Par une décision en date du 20 mars 2025, la cour administrative d’appel de Toulouse s’est prononcée sur les conditions d’octroi d’un titre de séjour pour des motifs exceptionnels liés au travail. En l’espèce, un ressortissant étranger, entré régulièrement sur le territoire national, avait sollicité son admission au séjour en qualité de salarié après avoir obtenu une autorisation de travail et un contrat à durée indéterminée auprès d’une entreprise. L’autorité préfectorale lui avait toutefois opposé un refus, estimant que sa situation ne justifiait pas une dérogation à la procédure ordinaire d’introduction des travailleurs étrangers. Saisi par l’intéressé, le tribunal administratif de Toulouse avait annulé cette décision. L’autorité préfectorale a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant que les difficultés de recrutement de l’employeur ne sauraient constituer un motif exceptionnel au sens des dispositions de l’article L. 435-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Il revenait donc à la cour de déterminer si les tensions de recrutement dans un secteur d’activité et une zone géographique spécifiques, combinées à la situation personnelle de l’étranger, peuvent caractériser un motif exceptionnel justifiant son admission au séjour au titre du travail. La cour administrative d’appel rejette la requête du préfet, considérant que celui-ci a commis une erreur manifeste d’appréciation en ne tenant pas compte de la conjonction de ces différents éléments. La juridiction d’appel confirme ainsi l’annulation du refus de séjour.
La solution retenue par la cour administrative d’appel consacre une interprétation pragmatique des motifs exceptionnels pouvant justifier une admission au séjour, en accordant un poids déterminant aux réalités économiques locales (I). Ce faisant, elle exerce un contrôle approfondi sur l’appréciation de l’autorité préfectorale, tout en cantonnant sa décision aux circonstances particulières de l’affaire (II).
I. La consécration des difficultés de recrutement comme critère d’admission exceptionnelle au séjour
La cour administrative d’appel de Toulouse, tout en rappelant que la seule existence d’un contrat de travail est insuffisante pour justifier une régularisation (A), admet que des difficultés structurelles de recrutement peuvent constituer un motif exceptionnel (B).
A. Le rappel de l’insuffisance d’une simple promesse d’embauche
La juridiction d’appel prend soin de rappeler la règle générale applicable en matière d’admission exceptionnelle au séjour sur le fondement de l’article L. 435-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Ce mécanisme dérogatoire confère à l’autorité préfectorale un large pouvoir d’appréciation pour régulariser la situation d’un étranger au regard de motifs humanitaires ou exceptionnels. Dans ce cadre, la cour énonce qu’un demandeur se prévalant d’une promesse d’embauche « ne saurait être regardé, par principe, comme attestant, par là même, des « motifs exceptionnels » exigés par la loi ». Cette position réaffirme une jurisprudence constante qui vise à éviter que la procédure de régularisation ne devienne une voie ordinaire d’accès au marché du travail, contournant ainsi les conditions plus strictes relatives à l’introduction de la main-d’œuvre étrangère. L’autorité administrative conserve donc la faculté d’examiner chaque situation individuellement, en tenant compte d’un ensemble de critères qui ne se limitent pas à la seule perspective d’emploi.
B. L’élévation des tensions de recrutement au rang de motif exceptionnel
L’apport principal de la décision réside dans la qualification du contexte économique de l’emploi proposé. La cour dépasse l’analyse formelle du contrat de travail pour se concentrer sur ses caractéristiques intrinsèques et son environnement. Elle relève que l’employeur « se trouvait confrontée à de sérieuses difficultés de recrutement en raison de l’isolement de sa zone géographique d’implantation et du manque d’attractivité du secteur d’activité dans lequel elle opère ». La juridiction souligne que cette situation était connue des services de l’État, comme en témoigne la rapidité avec laquelle l’autorisation de travail avait été délivrée. En conséquence, le juge administratif considère que le requérant justifiait « d’un motif exceptionnel au regard des caractéristiques de l’emploi auquel il postulait dans un métier et une zone géographique caractérisés par des difficultés de recrutement ». La solution fait ainsi des besoins objectifs et documentés de l’économie un élément central de l’appréciation, transformant une difficulté d’entreprise en un critère juridique pertinent pour l’admission au séjour.
Cette prise en compte des réalités du marché du travail conduit la cour à exercer un contrôle approfondi de la décision préfectorale, en sanctionnant une appréciation jugée manifestement erronée au vu de la situation globale de l’intéressé.
II. Le contrôle renforcé de l’appréciation préfectorale au regard de la situation globale de l’étranger
La cour administrative d’appel ne se fonde pas sur le seul critère des difficultés de recrutement mais l’intègre dans une analyse globale (A), ce qui la conduit à sanctionner l’autorité préfectorale pour erreur manifeste d’appréciation, tout en limitant la portée de sa décision (B).
A. La méthode du faisceau d’indices appliquée à la situation personnelle
La juridiction d’appel ne se contente pas d’isoler le motif exceptionnel tiré des caractéristiques de l’emploi. Elle l’examine en combinaison avec d’autres éléments propres à la situation du requérant. L’arrêt mentionne ainsi « ses conditions d’entrée et de séjour », faisant référence à son arrivée régulière sur le territoire, ainsi que « les liens familiaux importants » qu’il entretenait en France, sa mère et son beau-père résidant régulièrement et étant employés au sein de la même entreprise. C’est la conjonction de ces différents facteurs qui fonde le raisonnement du juge. Cette méthode, classique en droit des étrangers, permet une appréciation concrète et équilibrée de chaque cas. En l’espèce, elle conduit à considérer que l’intégration professionnelle de l’intéressé, favorisée par un besoin avéré de main-d’œuvre, s’inscrivait dans un parcours personnel et familial cohérent qui aurait dû être pris en considération par l’administration.
B. La sanction de l’erreur manifeste d’appréciation, une solution d’espèce
En concluant que l’autorité préfectorale « a commis une erreur manifeste dans l’appréciation de sa situation », la cour utilise un standard de contrôle restreint mais puissant. Elle ne substitue pas sa propre appréciation à celle de l’administration, mais juge que la décision attaquée est à ce point éloignée d’une analyse raisonnable des faits qu’elle en devient illégale. L’usage de la formule « Dans les circonstances particulières de l’espèce » signale par ailleurs que la solution est étroitement liée aux faits de la cause. Il ne s’agit donc pas d’un arrêt de principe qui créerait un droit automatique à la régularisation pour tout étranger trouvant un emploi dans un secteur en tension. La portée de la décision reste mesurée, invitant l’administration à une analyse plus fine des situations individuelles sans pour autant la priver de son pouvoir d’appréciation. La décision constitue néanmoins un signal clair, rappelant aux préfectures que les impératifs économiques locaux, lorsqu’ils sont objectivement établis, doivent peser de manière significative dans la balance des intérêts.