Cour d’appel administrative de Toulouse, le 20 février 2025, n°24TL02770

En matière de contentieux fiscal, une société de droit allemand, venant aux droits d’une société française absorbée, a contesté des rehaussements d’impôt sur les sociétés et de taxe sur la valeur ajoutée ainsi qu’une amende fiscale résultant d’une vérification de comptabilité. La juridiction de première instance, par une ordonnance du 5 septembre 2024, a rejeté sa demande. Saisie en appel, la requérante a fait valoir que cette ordonnance était irrégulière, au motif qu’elle avait été prise sans qu’une invitation à régulariser sa requête, entachée d’une possible irrecevabilité, ne lui ait été préalablement adressée dans les formes requises. L’administration fiscale, en défense, avait en effet soulevé en première instance une fin de non-recevoir tirée du défaut d’intérêt à agir de la société absorbante, sans que cette dernière n’apporte les justifications nécessaires. Se posait dès lors la question de savoir si la simple communication à un requérant du mémoire en défense soulevant une irrecevabilité susceptible d’être couverte suffisait à permettre au juge de rejeter la requête par une ordonnance pour irrecevabilité manifeste, sans avoir mis en œuvre la procédure formelle d’invitation à la régularisation. Par un arrêt du 20 février 2025, la cour administrative d’appel annule l’ordonnance, estimant que le rejet d’une requête pour une irrecevabilité susceptible d’être couverte ne peut intervenir par ordonnance que si la procédure spécifique prévue à l’article R. 612-1 du code de justice administrative a été respectée.

La solution retenue par la cour administrative d’appel repose sur une application rigoureuse des dispositions régissant les pouvoirs de tri du juge administratif, réaffirmant ainsi la portée des garanties procédurales offertes au requérant (I). Cette décision consacre par conséquent le principe du jugement après audience publique comme la voie de droit commun pour statuer sur les irrecevabilités qui n’ont pas fait l’objet d’une tentative de régularisation formelle (II).

I. L’affirmation d’un formalisme procédural strict conditionnant le rejet par ordonnance

La cour prend soin de distinguer la procédure contradictoire de droit commun de celle, spécifique, qui régit le traitement des irrecevabilités susceptibles d’être couvertes (A), pour en déduire le caractère impératif du mécanisme d’invitation à régulariser (B).

A. La distinction entre l’échange contradictoire et la procédure de régularisation

La décision commentée établit une frontière nette entre la simple communication d’un mémoire en défense, qui relève de l’échange contradictoire normal entre les parties, et l’acte par lequel la juridiction invite formellement le requérant à corriger un vice de sa requête. Le juge d’appel énonce clairement que les dispositions de l’article R. 222-1 du code de justice administrative « n’ont ni pour objet ni pour effet de permettre un rejet par ordonnance lorsque la juridiction s’est bornée à communiquer au requérant, en lui indiquant le délai dans lequel il lui serait loisible de répondre, le mémoire dans lequel une partie adverse a opposé une fin de non-recevoir ». En agissant de la sorte, la cour souligne que la charge d’identifier une irrecevabilité et d’enclencher le processus de régularisation incombe à la juridiction elle-même, et non au défendeur. La communication du mémoire de l’administration fiscale, bien qu’elle ait informé la société requérante de l’existence de la fin de non-recevoir, ne constituait qu’un élément du débat contentieux, laissant à la société la faculté, et non l’obligation formelle, de répondre pour parer au moyen soulevé.

B. Le caractère impératif de l’invitation à régulariser

En conséquence de cette distinction, la cour rappelle les exigences de la procédure de l’article R. 612-1 du code de justice administrative. Pour qu’une requête entachée d’une irrecevabilité régularisable puisse être rejetée par ordonnance, il ne suffit pas que le requérant ait eu connaissance du vice. La juridiction doit lui adresser une demande de régularisation explicite, laquelle « mentionne que, à défaut de régularisation, les conclusions pourront être rejetées comme irrecevables ». Or, en l’espèce, il est constaté que la communication effectuée par le greffe du tribunal « ne comportait ni d’invitation à régulariser la requête ni d’indication sur les conséquences susceptibles de s’attacher à l’absence de régularisation ». Cette absence prive l’ordonnance de sa base légale, car le juge ne peut utiliser la voie simplifiée du rejet par ordonnance qu’après avoir mis le requérant en demeure de régulariser et l’avoir expressément averti du risque encouru. Le formalisme de l’article R. 612-1 apparaît ainsi comme une garantie substantielle, dont le respect conditionne la validité de la procédure de tri.

Cette interprétation stricte des conditions de mise en œuvre de la procédure de rejet par ordonnance a pour corollaire de renforcer le droit du justiciable à ce que sa cause soit jugée au fond, ou à tout le moins, écartée à l’issue d’une procédure complète et contradictoire.

II. La consécration du droit à l’audience en l’absence de régularisation formelle

La décision réaffirme la portée limitée des procédures de rejet sans audience (A), garantissant ainsi les droits du justiciable contre les risques d’une justice expéditive (B).

A. Le champ d’application restreint du rejet pour irrecevabilité manifeste

En censurant le premier juge, la cour administrative d’appel rappelle que le rejet par ordonnance fondé sur l’article R. 222-1 du code de justice administrative constitue une exception au principe du jugement par une formation collégiale après une audience publique. Ce pouvoir n’est ouvert que pour les irrecevabilités qui ne sont aucunement régularisables ou pour celles qui n’ont pas été régularisées après l’expiration du délai imparti par une demande en ce sens. Par cet arrêt, le juge précise qu’en dehors de ces cas de figure, la seule voie possible pour statuer sur une irrecevabilité, même si elle semble établie, est la voie ordinaire. La cour le formule sans ambiguïté en indiquant que, si l’auteur de la requête n’a pas été formellement invité à la régulariser, « la requête ne peut être rejetée pour irrecevabilité que par une décision prise après audience publique ». La solution protège ainsi le requérant d’un rejet qui, bien que fondé sur un vice potentiellement réel, serait intervenu sans que toutes les garanties procédurales aient été épuisées.

B. La garantie des droits du justiciable face aux vices de procédure

Cette décision revêt une portée pédagogique importante en ce qu’elle protège le justiciable, même celui assisté d’un avocat, contre une application trop rigoureuse des règles de recevabilité. Elle postule qu’il ne suffit pas qu’une fin de non-recevoir soit soulevée par une partie pour que la juridiction puisse en tirer toutes les conséquences de manière quasi automatique. Le juge conserve un rôle actif, celui de s’assurer que le requérant a été mis en position non seulement de débattre, mais aussi de rectifier. En subordonnant le rejet par ordonnance à une invitation formelle, le juge administratif consolide le droit à un recours effectif. Il s’assure que le requérant ne perd pas son droit d’accès au juge par une simple omission ou une mauvaise appréciation de la portée d’un moyen soulevé par son adversaire, mais seulement après avoir été explicitement mis en garde par la juridiction elle-même. La solution, en renvoyant l’affaire devant le tribunal administratif, illustre cette volonté de préserver le double degré de juridiction sur le fond, qui aurait été anéanti par une application extensive des pouvoirs de tri du premier juge.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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