L’arrêt rendu par une cour administrative d’appel le 22 mai 2025 offre une illustration précise des modalités de financement des services départementaux d’incendie et de secours par les communes. En l’espèce, une commune contestait un titre exécutoire émis par le service départemental d’incendie et de secours pour le paiement de sa contribution mensuelle au titre de l’exercice 2019. Les premiers juges, saisis par la commune, avaient partiellement annulé ce titre, estimant que l’indice des prix à la consommation utilisé pour calculer la contribution était erroné. Le service départemental d’incendie et de secours a interjeté appel de ce jugement, arguant de son irrégularité et de l’absence de préjudice pour la commune. Par la voie de l’appel incident, la commune a sollicité l’annulation totale du titre exécutoire, soulevant plusieurs illégalités touchant au mécanisme de répartition des contributions, notamment une rupture du principe d’égalité et l’existence d’une sanction déguisée. La question qui se posait à la cour était double : d’une part, de déterminer si le titre exécutoire était illégal en raison des modalités de calcul de la contribution globale ; d’autre part, et plus fondamentalement, d’apprécier la légalité du dispositif de modulation des contributions individuelles, qui visait à encourager le volontariat des sapeurs-pompiers parmi les agents communaux. En réponse, la cour administrative d’appel rejette l’appel principal du service départemental et l’appel incident de la commune. Elle confirme que le titre exécutoire était bien dépourvu de base légale en raison d’une erreur d’indice, tout en validant le mécanisme de modulation des contributions au regard des principes d’égalité et de légalité des peines. Ainsi, la décision clarifie la portée du contrôle du juge sur les actes financiers des services d’incendie, en sanctionnant une illégalité formelle du titre exécutoire (I), tout en légitimant un dispositif différencié de contribution fondé sur un objectif d’intérêt général (II).
I. La confirmation de l’illégalité du titre exécutoire
La cour administrative d’appel confirme la décision des premiers juges d’annuler partiellement le titre exécutoire, en se fondant sur une illégalité affectant sa base juridique. Elle écarte d’abord un moyen de procédure relatif à l’office du juge (A) avant de constater le bien-fondé de l’illégalité tirée du mode de calcul de la contribution (B).
A. La réaffirmation de l’office du juge de plein contentieux
Le service départemental d’incendie et de secours soutenait que le jugement de première instance était irrégulier, au motif que le tribunal aurait à tort qualifié le litige de contentieux de l’excès de pouvoir. La cour écarte ce moyen en précisant la nature du contentieux des titres exécutoires. Elle rappelle qu’« une requête dirigée contre un titre exécutoire ou un ordre de reversement relève, par nature, du plein contentieux ». Cette qualification est essentielle, car elle confère au juge des pouvoirs plus étendus que ceux du juge de l’excès de pouvoir, lui permettant non seulement d’annuler l’acte mais aussi de le réformer ou de lui substituer sa propre décision. En l’espèce, bien que la commune n’ait formulé que des conclusions en annulation, le tribunal n’a pas méconnu son office en se prononçant dans le cadre du plein contentieux, qui était la nature véritable du recours. La cour valide ainsi le raisonnement des premiers juges, qui se sont conformés à l’étendue de la demande sans pour autant commettre d’erreur sur la nature de leur office.
B. La censure d’une contribution fondée sur un indice erroné
Sur le fond, la cour confirme l’illégalité du titre exécutoire. Ce dernier se fondait sur des délibérations qui avaient fixé le montant global des contributions en utilisant un indice des prix à la consommation incluant le tabac. Or, il a été jugé que seul l’indice hors tabac devait être appliqué. Il en résulte, selon la cour, que le titre exécutoire « est, dans cette mesure, dépourvu de base légale ». La circonstance, invoquée par le service d’incendie et de secours, selon laquelle le trop-perçu aurait été régularisé l’année suivante est jugée inopérante. En effet, la légalité d’un acte administratif s’apprécie à la date de son édiction. Le fait qu’une délibération ultérieure ait imputé la différence sur l’exercice 2020 « n’est pas de nature à remettre en cause cette illégalité ». La solution est classique et rigoureuse : une illégalité affectant la base légale d’un titre exécutoire ne peut être purgée par une mesure de régularisation a posteriori.
II. La validation du mécanisme de modulation des contributions
Au-delà de la question technique de l’indice, l’enjeu principal de l’arrêt résidait dans l’appréciation de la légalité du dispositif d’abattement institué par le service d’incendie. La cour valide ce mécanisme en écartant successivement les moyens tirés de la violation du principe d’égalité (A) et de l’existence d’une sanction déguisée (B).
A. La justification de la différence de traitement au nom de l’intérêt général
La commune requérante soutenait que le dispositif d’abattement, favorisant les communes qui emploient des sapeurs-pompiers volontaires conventionnés, méconnaissait le principe d’égalité. La cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle ce principe « ne s’oppose pas à ce qu’une autorité administrative règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu’elle déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général ». Pour que la différence de traitement soit légale, elle doit être en rapport direct avec l’objet de la norme et ne pas être manifestement disproportionnée. Appliquant ce considérant de principe, la cour juge que les distinctions opérées par le dispositif sont justifiées. D’une part, traiter différemment les communes selon qu’elles disposent ou non d’un centre de secours est pertinent, la proximité géographique étant nécessaire à la disponibilité des volontaires. D’autre part, la distinction entre les agents bénéficiant de conventions de disponibilité et ceux ayant de simples autorisations d’absence répond à une différence de situation, les conventions garantissant une meilleure prévisibilité. Enfin, la cour juge que la charge financière supportée par la commune, représentant 2,5 % de sa contribution totale, n’est pas « manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier ».
B. Le rejet de la qualification de sanction déguisée
La commune arguait que la majoration de sa contribution, due à son faible engagement en faveur du volontariat, constituait une sanction administrative illégale. La cour rejette cette analyse en se fondant sur l’intention du législateur et la nature du mécanisme. Elle précise que le dispositif, autorisé par l’article L. 1424-35 du code général des collectivités territoriales, « prend en compte une donnée objective » : le fait que les communes conventionnées contribuent au financement du service en rémunérant leurs agents durant leur disponibilité. Il ne s’agit donc pas de sanctionner un comportement, mais de répartir une charge en fonction de la contribution effective de chacun à l’effort collectif. L’abattement de 1 000 euros par volontaire n’est pas jugé sans rapport avec le coût réel pour la commune employeur. Par conséquent, la cour écarte la qualification de sanction, et avec elle les moyens tirés de la violation du principe de légalité des délits et des peines et des droits de la défense. Cette solution consacre une vision pragmatique des mécanismes incitatifs, considérés non comme des punitions, mais comme des outils de juste répartition des charges publiques.