Cour d’appel administrative de Toulouse, le 21 janvier 2025, n°23TL02283

Par un arrêt en date du 21 janvier 2025, une cour administrative d’appel a précisé les conditions d’octroi et de retrait de la protection fonctionnelle due à un agent public victime de harcèlement moral. En l’espèce, une fonctionnaire, adjointe administrative titulaire, avait été affectée à un poste de gestionnaire de la communication numérique au sein d’un service départemental d’incendie et de secours. Estimant subir des faits de harcèlement moral et sexuel de la part de sa hiérarchie, elle avait sollicité le bénéfice de la protection fonctionnelle, qui lui fut implicitement refusé. Saisi par l’agent, le tribunal administratif de Nîmes, par un premier jugement du 4 juillet 2022, a annulé ce refus et a enjoint à l’administration d’accorder sa protection au titre des faits de harcèlement moral. L’établissement public a alors fait appel de ce jugement. En exécution de cette décision de justice, l’administration a pris un nouvel acte le 25 octobre 2022, qui accordait la protection mais l’abrogeait simultanément. L’agent a de nouveau saisi le tribunal administratif de Nîmes, qui, par un second jugement du 6 juillet 2023, a annulé cette décision en tant qu’elle portait abrogation de la protection. L’employeur a également formé appel de ce second jugement. La cour administrative d’appel, joignant les deux requêtes, devait donc déterminer si des mesures de contrôle hiérarchique resserrées et répétées pouvaient être qualifiées de harcèlement moral justifiant la protection fonctionnelle. Elle devait également apprécier la légalité de l’abrogation de cette protection, fondée sur l’absence de suites données à la plainte pénale de l’agent. La cour a confirmé l’existence d’un harcèlement moral et a jugé illégale l’abrogation de la protection, considérant que l’administration ne pouvait se fonder sur la seule inaction de l’autorité judiciaire pour mettre fin à son obligation.

I. La confirmation de la qualification de harcèlement moral par le juge administratif

La cour administrative d’appel confirme la méthode d’analyse du harcèlement moral, qui repose sur une présomption établie à partir d’un faisceau d’indices (A), et exerce un contrôle sur les justifications apportées par l’administration pour écarter cette présomption (B).

A. La reconnaissance d’agissements vexatoires comme faisceau d’indices

Conformément à une jurisprudence établie, il appartient à l’agent qui se prétend victime de harcèlement de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l’existence de celui-ci. En l’espèce, la cour relève que l’agent a subi, peu après sa nouvelle affectation, un « contrôle permanent de sa hiérarchie » ainsi qu’une « réduction de son autonomie dans l’exercice de ses fonctions et de contrôles répétés de son emploi du temps professionnel et personnel ». De surcroît, son activité accessoire de formation a fait l’objet d’une « remise en cause systématique ». Ces éléments, jugés « relatés de manière détaillée et assortis de nombreux justificatifs », ont été considérés comme suffisants pour faire présumer l’existence d’un harcèlement moral. La cour entérine ainsi l’appréciation des premiers juges, considérant que la convergence de mesures contraignantes et leur répétition sur une période significative suffisent à établir la présomption requise, sans qu’il soit nécessaire de prouver une intention malveillante de l’auteur des agissements. La dégradation de l’état de santé de l’agent, constatée par la médecine du travail, est venue corroborer la matérialité des faits.

B. Le contrôle approfondi des justifications de l’autorité hiérarchique

Une fois la présomption de harcèlement établie, il incombe à l’administration de démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La cour constate l’incapacité de l’employeur à fournir une telle preuve. D’une part, elle note que l’administration n’a pas pleinement satisfait à la mesure d’instruction ordonnée en première instance visant à la communication de l’intégralité d’une enquête interne, ce qui a affaibli la portée de son argumentation. D’autre part, les justifications avancées, tirées du comportement de l’agent, sont écartées. La cour estime notamment qu’un message publié sur un réseau social, exprimant une « certaine amertume », ne saurait justifier les mesures subies, dès lors que la « situation de harcèlement moral était installée depuis plusieurs mois ». L’argumentation de l’administration ne parvient donc pas à démontrer que les mesures de contrôle et les décisions défavorables étaient proportionnées et en rapport avec la manière de servir de l’agent, ce qui conduit le juge à confirmer la qualification de harcèlement moral.

La reconnaissance des faits de harcèlement moral emporte pour l’administration l’obligation d’accorder sa protection à l’agent, une obligation dont la mise en œuvre et les conditions de retrait sont elles-mêmes strictement encadrées par le juge.

II. L’encadrement strict du retrait de la protection fonctionnelle

La cour administrative d’appel censure la tentative de l’administration de se délier de son obligation de protection en jugeant illégale une abrogation fondée sur des motifs inopérants (A) et en sanctionnant la méconnaissance de l’autorité de la chose jugée attachée au premier jugement (B).

A. L’illégalité d’une abrogation fondée sur l’écoulement du temps

L’arrêt rappelle que si l’administration peut réexaminer sa position et mettre fin à une protection fonctionnelle, c’est à la condition que des éléments nouveaux, portés à sa connaissance, permettent de considérer que les faits de harcèlement ne sont plus établis. Or, en l’espèce, l’administration a abrogé la protection au motif que la plainte pénale de l’agent n’avait connu aucune suite depuis plus de trois ans. La cour juge que l’administration « ne pouvait légalement se fonder, à la date du 25 octobre 2022, […] sur la seule circonstance que la plainte n’avait, depuis son dépôt, le 10 juillet 2019, plus de trois ans auparavant, connu aucune suite ». Ce faisant, elle érige un principe de sécurité juridique au profit de l’agent, interdisant à l’administration de tirer des conséquences unilatérales de la lenteur d’une procédure judiciaire. De plus, la circonstance que le jugement de première instance reconnaissant le harcèlement n’était pas définitif renforçait l’illégalité de cette abrogation prématurée.

B. La sanction de la méconnaissance de l’autorité de la chose jugée

La cour relève également que l’administration, dans sa décision du 25 octobre 2022, a entendu limiter la protection accordée à la seule procédure pénale initiée par l’agent. Or, la demande initiale de protection était plus large, visant également la dégradation de ses conditions de travail. Le tribunal administratif, dans son jugement du 4 juillet 2022, n’avait pas restreint la portée de l’injonction qu’il avait prononcée. En limitant ainsi le champ de la protection, l’administration « a méconnu l’autorité de chose jugée qui s’attache au dispositif du jugement du 4 juillet 2022 et aux motifs qui en constituent le support nécessaire ». Cette censure rappelle fermement que l’autorité qui exécute une décision de justice ne peut en réduire la portée ni en réinterpréter le sens. L’exécution doit être loyale et complète, respectant non seulement le dispositif, mais également les motifs qui le soutiennent indispensablement.

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Hassan KOHEN
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