Par une ordonnance en date du 21 janvier 2025, le président de la cour administrative d’appel de Toulouse s’est prononcé sur les conditions d’octroi d’une provision à un agent public au titre de la réparation de ses préjudices extrapatrimoniaux. En l’espèce, une adjointe technique employée par une commune, atteinte de plusieurs pathologies reconnues imputables au service, s’était vu attribuer des taux d’incapacité permanente partielle. Ces pathologies avaient justifié l’octroi d’une allocation temporaire d’invalidité par la collectivité employeur.
L’agente avait saisi le juge des référés du tribunal administratif d’une demande de provision en réparation de ses préjudices. Cette demande fut rejetée par une première ordonnance du 24 octobre 2024, au motif que l’obligation de la commune n’était pas regardée comme n’étant pas sérieusement contestable. L’agente a interjeté appel de cette décision, soutenant que la reconnaissance de ses pathologies et la fixation de taux d’incapacité suffisaient à établir l’existence d’une créance certaine à l’encontre de la collectivité. La commune, en défense, concluait au rejet de la requête, estimant les moyens soulevés non fondés.
Il revenait ainsi au juge d’appel de déterminer si la reconnaissance de taux d’incapacité permanente partielle suffisait à rendre non sérieusement contestable l’obligation de réparer le préjudice extrapatrimonial en résultant, et dans quelle mesure il pouvait en fixer le montant provisionnel.
À cette question, le juge des référés de la cour administrative d’appel de Toulouse répond par l’affirmative, annulant l’ordonnance de première instance et accordant une provision à la requérante. Il considère que « la requérante apporte ainsi bien la preuve d’un préjudice extrapatrimonial au sens du principe de réparation énoncé au point 3, non seulement par le rapport médical mais aussi par l’évaluation du taux d’incapacité résultant de la maladie professionnelle ». Cette décision illustre ainsi la confirmation du caractère non sérieusement contestable du droit à réparation du préjudice extrapatrimonial (I), tout en précisant l’office du juge dans l’évaluation du montant de la provision qui en découle (II).
I. La consécration du caractère non sérieusement contestable du droit à réparation
Le juge d’appel fonde sa décision sur le principe bien établi d’une réparation des préjudices extrapatrimoniaux distincte des prestations statutaires (A), avant de considérer que la seule reconnaissance d’un taux d’incapacité constitue une preuve suffisante de l’existence de la créance (B).
A. Un préjudice extrapatrimonial distinct des prestations forfaitaires
L’ordonnance commentée prend soin de rappeler un principe fondamental du droit de la fonction publique, selon lequel les dispositions instituant une rente ou une allocation d’invalidité déterminent de manière forfaitaire la réparation des seules conséquences patrimoniales de l’atteinte à l’intégrité physique. Ces prestations couvrent la perte de revenus ou l’incidence professionnelle de l’incapacité. En revanche, elles ne font pas obstacle à l’indemnisation des préjudices personnels, qui ne présentent pas un caractère patrimonial.
La décision réaffirme ainsi le droit pour l’agent public, même en l’absence de faute de son employeur, d’obtenir une indemnité complémentaire réparant « des souffrances physiques ou morales, un préjudice esthétique ou d’agrément ou des troubles dans les conditions d’existence ». Ce faisant, le juge s’inscrit dans une jurisprudence constante qui garantit à l’agent victime d’un accident de service ou d’une maladie professionnelle une réparation plus complète de son dommage corporel. L’existence de ce droit autonome à réparation est la première condition pour que l’obligation de la collectivité ne soit pas sérieusement contestable.
B. La reconnaissance du taux d’incapacité comme preuve suffisante de la créance
L’apport principal de la décision réside dans la manière dont le juge apprécie le caractère non sérieusement contestable de l’obligation. Alors que la commune s’opposait à la demande, le juge estime que la preuve du préjudice est suffisamment rapportée. Pour parvenir à cette conclusion, il se fonde non seulement sur le rapport d’expertise médicale, mais également et de manière déterminante sur l’existence même des taux d’incapacité permanente partielle.
En affirmant que « l’évaluation du taux d’incapacité résultant de la maladie professionnelle » constitue une preuve du préjudice extrapatrimonial, le juge opère une qualification directe des faits. Il considère que la constatation d’un déficit fonctionnel permanent, même de faible ampleur, implique nécessairement des préjudices personnels indemnisables, rendant l’obligation de réparer certaine dans son principe. Cette approche pragmatique évite à l’agent d’avoir à produire des preuves spécifiques et détaillées de ses souffrances ou des troubles subis au stade du référé, dès lors que son atteinte physique est médicalement et administrativement objectivée.
Une fois l’existence de l’obligation admise, il restait au juge à en déterminer le montant provisionnel.
II. L’office du juge des référés dans l’évaluation du montant de la provision
Le juge des référés ne se contente pas de constater l’existence de l’obligation ; il procède également à sa propre évaluation du préjudice (A), tout en demeurant dans les limites de son office qui lui commande de ne statuer que sur la fraction certaine de la créance (B).
A. Une méthode d’évaluation souveraine du préjudice
Pour fixer le montant de la provision, le juge ne suit pas la demande de la requérante, qui s’élevait à 20 250 euros. Il procède à sa propre estimation et l’arrête à la somme de 12 000 euros. La décision explicite les critères retenus pour ce calcul : « en tenant compte de l’âge de la requérante née en 1969, la réparation du préjudice extrapatrimonial causé par une incapacité permanente partielle à hauteur des taux susmentionnés doit être fixée à 12 000 euros ».
Cette motivation révèle que le juge se livre à une appréciation souveraine en appliquant un référentiel d’indemnisation, qui combine l’âge de la victime à la date de consolidation et le taux de déficit fonctionnel permanent. Cette méthode, courante au fond, est ici utilisée par le juge des référés pour déterminer la part non contestable de la créance. Il ne se limite donc pas à un contrôle de l’évidence, mais s’engage dans une véritable quantification, transformant une obligation de principe en une créance chiffrée.
B. La fixation d’une provision limitée au montant certain de la créance
En allouant une provision de 12 000 euros, et non la totalité de la somme demandée, le juge des référés applique strictement les dispositions de l’article R. 541-1 du code de justice administrative. Ce texte lui prescrit, en cas d’incertitude sur l’évaluation totale de l’obligation, de n’allouer qu’une provision correspondant à la fraction du montant qui « paraît revêtir un caractère de certitude suffisant ».
La décision illustre parfaitement cette fonction du référé-provision, qui est de fournir une avance rapide au créancier sans pour autant se substituer au juge du fond, seul compétent pour statuer sur la réparation intégrale et définitive du préjudice. Le juge a estimé que la créance était certaine jusqu’à 12 000 euros, mais qu’au-delà, son évaluation pouvait prêter à discussion. Le rejet du surplus des conclusions ne préjuge donc en rien de la décision qui pourrait être rendue ultérieurement au fond, mais il circonscrit le pouvoir du juge de l’évidence à ce qui ne souffre aucune contestation sérieuse en l’état de l’instruction.