La cour administrative d’appel de Toulouse a rendu le 22 mai 2025 une décision précisant les règles de compétence juridictionnelle pour l’éloignement des Européens. Une ressortissante croate a formé un recours contre un arrêté préfectoral lui imposant de quitter la France sans délai après une condamnation pour vol. Le tribunal administratif de Nîmes a d’abord rejeté sa requête par un jugement rendu par un magistrat statuant seul le 25 janvier 2023. L’appelante soutient notamment que son droit d’être entendue fut méconnu et que sa situation familiale s’oppose à une telle mesure de police administrative. La question posée au juge porte sur la régularité du jugement de première instance et sur la menace réelle que représente l’intéressée pour l’ordre public. La cour annule le jugement pour irrégularité avant de statuer sur le fond par la voie de l’évocation pour rejeter les prétentions de la requérante. L’irrégularité procédurale tenant à la composition de la juridiction de premier ressort précède l’examen du bien-fondé de la mesure d’éloignement.
I. L’annulation du jugement pour méconnaissance des règles de compétence
A. L’obligation de collégialité pour les citoyens de l’Union européenne
La cour relève d’office une irrégularité affectant la validité du jugement rendu par le tribunal administratif de Nîmes en première instance. L’article L. 251-7 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile définit les modalités de contestation des mesures d’éloignement. Ces dispositions spécifiques s’appliquent exclusivement aux décisions prises à l’encontre des citoyens de l’Union européenne et des membres de leur famille proche. Le législateur a entendu soumettre ces recours à une formation collégiale du tribunal administratif afin de garantir un examen approfondi de leur situation. Par suite, la demande d’annulation de l’arrêté relevait de la compétence de trois magistrats réunis et non d’un seul juge désigné par le président.
Le jugement attaqué encourt l’annulation car le magistrat statuant seul a méconnu les règles de compétence d’attribution prévues par le code de la matière. La juridiction d’appel doit s’assurer que les garanties procédurales offertes aux ressortissants européens lors du contrôle juridictionnel de leur éloignement sont strictement respectées. Cette exigence de collégialité constitue une règle d’ordre public que le juge doit soulever spontanément dès lors qu’il constate une erreur dans la procédure initiale. L’annulation du jugement de première instance est la conséquence directe de cette méconnaissance des articles L. 251-7 et L. 614-1 du code susmentionné.
B. La mise en œuvre de la technique juridique de l’évocation
L’annulation du jugement n’interrompt pas le cours de l’instance car la cour administrative d’appel choisit de statuer immédiatement sur l’ensemble de la demande. Cette procédure d’évocation permet au juge d’appel de régler l’affaire au fond sans renvoyer le dossier devant le tribunal administratif pour un nouveau jugement. Le juge administratif gagne ainsi en célérité tout en assurant une bonne administration de la justice pour les parties en litige. L’ensemble des moyens soulevés en première instance et en appel est donc examiné directement par les membres de la formation de jugement. Cette décision sur le fond nécessite d’analyser la menace que représente le comportement de l’intéressée pour la sécurité de la société française.
II. La validité de l’éloignement fondée sur la protection de l’ordre public
A. La caractérisation souveraine d’une menace grave pour la société
Le préfet a estimé que le comportement personnel constituait une « menace réelle, actuelle et suffisamment grave à l’encontre d’un intérêt fondamental de la société ». L’appelante avait été condamnée par le tribunal correctionnel à une peine d’emprisonnement de douze mois pour des faits de vols aggravés commis récemment. Le juge administratif vérifie si ces infractions pénales justifient l’obligation de quitter le territoire français malgré la protection dont bénéficient les citoyens européens. La réitération des faits à bref délai et leur nature démontrent une menace persistante pour la tranquillité et la sécurité des biens d’autrui. L’administration peut légalement prononcer l’éloignement dès lors que le comportement de l’étranger porte atteinte à des intérêts essentiels pour la collectivité nationale.
La condamnation pénale ne suffit pas à elle seule pour justifier l’éloignement mais elle constitue un élément déterminant de l’appréciation globale de la situation. Le préfet a tenu compte de l’ensemble des circonstances de l’espèce conformément aux exigences fixées par l’article L. 251-1 du code de l’entrée. Le comportement personnel de la requérante n’a pas montré d’évolution positive suffisante pour écarter le risque de récidive au moment de la signature de l’arrêté. Par conséquent, la mesure d’éloignement sans délai est juridiquement fondée sur l’urgence impérieuse de protéger l’ordre public contre des agissements malveillants répétés.
B. L’absence d’atteinte disproportionnée à la vie privée et familiale
L’appelante invoque l’intérêt supérieur de ses cinq enfants mineurs pour contester la légalité de son renvoi vers son pays d’origine, la Croatie. La cour estime cependant que la décision contestée « ne fait pas obstacle à la reconstitution en Croatie de la cellule familiale » de la requérante. La scolarisation des enfants en France et l’activité professionnelle modeste du concubin ne permettent pas de caractériser une intégration sociale exceptionnelle ou irréversible. L’intérêt des enfants n’est pas lésé puisque rien ne s’oppose à ce que la fratrie accompagne ses parents dans leur pays de nationalité. La séparation de la famille n’est pas imposée par le préfet qui vise uniquement le retour de l’ensemble des membres vers la Croatie.
Le droit au séjour en qualité de citoyen européen est conditionné par l’exercice d’une activité réelle ou par la possession de ressources financières suffisantes. L’intéressée n’établit pas remplir ces conditions puisque les revenus déclarés par le couple restent marginaux et insuffisants pour couvrir les besoins du foyer. L’absence d’assurance maladie et le risque de devenir une charge pour le système d’assistance sociale renforcent la légalité du refus de séjour. Le préfet n’a donc pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en fixant une interdiction de circuler sur le territoire français pour une durée de trois ans. L’ensemble des conclusions de la requête est rejeté car les décisions attaquées respectent les conventions internationales et le droit national.