Par un arrêt en date du 20 février 2025, la Cour administrative d’appel a précisé les conditions de mise en œuvre de la procédure d’évaluation d’office en cas d’opposition à contrôle fiscal et a statué sur les conséquences qui en découlent pour le contribuable.
En l’espèce, un entrepreneur individuel exerçant une activité de sécurité privée a fait l’objet d’une vérification de comptabilité au titre des années 2015 à 2017. L’administration fiscale, n’ayant pu entrer en contact avec lui malgré plusieurs tentatives, a engagé une procédure d’évaluation d’office pour opposition à contrôle fiscal, lui notifiant des rehaussements en matière de taxe sur la valeur ajoutée et d’impôt sur le revenu. Le contribuable a saisi le tribunal administratif de Nîmes afin d’obtenir la décharge de ces impositions, mais sa demande a été rejetée. Il a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant que la procédure d’imposition était irrégulière et que les rappels d’impôts étaient infondés. Il contestait notamment la réalité de son opposition au contrôle fiscal, l’insuffisante motivation de la proposition de rectification et arguait que la charge de la preuve du caractère exagéré des impositions ne devait pas lui incomber.
Il était donc demandé aux juges d’appel de déterminer si les diligences de l’administration pour notifier un avis de vérification étaient suffisantes pour caractériser une opposition à contrôle fiscal. Il s’agissait également de statuer sur l’étendue des garanties procédurales dont peut se prévaloir un contribuable placé sous le régime de l’évaluation d’office.
La cour a jugé que l’administration fiscale, en adressant des courriers aux différentes adresses connues du contribuable et en se déplaçant au siège de son entreprise, avait accompli les diligences utiles pour le contacter. L’échec de ces tentatives, imputable en partie au contribuable, suffisait à caractériser une opposition à contrôle fiscal au sens de l’article L. 74 du livre des procédures fiscales. Par conséquent, la cour a confirmé que le contribuable, en se plaçant lui-même en dehors du cadre normal du contrôle, était déchu des garanties applicables à la procédure contradictoire, et qu’il lui appartenait de prouver le caractère exagéré des bases d’imposition retenues d’office par l’administration.
I. La consolidation de la notion d’opposition à contrôle fiscal et la restriction des garanties procédurales
La décision de la cour administrative d’appel confirme une conception extensive des actes constitutifs d’une opposition à contrôle fiscal (A), entraînant une perte quasi-totale des garanties normalement attachées à la procédure d’imposition (B).
A. La caractérisation de l’opposition à contrôle fiscal à l’aune des diligences de l’administration
La cour a examiné avec attention les démarches entreprises par le service vérificateur pour entrer en contact avec le contribuable. Elle a relevé que l’administration avait envoyé un avis de vérification de comptabilité, puis deux mises en garde, non seulement à l’adresse professionnelle déclarée mais aussi à deux autres adresses personnelles connues. Face au retour de tous ces plis avec la mention « destinataire inconnu à l’adresse », le vérificateur s’est déplacé à deux reprises au siège de l’entreprise.
La juridiction a estimé que ces démarches constituaient des « diligences utiles » pour notifier l’avis de vérification. En ne retenant pas les arguments du requérant, qui invoquait sans preuve une défaillance du service postal et ne justifiait pas pourquoi il n’avait pu être joint, la cour fait peser sur le contribuable une obligation de permettre à l’administration d’exercer son droit de contrôle. Le fait que l’intéressé ait omis de signaler un changement d’adresse ou de s’assurer que son nom figurait sur les dispositifs de contact de son immeuble lui est ainsi imputé. La décision est claire : « l’administration fiscale, qui s’est adressée par écrit à toutes les adresses connues du contribuable et s’est déplacée à deux reprises au siège de son entreprise, a mis en œuvre, en vain, toutes les diligences utiles pour entrer en contact avec » le requérant. Cette position entérine le fait que l’impossibilité matérielle d’effectuer le contrôle, lorsqu’elle résulte du comportement du contribuable, même passif, équivaut à une opposition.
B. La déchéance des garanties procédurales comme conséquence directe de l’opposition
En confirmant l’opposition à contrôle fiscal, la cour applique avec rigueur les conséquences prévues par le livre des procédures fiscales. Elle rappelle que le contribuable qui fait obstacle au contrôle « s’est de lui-même placé en dehors des règles applicables à la procédure d’imposition ». La conséquence principale est la perte du bénéfice des garanties qui encadrent tant la procédure contradictoire que certaines procédures d’office.
Ainsi, le requérant ne pouvait utilement soutenir que la proposition de rectification était insuffisamment motivée. Les exigences de l’article L. 57 du livre des procédures fiscales ne lui étant pas applicables, il ne pouvait pas davantage se prévaloir d’une violation des droits de la défense garantis par l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. De même, la cour écarte l’argument tiré de l’absence de notifications distinctes pour les rectifications de revenus catégoriels et leur incidence sur le revenu global, une garantie prévue par l’article L. 48 du même livre qui ne bénéficie pas au contribuable s’étant opposé au contrôle. Cette solution réaffirme le caractère de sanction procédurale de l’évaluation d’office pour opposition à contrôle fiscal, privant le contribuable de la plupart des protections qui lui auraient permis de discuter contradictoirement avec l’administration.
II. Le renversement de la charge de la preuve et ses effets sur la contestation du bien-fondé de l’imposition
Une fois l’opposition à contrôle fiscal établie, la charge de la preuve du caractère excessif des impositions repose entièrement sur le contribuable. L’arrêt illustre la difficulté de renverser cette présomption (A) et le rejet systématique des moyens insuffisamment étayés (B).
A. L’appréciation stricte de la force probante des pièces justificatives
La cour se montre particulièrement exigeante quant à la qualité des preuves apportées par le requérant pour contester le bien-fondé des rehaussements. Pour justifier de la déductibilité de la taxe sur la valeur ajoutée et de la contribution sur les activités privées de sécurité, le contribuable a produit plusieurs factures de fournisseurs. Cependant, la cour les a jugées insuffisantes.
Elle relève en effet que « de telles factures, qui n’ont au demeurant pas été présentées à l’administration à l’occasion de la réclamation préalable […], ne comportent, pour la plupart, pas de numéro d’identification […] et pour l’une d’entre elles, pas de désignation suffisamment précise de la dénomination de la prestation de services ». De plus, et de manière déterminante, la cour souligne que ces documents « ne sont accompagnés d’aucun justificatif de versement effectif d’un acompte ou de solde auprès des fournisseurs, de sorte que la preuve de l’exigibilité de la taxe […] n’est pas rapportée ». Cette approche rigoureuse montre que, dans le cadre d’une évaluation d’office, le contribuable ne peut se contenter de produire des factures ; il doit apporter une preuve complète et irréfutable de la réalité et du paiement des charges dont il demande la déduction.
B. Le rejet des contestations fondées sur des arguments inopérants ou non démontrés
Le requérant a tenté de contester les impositions par d’autres moyens, qui ont tous été écartés. Sa tentative de se prévaloir du régime d’autoliquidation de la TVA pour les travaux immobiliers a été rejetée, la cour jugeant que « les prestations de gardiennage qu’il réalise […] ne consistant pas en des travaux de construction ». De même, la contestation de la méthode de reconstitution des recettes a échoué, car le contribuable n’a pas démontré que le pourcentage de charges retenu par le service était sous-évalué.
Enfin, la demande de l’appelant de bénéficier de l’exonération prévue pour les entreprises créées en zone franche urbaine a été jugée irrecevable. La cour a relevé que le non-respect des obligations déclaratives dans les délais légaux faisait « obstacle […] à ce que l’appelant puisse utilement se prévaloir de l’exonération ». Cette accumulation de rejets illustre l’effet quasi-définitif de la procédure d’évaluation d’office : une fois que la charge de la preuve est inversée, le contribuable doit non seulement démontrer le caractère exagéré de l’imposition, mais aussi prouver qu’il remplit scrupuleusement toutes les conditions de fond et de forme pour bénéficier d’un régime de faveur ou d’une déduction.