Par un arrêt en date du 21 janvier 2025, une cour administrative d’appel a précisé les conditions d’engagement de la responsabilité d’une commune à l’égard de l’un de ses agents mis à disposition d’un établissement public de coopération intercommunale. En l’espèce, un éducateur des activités physiques et sportives, agent titulaire d’une commune, avait fait l’objet de mises à disposition annuelles au profit d’une communauté d’agglomération. L’agent estimait ne pas avoir perçu une indemnité compensatrice prévue par les conventions de mise à disposition estivales, ainsi qu’une indemnité forfaitaire pour travaux supplémentaires qu’il considérait lui être due depuis plusieurs années. Confronté au refus de la commune de l’indemniser, il a saisi le tribunal administratif de Nîmes afin d’obtenir la condamnation de la collectivité. Par un jugement du 22 décembre 2022, le tribunal a rejeté l’ensemble de ses demandes. Le requérant a alors interjeté appel de cette décision, contestant le raisonnement des premiers juges sur le fondement de la responsabilité pour faute. Se posait dès lors à la cour la double question de savoir, d’une part, si un agent peut se prévaloir directement d’une clause financière contenue dans une convention de mise à disposition conclue entre son employeur et un organisme d’accueil. D’autre part, il s’agissait de déterminer si la responsabilité d’une commune peut être engagée pour le non-versement d’une indemnité lorsque les délibérations fixant le régime indemnitaire ont évolué défavorablement pour l’agent. La cour administrative d’appel rejette la requête, considérant que la clause relative à l’indemnité compensatrice ne créait d’obligations qu’entre les deux personnes publiques et que la commune n’avait commis aucune faute en appliquant les délibérations successives qui ne prévoyaient plus le versement de l’indemnité pour travaux supplémentaires.
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I. L’exclusion du droit direct de l’agent au bénéfice d’une clause de convention de mise à disposition
La cour, pour écarter la première branche du moyen de l’appelant, se fonde sur une analyse rigoureuse des stipulations conventionnelles qui ne sauraient être interprétées comme créant un droit au profit de l’agent (A), ce qui confirme l’absence de toute stipulation pour autrui dont il aurait pu se prévaloir (B).
A. Une interprétation stricte des stipulations conventionnelles inter-administratives
L’arrêt rappelle que les conventions de mise à disposition conclues annuellement entre la commune et la communauté d’agglomération ont pour objet de définir les modalités de cette mise à disposition, y compris sur le plan financier. Il ressort de ces conventions que la rémunération de l’agent, incluant le traitement et les primes liées à l’emploi, demeure versée par la commune, son employeur d’origine. La communauté d’agglomération, en tant qu’organisme d’accueil, rembourse ensuite à la commune les montants ainsi exposés. C’est dans ce cadre que les conventions estivales prévoyaient le versement d’une indemnité spécifique.
La cour relève que la clause litigieuse stipule qu’« une indemnité compensatrice sera donc versée à la commune de Saint-Jean-du-Gard ». Les juges d’appel en déduisent que ces stipulations se bornent à organiser les rapports financiers entre les deux collectivités. La lettre du texte est ici déterminante : le créancier désigné de l’indemnité est explicitement la commune, et non l’agent. Dès lors, cette clause ne saurait être analysée comme instituant une nouvelle composante de la rémunération de l’agent, mais bien comme une modalité de remboursement forfaitaire des charges supportées par la collectivité employeuse.
B. L’absence de stipulation pour autrui au profit de l’agent mis à disposition
En conséquence de cette interprétation, la cour juge que les stipulations de la convention « ne confèrent à M. A… aucun droit au versement de l’indemnité compensatrice ». En d’autres termes, l’agent est un tiers par rapport à la relation nouée entre les deux personnes publiques, et la convention ne contient pas de stipulation pour autrui en sa faveur. Pour qu’un tel mécanisme existe, il aurait fallu que l’intention des parties de faire naître un droit direct au profit de l’agent soit clairement établie, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.
La solution est classique et rappelle que les agents publics ne peuvent en principe tirer de droits que de leur situation statutaire et réglementaire. Une convention passée entre deux administrations, même si elle a un lien avec la situation d’un agent, ne peut lui ouvrir des droits que si elle en dispose expressément. En ne versant pas une indemnité dont elle n’était pas la débitrice directe à l’égard de son agent, la commune n’a donc méconnu aucune obligation et, par suite, n’a commis aucune faute susceptible d’engager sa responsabilité.
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II. Le rejet de la responsabilité communale fondé sur le respect des régimes indemnitaires successifs
Après avoir écarté le moyen tiré de la convention, la cour examine la seconde faute alléguée, relative au non-paiement de l’indemnité forfaitaire pour travaux supplémentaires. Elle conclut à l’absence de responsabilité en constatant que l’agent se prévaut d’un texte qui n’est plus en vigueur (A), et que la commune s’est bornée à appliquer les nouvelles règles applicables (B).
A. L’inopérance d’une délibération abrogée comme fondement du droit à indemnité
L’agent soutenait que le non-versement de l’indemnité depuis 2016 méconnaissait la délibération du 9 décembre 2013 qui avait institué cette indemnité. La cour balaie cet argument en relevant un point de droit essentiel : les régimes indemnitaires des agents territoriaux sont fixés par l’organe délibérant de la collectivité, qui peut les faire évoluer dans le temps. En l’occurrence, le juge constate que le conseil municipal avait adopté des délibérations annuelles successives, de 2016 à 2020, pour fixer le régime indemnitaire applicable chaque année.
Dès lors, l’agent « ne peut utilement soutenir que le non-versement, de 2016 à 2020, de l’indemnité forfaitaire de travaux supplémentaires, méconnaissait la délibération du 9 décembre 2013 », puisque cette dernière ne régissait que l’année 2014. Ce faisant, la cour rappelle un principe fondamental de l’application de la loi dans le temps : l’administration doit appliquer la norme en vigueur à la date des faits. La prétention de l’agent fondée sur un texte abrogé ou dont la période de validité était expirée ne pouvait donc que prospérer.
B. L’absence de faute de la collectivité dans l’application du droit en vigueur
L’arrêt procède ensuite à un examen minutieux des délibérations applicables pour la période litigieuse. Il en ressort que pour l’année 2016, si l’indemnité existait bien, son attribution et son montant étaient laissés à l’appréciation de l’autorité territoriale. Or, le requérant n’apportait aucun élément permettant d’établir qu’il remplissait les conditions pour en bénéficier à un taux supérieur à ce qui lui aurait été éventuellement versé. Pour les années suivantes, la situation était encore plus claire : le régime indemnitaire pour 2017 fixait le montant de cette indemnité à zéro euro pour son grade, celle pour 2018 ne la prévoyait pas, et celles pour 2019 et 2020 instituaient un nouveau régime qui s’y substituait.
Dans ces conditions, en ne versant pas l’indemnité réclamée, la commune n’a fait qu’appliquer les règles de droit positif telles qu’elles résultaient des délibérations successives de son conseil municipal. L’absence de versement n’était pas le fruit d’une négligence ou d’une décision illégale, mais la conséquence directe de la modification des normes applicables. La cour en conclut logiquement que la commune « n’a pas commis de faute de nature à engager sa responsabilité », confirmant le jugement de première instance et rejetant définitivement les prétentions de l’agent.