Par une ordonnance en date du 2 octobre 2025, le président de la cour administrative d’appel de Toulouse s’est prononcé sur les conditions de mise en œuvre de la procédure de référé-expertise prévue à l’article R. 532-1 du code de justice administrative.
En l’espèce, un professeur des écoles, placé en arrêt de travail suite à un contexte professionnel conflictuel, a sollicité la reconnaissance de sa pathologie en tant que maladie professionnelle. Après un avis défavorable du comité médical départemental, son administration de tutelle a refusé de reconnaître l’imputabilité au service de son affection. L’agent a alors saisi le juge des référés du tribunal administratif de Nîmes d’une demande d’expertise sur le fondement de l’article R. 532-1 du code de justice administrative. Par une ordonnance du 18 février 2025, le juge des référés a rejeté sa demande au motif que la mesure ne présentait pas un caractère utile. L’agent public a interjeté appel de cette ordonnance, soutenant notamment l’insuffisante motivation du premier juge et l’utilité de l’expertise sollicitée en vue d’un futur contentieux en annulation et d’une éventuelle action indemnitaire.
Il convenait donc pour la cour de déterminer si une demande d’expertise en référé revêt un caractère utile alors même qu’existent déjà plusieurs rapports médicaux et que l’état de santé du demandeur n’est pas consolidé.
À cette question, le juge d’appel répond par la négative, confirmant ainsi le raisonnement du premier juge. Il estime que l’existence de plusieurs expertises, bien que non judiciaires et présentant des divergences, fournit au juge du fond des éléments d’appréciation suffisants, ce dernier conservant la faculté d’ordonner lui-même une nouvelle mesure d’instruction. Le juge ajoute qu’une expertise visant à évaluer des préjudices serait prématurée dès lors que l’état de santé de l’intéressé n’est pas consolidé, privant ainsi la mesure de son utilité pour un éventuel contentieux indemnitaire.
Cette décision conduit à examiner la conception stricte de l’utilité de l’expertise retenue par le juge des référés (I), laquelle repose sur une approche pragmatique de l’administration de la preuve (II).
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I. Une appréciation rigoureuse du critère d’utilité de l’expertise
Le juge des référés d’appel confirme une application rigoureuse de la condition d’utilité posée par l’article R. 532-1 du code de justice administrative. Cette appréciation se fonde d’une part sur la primauté des pouvoirs d’instruction du juge du fond (A) et, d’autre part, sur une analyse concrète des éléments déjà versés au dossier (B).
A. La subordination de l’intervention du juge du référé-expertise aux pouvoirs du juge du fond
La décision commentée rappelle que l’utilité d’une mesure d’expertise en référé doit s’apprécier au regard de la perspective d’un litige principal. Or, en l’espèce, une requête en annulation contre le refus de reconnaissance d’imputabilité au service était déjà pendante. Le juge d’appel souligne que le juge du fond dispose de ses propres pouvoirs d’instruction pour éclairer sa décision. En affirmant que « la juridiction, s’il en était besoin, pourra user de ses pouvoirs d’instruction en vue d’ordonner une expertise », l’ordonnance marque une déférence à l’égard du juge du principal. Cette posture vise à éviter que la procédure de référé ne se substitue à l’instruction au fond ou ne la préempte. Le juge des référés n’a pas vocation à ordonner une mesure que le juge du fond est parfaitement à même de prescrire s’il l’estime nécessaire, garantissant ainsi une bonne administration de la justice et évitant la multiplication des expertises. L’autonomie du référé-expertise trouve ici sa limite dans la compétence première du juge du fond pour diriger l’instruction du litige dont il est saisi.
B. L’appréciation de l’utilité au regard des expertises existantes
Le requérant faisait valoir que les rapports d’expertise déjà produits étaient contradictoires, notamment sur le taux d’incapacité permanente partielle. Le juge ne retient pas cet argument pour justifier l’utilité d’une nouvelle expertise. Il relève au contraire que si « les avis des experts sollicités divergent s’agissant du taux d’incapacité permanente partielle à retenir, ils convergent toutefois sur l’existence d’un lien entre le syndrome anxiodépressif que présente [l’agent] et son activité professionnelle ». Cette convergence sur le point central du lien de causalité est jugée suffisante pour permettre au juge du fond d’apprécier la légalité de la décision administrative contestée. La divergence sur un point technique comme le taux d’incapacité est considérée comme secondaire à ce stade et pourra être débattue devant la formation de jugement. En procédant de la sorte, le juge des référés effectue un tri pragmatique entre les éléments essentiels et ceux qui relèvent plus finement de l’appréciation au fond, refusant d’ordonner une mesure qui n’apporterait pas d’éclairage substantiellement nouveau sur la question principale du litige.
L’analyse rigoureuse du critère d’utilité se double d’une approche réaliste quant à l’objet même de la demande d’expertise.
II. La confirmation d’une approche pragmatique de l’administration de la preuve
Au-delà de la question de l’imputabilité, la demande d’expertise visait également l’évaluation des préjudices de l’agent. Le rejet de ce chef de demande repose sur une logique pragmatique, tenant à l’état non consolidé de la victime (A), ce qui confirme le rôle subsidiaire du référé-expertise dans l’économie générale du procès administratif (B).
A. Le rejet d’une expertise prématurée en l’absence de consolidation
Le requérant entendait faire évaluer ses préjudices en vue d’une future action en responsabilité. Le juge écarte cette demande en se fondant sur un motif dirimant en droit du dommage corporel : l’absence de consolidation de l’état de santé de la victime. L’ordonnance indique qu’« une expertise réalisée à ce stade ne permettrait pas d’apprécier utilement les préjudices de l’intéressé, la demande est prématurée ». La consolidation est en effet le moment où les lésions se fixent et prennent un caractère permanent, permettant alors une évaluation définitive des préjudices. Ordonner une expertise avant cette date conduirait à une évaluation partielle et provisoire, donc de faible utilité pour le juge de l’indemnisation qui devra statuer sur une réparation intégrale. Cette solution, classique sur le fond, démontre que le critère d’utilité de l’article R. 532-1 doit être apprécié de manière concrète et fonctionnelle : une mesure n’est utile que si elle peut produire des résultats fiables et directement exploitables dans le cadre du litige potentiel.
B. La portée d’une décision d’espèce rappelant le caractère subsidiaire du référé-expertise
Cette ordonnance ne constitue pas un revirement de jurisprudence mais s’inscrit dans le courant qui conçoit le référé-expertise comme un instrument subsidiaire. Elle illustre que cette procédure ne saurait être utilisée pour pallier une carence probatoire qui peut être comblée par d’autres moyens ou devant une autre instance. Le juge rappelle implicitement que le demandeur dispose déjà d’éléments probants et qu’il lui appartiendra, devant le juge du fond, de critiquer les expertises existantes ou de solliciter une nouvelle mesure. La décision a la portée d’une décision d’espèce, sa solution étant étroitement liée aux faits, notamment à l’existence de quatre rapports médicaux et à l’état non consolidé de l’agent. Elle constitue néanmoins un rappel pédagogique à l’attention des justiciables sur les limites du référé-expertise, qui n’est ni une voie de recours contre des expertises privées jugées défavorables, ni un moyen d’anticiper l’instruction au fond de manière inconditionnée.