La Cour administrative d’appel de Toulouse s’est prononcée le 2 octobre 2025 sur la responsabilité de la puissance publique découlant des conditions d’accueil des anciens harkis.
La descendante d’un ancien supplétif de l’armée française critiquait les conditions de vie indignes imposées à sa famille au sein de centres de transit et de camps.
Le tribunal administratif de Toulouse rejeta la requête indemnitaire le 18 juin 2020, décision confirmée par un arrêt frappé de cassation partielle devant le Conseil d’État.
La juridiction de renvoi doit trancher le conflit entre le régime spécial de réparation de 2022 et le droit commun pour les instances juridictionnelles déjà engagées.
Elle examine également le point de départ de la prescription quadriennale pour des dommages résultant d’une situation d’exclusion ayant pris fin plusieurs décennies avant la demande.
La Cour retient la survie de la responsabilité de droit commun pour le présent litige tout en concluant à l’extinction de la créance par l’écoulement du temps.
I. La survie de la responsabilité de droit commun
A. L’exclusion du régime de réparation forfaitaire
La loi du 23 février 2022 institue un mécanisme de reconnaissance et de réparation des préjudices subis par les harkis du fait de leurs conditions d’accueil.
Ce texte prévoit une somme forfaitaire dont le montant est « réputé couvrir l’ensemble des préjudices de toute nature subis en raison de ce séjour » en France.
La Cour administrative d’appel de Toulouse juge cependant que ce régime n’est pas applicable aux instances engagées antérieurement en l’absence de dispositions transitoires spécifiques.
Le juge administratif doit donc régler les litiges en cours en faisant application des règles générales régissant la responsabilité pour faute de la puissance publique.
B. La persistance de l’obligation de prouver la faute
La requérante sollicite l’indemnisation des préjudices liés à une détention arbitraire et à des conditions de vie contraires à la dignité humaine durant son enfance.
La décision de renvoi impose d’examiner si les manquements de l’administration aux droits fondamentaux sont de nature à engager sa responsabilité selon les principes classiques.
L’application du droit commun permet de maintenir une appréciation globale des dommages subis sans se limiter au barème forfaitaire prévu par le nouveau dispositif.
Cette solution préserve les droits des justiciables ayant saisi la justice avant l’entrée en vigueur de la réforme législative tout en encadrant strictement les délais.
II. L’opposabilité de la prescription quadriennale
A. La connaissance stabilisée du préjudice subi
La loi du 31 décembre 1968 prévoit la prescription des créances sur l’administration après un délai de quatre ans à compter du premier jour de l’année suivante.
Le point de départ du délai est fixé à la date où la réalité et l’étendue des dommages sont entièrement révélées à la victime concernée.
La Cour estime que les intéressés disposaient d’indications suffisantes pour agir dès leur sortie du camp en 1976 ou, au plus tard, à leur majorité.
Elle précise que la survenance de jurisprudences favorables ne constitue pas le fait générateur de la créance et n’empêche pas le cours du délai de prescription.
B. L’absence de circonstances justifiant le relèvement du délai
Le préjudice moral invoqué ne présente pas de caractère continu et doit être rattaché à l’année durant laquelle les conditions indignes d’hébergement ont cessé.
L’administration est tenue d’opposer la prescription sans que les promesses politiques ou les tentatives de réparation législatives ultérieures ne puissent valablement interrompre ce délai légal.
La requérante ne peut obtenir le relèvement de la prescription devant le juge sans avoir préalablement adressé une demande spécifique en ce sens à l’autorité administrative.
L’arrêt conclut ainsi au rejet de la requête indemnitaire en raison de la tardiveté de la réclamation préalable formulée seulement au cours de l’année 2017.