arrêt en date du 17 juillet 2025, la cour administrative d’appel se prononce sur la légalité de mesures d’éloignement prises à l’encontre d’un couple de ressortissants étrangers. Ces derniers, entrés régulièrement en France près de six ans auparavant sous couvert de visas de court séjour, avaient vu leurs demandes d’asile successivement rejetées par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides puis par la Cour nationale du droit d’asile. En conséquence, le préfet de l’Hérault avait édicté à leur encontre des obligations de quitter le territoire français, assorties d’une interdiction de retour d’une durée de quatre mois. Les intéressés avaient alors saisi le tribunal administratif de Montpellier, qui avait rejeté leurs recours. Saisie en appel, la cour devait donc examiner d’une part la régularité du jugement de première instance, critiqué pour son insuffisance de motivation, et d’autre part le bien-fondé des mesures d’éloignement au regard notamment du droit au respect de la vie privée et familiale des requérants, parents de quatre enfants mineurs. Il s’agissait alors pour le juge d’appel de déterminer si un magistrat de première instance doit motiver de manière distincte et circonstanciée son appréciation sur l’obligation de quitter le territoire et sur l’interdiction de retour qui l’accompagne. En outre, la cour devait apprécier si une mesure d’éloignement portait une atteinte disproportionnée à la vie familiale d’un couple présent depuis plusieurs années sur le territoire mais dont le séjour n’avait jamais été régularisé en dehors de la période d’instruction de la demande d’asile. À la première question, la cour répond par l’affirmative en annulant le jugement pour défaut de motivation s’agissant de l’interdiction de retour. Statuant par la voie de l’évocation et de l’effet dévolutif, elle rejette cependant au fond l’intégralité des prétentions des requérants, validant ainsi l’ensemble des décisions préfectorales.
La décision commentée se distingue par la dualité de son apport, rappelant d’une part l’exigence d’une motivation circonstanciée pour chaque sanction administrative, tout en confirmant d’autre part une approche rigoureuse dans l’appréciation de la vie privée et familiale face à la précarité du séjour.
I. La sanction d’une motivation insuffisante du jugement de première instance
La cour administrative d’appel opère une distinction nette dans son contrôle de la motivation du jugement déféré, se montrant plus exigeante pour l’interdiction de retour que pour l’obligation de quitter le territoire, ce qui conduit à une annulation partielle mais qui demeure sans incidence sur la solution finale.
A. L’exigence d’une motivation spécifique pour l’interdiction de retour
Le juge d’appel censure le raisonnement du tribunal administratif en ce qu’il a statué sur la légalité de l’interdiction de retour sur le territoire français. Il estime que le premier juge « s’est borné à relever que le préfet de l’Hérault avait apprécié la situation des intéressés au regard des quatre critères prévus par l’article L. 612-10 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, puis à mentionner, sans autre précision, qu’il ne ressortait pas des pièces des dossiers que l’autorité préfectorale aurait commis, ce faisant, une erreur manifeste d’appréciation ». Une telle motivation, purement affirmative, ne permet pas de comprendre les raisons de fait et de droit qui ont conduit le magistrat à écarter le moyen des requérants. En se prononçant ainsi « sans indiquer les éléments de fait retenus pour forger son appréciation », le juge de première instance a méconnu l’obligation de motivation des jugements posée par l’article L. 9 du code de justice administrative. Cette solution rappelle que chaque décision administrative, même incluse dans un même arrêté, doit faire l’objet d’un examen distinct par le juge, dont la propre décision doit refléter la substance de cet examen. L’interdiction de retour, qui constitue une sanction complémentaire, suppose une analyse concrète des critères légaux que sont la durée de présence, les liens en France, les mesures d’éloignement antérieures et la menace à l’ordre public.
B. La validation de la motivation relative à l’obligation de quitter le territoire
À l’inverse, la cour estime que le jugement attaqué était suffisamment motivé s’agissant du rejet des moyens dirigés contre l’obligation de quitter le territoire français. Elle relève que le magistrat de première instance avait pris soin de rappeler « la date de leur entrée en France avec leurs deux premiers enfants et a relevé qu’ils n’établissaient pas être dépourvus d’attaches familiales dans leur pays d’origine ». Pour la cour, cette motivation, bien que succincte, était suffisante pour répondre aux moyens tirés de l’atteinte à l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et de l’erreur manifeste d’appréciation. Cette différence d’appréciation souligne une gradation dans le contrôle de la motivation. Le juge n’est pas tenu de répondre à chaque argument, mais doit exposer les considérations essentielles qui fondent sa décision. La motivation relative à l’obligation de quitter le territoire, qui repose sur un bilan global de la situation de l’étranger, peut être plus synthétique que celle portant sur l’interdiction de retour, qui exige une vérification point par point des critères légaux. L’annulation du jugement n’étant que partielle, elle permet à la cour, par l’effet dévolutif et l’évocation, de se saisir de l’entier litige pour le trancher définitivement au fond.
II. La confirmation du bien-fondé de la mesure d’éloignement
Statuant sur le fond du droit, la cour administrative d’appel valide l’analyse du préfet et procède à une application classique de la méthode du bilan, où la précarité du droit au séjour l’emporte sur les éléments d’intégration personnelle et familiale invoqués par les requérants.
A. La portée limitée de la durée de présence et des attaches familiales
La cour examine avec attention les arguments des requérants relatifs à leur vie privée et familiale, mais en minimise la portée. Elle reconnaît que les intéressés « étaient présents depuis plus de cinq ans en France à la date des arrêtés contestés », mais oppose immédiatement que leur séjour n’a été autorisé « que pour le temps de l’examen de leurs demandes d’asile », lesquelles ont été rejetées. Cette approche réaffirme une jurisprudence constante selon laquelle la durée de présence sur le territoire, lorsqu’elle s’est déroulée sous un statut précaire et n’a pas abouti à une régularisation, ne saurait constituer un obstacle dirimant à une mesure d’éloignement. De même, si la présence des quatre enfants et de membres de la famille en situation régulière est constatée, le juge la met en balance avec le fait que les requérants « n’établissent, ni même au demeurant n’allèguent, qu’ils seraient sans attaches en Ouzbékistan où ils ont passé l’essentiel de leur vie ». Ce faisant, la cour opère un contrôle de proportionnalité concret qui aboutit à la conclusion que les mesures d’éloignement ne portent pas une atteinte disproportionnée à leur droit au respect de la vie privée et familiale.
B. L’appréciation souveraine du juge sur l’absence d’erreur manifeste
Sur le terrain du contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation, tant pour l’obligation de quitter le territoire que pour l’interdiction de retour de quatre mois, le juge d’appel confirme l’absence d’illégalité. Concernant l’interdiction de retour, bien qu’il relève des éléments en faveur des requérants, tels que leur absence d’antécédents et le fait qu’ils ne représentent pas une menace pour l’ordre public, il estime que la durée de quatre mois n’est pas excessive au regard de l’ensemble de leur situation. Cette analyse démontre que même en l’absence de menace à l’ordre public, une interdiction de retour peut être légalement prononcée sur le fondement de l’article L. 612-8 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Le juge exerce ici un contrôle restreint et ne censure que les décisions qui seraient manifestement disproportionnées. En l’espèce, la durée limitée de l’interdiction, combinée à la situation globale de la famille, a conduit la cour à considérer que le préfet n’avait pas commis une telle erreur. L’arrêt illustre ainsi la marge d’appréciation laissée à l’administration, et confirmée par le juge, dans la mise en œuvre de la politique de lutte contre l’immigration irrégulière.