Par un arrêt rendu le 18 février 2025, la cour administrative d’appel se prononce sur la responsabilité d’un établissement hospitalier public à la suite du décès d’un patient survenu dix jours après sa sortie. Un homme, âgé de soixante-deux ans et atteint d’une pathologie pulmonaire grave, avait subi une intervention chirurgicale thoracique complexe. Libéré un vendredi en fin de journée, son état s’est dégradé à son domicile jusqu’à son décès. Ses ayants droit, estimant qu’une faute avait été commise dans le suivi post-opératoire, ont recherché la responsabilité du centre hospitalier ainsi que l’indemnisation au titre de la solidarité nationale. En première instance, le tribunal administratif de Montpellier, par un jugement du 3 octobre 2022, avait rejeté l’ensemble de leurs demandes. Les requérants ont alors interjeté appel, soutenant que l’établissement avait manqué à ses obligations en n’organisant pas une surveillance adéquate après l’hospitalisation, ce que le centre hospitalier contestait en niant toute faute et tout lien de causalité avec le décès. Il revenait donc à la cour de déterminer si une faute dans l’organisation du suivi post-opératoire d’un patient pouvait engager la responsabilité d’un établissement public hospitalier et, le cas échéant, comment évaluer la réparation du préjudice lorsque cette faute n’avait fait que compromettre les chances de survie du patient. La cour administrative d’appel, infirmant le jugement de première instance, retient la responsabilité de l’hôpital en considérant que les manquements dans l’organisation des soins à la sortie du patient sont constitutifs d’une faute ayant fait perdre à ce dernier une chance de survie évaluée à cinquante pour cent. La décision consacre ainsi une responsabilité pour un défaut dans l’organisation du suivi post-hospitalier (I), tout en faisant une application mesurée de la théorie de la perte de chance pour en déterminer les conséquences indemnitaires (II).
I. La consécration d’une faute dans l’organisation du suivi post-hospitalier
La cour identifie la responsabilité de l’établissement public de santé en retenant une double défaillance fautive. Elle sanctionne d’abord un manquement manifeste à l’obligation de coordonner les soins à la sortie du patient (A), puis elle caractérise une négligence coupable face aux risques infectieux qui s’étaient pourtant manifestés (B).
A. Le manquement à l’obligation de coordination des soins à la sortie du patient
La décision met en lumière que la responsabilité d’un service hospitalier ne s’arrête pas au seuil de l’établissement. En l’espèce, le juge relève que « la sortie de [l’intéressé], le 3 février 2017, un vendredi en fin d’après-midi sans qu’un suivi soit organisé avec le médecin traitant, lequel ne l’a examiné que près de quatre jours après son retour à domicile, ou, tout au moins avec la famille, pour coordonner les soins et la kinésithérapie respiratoire […] constitue une faute dans l’organisation et le fonctionnement du service ». La cour souligne ainsi que la prescription de soins post-opératoires, en l’occurrence des séances de kinésithérapie respiratoire essentielles, demeure vaine si leur mise en œuvre effective n’est pas assurée par une transition organisée entre l’hôpital et la médecine de ville. Le contexte de cette sortie, à la veille d’un week-end et seulement quarante-huit heures après la fin d’une surveillance intensive, rendait cette coordination d’autant plus impérative. La juridiction estime donc que l’établissement, en s’abstenant de toute démarche de liaison, a failli à son devoir de continuité des soins, particulièrement auprès d’un patient dont la fragilité respiratoire était connue et venait d’être aggravée par une chirurgie lourde.
B. L’indifférence fautive aux risques infectieux post-opératoires
Au-delà du défaut d’organisation matérielle des soins, la cour retient une seconde faute liée à l’absence de surveillance d’un risque infectieux pourtant identifiable. Le rapport d’expertise avait en effet noté qu’un bilan sanguin réalisé le jour de la sortie révélait « un niveau très élevé de protéine C réactive, signe d’un syndrome inflammatoire » et que l’aspect des cicatrices était suspect. Pour la cour, l’absence de suivi extrahospitalier et de liaison avec le médecin traitant a eu pour conséquence de ne pas permettre « une prise en charge efficace du syndrome infectieux, qui n’a fait que se développer à domicile ». Ce faisant, le juge administratif considère que les signaux d’alerte cliniques et biologiques disponibles avant la sortie du patient auraient dû conduire le service à une vigilance accrue et à la mise en place d’un protocole de surveillance spécifique. L’inaction de l’établissement face à ces indicateurs constitue un « défaut de suivi […] également fautif », car il a privé le patient d’une adaptation de son traitement et d’une prise en charge rapide de l’infection, laquelle a finalement contribué à l’issue fatale. La faute est donc caractérisée non seulement dans l’organisation mais aussi dans l’anticipation des risques inhérents à l’état du patient.
II. Une réparation encadrée par la théorie de la perte de chance
Après avoir établi l’existence d’une faute, la cour s’attache à en déterminer les conséquences juridiques. Elle procède à une appréciation souveraine du lien de causalité et de l’ampleur de la chance perdue (A), avant d’appliquer de manière rigoureuse l’abattement qui en résulte sur l’ensemble des postes de préjudices (B).
A. L’appréciation souveraine du lien de causalité et de l’ampleur de la chance perdue
La cour établit un lien de causalité direct entre les manquements fautifs de l’établissement et le décès du patient. Toutefois, elle reconnaît que la pathologie initiale de ce dernier et son état de santé général constituaient des facteurs de risque majeurs. Le décès n’est donc pas la conséquence exclusive de la faute, mais celle-ci a incontestablement compromis les chances du patient de survivre. C’est pourquoi le juge recourt à la théorie de la perte de chance, considérant que le préjudice réparable « n’est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d’éviter que ce dommage soit advenu ». Pour en mesurer l’étendue, la cour se livre à une analyse concrète de la situation, notant que le pronostic vital du patient n’était pas engagé à très court terme. Elle estime que les fautes commises « sont à l’origine d’une perte de chance pour la victime d’éviter le décès qu’il convient de fixer à 50% ». Ce taux, déterminé souverainement, traduit un partage de causalité entre la faute de l’hôpital et l’état antérieur du patient. Il permet d’indemniser le préjudice certain né de la disparition d’une probabilité favorable, sans faire peser sur l’établissement la charge d’un dommage auquel il n’a que partiellement contribué.
B. L’application distributive de l’abattement sur l’ensemble des postes de préjudices
La méthode de réparation adoptée par la cour témoigne d’une grande rigueur. L’indemnisation n’est pas fixée globalement, mais calculée distinctement pour chaque poste de préjudice, avant que le taux de perte de chance ne soit appliqué. Ainsi, pour les souffrances endurées par la victime avant son décès, le préjudice est d’abord évalué à 15 000 euros, puis l’indemnité due par l’hôpital est ramenée à 7 500 euros. De même, la cour procède à une évaluation détaillée des préjudices économiques subis par l’épouse et l’un des enfants, en capitalisant les pertes de revenus futurs, et applique ensuite l’abattement de cinquante pour cent sur les montants obtenus. Cette approche distributive est également retenue pour les frais d’obsèques et les préjudices d’affection et d’accompagnement des proches. Une telle ventilation garantit que la réparation correspond précisément à la fraction du dommage imputable à l’établissement. Elle illustre la volonté du juge administratif de ne réparer que le préjudice directement et certainement causé par la faute, en procédant à une liquidation analytique qui assure la juste adéquation entre la responsabilité engagée et l’indemnité allouée.