Cour d’appel administrative de Toulouse, le 20 mars 2025, n°22TL22516

Un agent public titulaire a été placé en congé de maladie à compter du 30 janvier 2019, suite à un entretien avec son supérieur hiérarchique. L’agent a déclaré cet événement comme un accident de service, ce que l’employeur a refusé de reconnaître par un arrêté du 10 juin 2020. Cette décision a également mis fin au placement provisoire de l’agent en congé pour invalidité temporaire imputable au service, qui avait été accordé initialement. Saisi par l’agent, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande d’annulation de l’arrêté et sa demande indemnitaire par un jugement du 14 octobre 2022. L’agent a interjeté appel de ce jugement, soutenant que l’événement du 30 janvier 2019 constituait bien un accident de service. Se posait donc la question de savoir si un entretien professionnel, perçu par l’agent comme dévalorisant, pouvait être qualifié d’accident de service justifiant un congé pour invalidité. Par un arrêt du 20 mars 2025, la cour administrative d’appel a rejeté la requête. Elle a jugé que l’événement litigieux, ne présentant pas un caractère de soudaineté et de violence et s’inscrivant dans l’exercice normal du pouvoir hiérarchique, ne pouvait être qualifié d’accident de service, notamment en présence d’un état pathologique antérieur. Il convient donc d’examiner la conception stricte de l’accident de service retenue par le juge (I), puis d’analyser le renforcement du contrôle de la causalité dans l’appréciation de l’imputabilité (II).

I. Une conception stricte de l’accident de service excluant le choc émotionnel lié au management

La cour administrative d’appel rappelle les critères jurisprudentiels exigeants pour la qualification d’accident de service, en particulier la nécessité d’un événement soudain et violent (A), ce qui exclut les situations relevant de l’exercice normal du pouvoir hiérarchique (B).

A. Le rappel du critère d’un événement soudain et violent

Le juge administratif réaffirme la définition prétorienne de l’accident de service. Pour être qualifié comme tel, un fait doit constituer « un évènement survenu à une date certaine, par le fait ou à l’occasion du service, dont il est résulté une lésion ». La cour précise qu’un tel événement doit être « précisément déterminé et daté, caractérisé par sa violence et sa soudaineté, à l’origine de lésions ou d’affections physiques ou psychologiques ». Cette définition classique impose la réunion de plusieurs conditions cumulatives qui permettent de distinguer l’accident du phénomène progressif qu’est la maladie professionnelle.

En l’espèce, l’agent situait l’origine de son état dépressif dans un entretien du 30 janvier 2019, au cours duquel elle aurait subi « une énième dévalorisation de [s]es compétences et d’un rappel de l’inutilité de [s]on poste ». Si l’événement est bien daté, la cour a estimé que le critère de la violence et de la soudaineté n’était pas rempli. La conversation, même si elle a pu être mal vécue par l’agent, ne présentait pas le caractère d’extériorité et de brutalité requis par la jurisprudence pour constituer un fait accidentel. L’analyse du juge se concentre ainsi sur la nature objective de l’événement et non sur le ressenti subjectif de l’agent.

B. L’exclusion d’un événement procédant de l’exercice normal du pouvoir hiérarchique

La cour précise les contours de l’accident de service dans le cadre des relations professionnelles. Un entretien entre un agent et son supérieur ne constitue pas en lui-même un accident, « quels que soient les effets qu’il a pu produire sur l’agent ». Le juge admet une exception uniquement s’il est établi que le supérieur a eu « un comportement ou à des propos excédant l’exercice normal du pouvoir hiérarchique ». Ce pouvoir inclut le droit d’adresser des recommandations, des remarques, des reproches ou de prendre des mesures relatives à la carrière.

Dans cette affaire, l’entretien portait sur « la suppression de la nouvelle bonification indiciaire qui lui était indûment versée ». La cour considère que cette annonce relève de l’exercice normal des prérogatives de l’employeur. Aucune preuve n’a été apportée quant à d’éventuels propos agressifs, intimidants ou humiliants qui auraient pu faire basculer l’échange d’un acte de gestion à un événement accidentel. Par cette décision, le juge administratif préserve une marge de manœuvre nécessaire à l’encadrement et évite qu’une simple décision de gestion défavorable puisse être systématiquement qualifiée d’accident de service.

L’absence de qualification d’accident de service est également renforcée par une analyse approfondie du lien de causalité entre l’événement et la pathologie de l’agent.

II. L’appréciation renforcée du lien de causalité dans la reconnaissance de l’imputabilité

Pour refuser l’imputabilité, la cour ne se limite pas à la seule qualification de l’événement. Elle s’appuie de manière déterminante sur l’existence d’un état pathologique antérieur (A) et réaffirme la portée limitée de l’avis émis par la commission de réforme (B).

A. L’influence décisive de l’état pathologique antérieur de l’agent

Le juge administratif examine avec attention les pièces médicales du dossier pour évaluer le lien de causalité direct et certain entre l’événement et la pathologie. En l’espèce, ce lien est écarté en raison de la préexistence d’un état dépressif chez l’agent. La cour relève, en citant le rapport d’un médecin agréé, que « depuis 2016, Mme A… présente un état dépressif qui fait l’objet d’un suivi spécialisé et d’un traitement psychotrope ». Le même rapport conclut que l’événement du 30 janvier 2019 « survien[t] donc sur un état de vulnérabilité psychologique et ne peut être considéré comme la cause directe de sa pathologie actuelle ».

Un second rapport médical, bien que concluant à un lien direct, note également « un épisode dépressif majeur caractérisé en 2016 dans un contexte de souffrance au travail ». La présence de cet état antérieur, documenté et suivi médicalement, a permis au juge de considérer que la pathologie de l’agent n’était pas la conséquence directe de l’entretien litigieux, mais plutôt la continuation ou l’aggravation d’une affection préexistante. Cette analyse rigoureuse de la causalité médicale est un élément central du raisonnement qui justifie la décision de refus.

B. La portée relative de l’avis de la commission de réforme

La requérante faisait valoir que la commission de réforme avait émis, le 14 novembre 2019, un « avis favorable à la reconnaissance de l’imputabilité au service de l’accident ». Cependant, la cour rappelle implicitement que l’autorité administrative n’est jamais liée par les avis de cet organisme consultatif. L’employeur public conserve son plein pouvoir d’appréciation pour se prononcer sur l’imputabilité au service d’un accident ou d’une maladie.

Le juge valide la décision de l’employeur qui, malgré cet avis favorable, a refusé de reconnaître l’accident de service. Cette solution est constante et réaffirme que la décision finale appartient à l’administration, sous le contrôle du juge. En l’espèce, l’employeur a pu légalement s’écarter de l’avis de la commission en se fondant sur d’autres éléments du dossier, notamment les rapports d’expertise médicale et l’absence de fait accidentel caractérisé. La cour confirme ainsi que c’est au vu de l’ensemble des circonstances de l’espèce que l’appréciation doit être portée, l’avis de la commission n’étant qu’un des éléments de l’instruction.

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Hassan KOHEN
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