Par un arrêt en date du 22 mai 2025, la cour administrative d’appel de Toulouse, statuant sur renvoi après une cassation partielle prononcée par le Conseil d’État, a précisé les modalités d’évaluation du préjudice subi par une victime au titre de la perte de ses droits à pension de retraite. En l’espèce, une personne, contaminée par le virus de l’hépatite C à la suite de transfusions sanguines réalisées en 1983, a dû cesser son activité professionnelle pendant une période de quatre ans, de 2011 à 2015, avant la consolidation de son état de santé. Le tribunal administratif de Nîmes, par un jugement du 18 décembre 2020, avait initialement accordé une indemnisation à la victime. Saisie en appel par la requérante qui estimait cette réparation insuffisante, la cour administrative d’appel de Toulouse, par un premier arrêt du 6 juin 2023, avait réformé ce jugement en diminuant le montant de l’indemnité. Le Conseil d’État, par une décision du 26 novembre 2024, a cependant annulé cet arrêt en tant qu’il statuait sur le préjudice lié à la perte de droits à pension de retraite, renvoyant sur ce point l’affaire devant la même cour. Il appartenait donc à la juridiction de renvoi de déterminer, au regard des justifications produites, l’existence et l’étendue du préjudice de retraite découlant directement de l’interruption d’activité imputable à la pathologie. La cour administrative d’appel de Toulouse a jugé que la victime n’établissait pas l’existence d’un préjudice au titre de son régime de retraite de base, mais a reconnu et évalué un préjudice distinct au titre de son régime de retraite complémentaire.
La solution retenue par la cour administrative d’appel de Toulouse illustre la méthode d’évaluation rigoureuse appliquée par le juge administratif pour quantifier un préjudice économique futur et incertain comme la perte de droits à la retraite (I), tout en réaffirmant le rôle essentiel des éléments de preuve fournis par les parties dans l’appréciation souveraine du juge (II).
I. La méthode d’évaluation du préjudice de perte de droits à la retraite
La cour, pour statuer sur le préjudice de retraite, a adopté une démarche analytique en deux temps. Elle a d’abord examiné la situation de la victime au regard de son régime de retraite de base, pour lequel elle a écarté l’existence d’un préjudice (A), avant de se concentrer sur le régime complémentaire, pour lequel elle a procédé à une quantification précise de la perte subie (B).
A. Le rejet d’un préjudice au titre du régime de base
Le juge administratif a fondé son analyse sur une comparaison minutieuse des différentes simulations de pension produites au dossier. Il a confronté les évaluations fournies par les organismes de retraite, qui tenaient compte de l’interruption de carrière, avec des projections contrefactuelles incluant les revenus que la victime aurait perçus si elle n’avait pas cessé son activité. Au terme de cette instruction, la cour a constaté que, même sans cette interruption de quatre ans, « sa pension de base n’aurait pas excédé le montant retenu dans la simulation établie par Info Retraite ». Ce faisant, elle souligne que la demande d’indemnisation de la requérante sur ce point n’était pas étayée par des éléments probants. La juridiction relève en effet que la victime « se borne d’ailleurs à se prévaloir, sans le justifier, de ce qu’elle aurait dû percevoir des pensions d’un montant global de 976 euros par mois ». Cette approche démontre que la seule allégation d’un préjudice ne saurait suffire. La charge de la preuve d’une perte de droits effective pèse sur le demandeur, qui doit fournir au juge les éléments permettant d’établir une différence tangible entre sa situation réelle et celle qui aurait été la sienne en l’absence du fait dommageable.
B. La consécration d’un préjudice au titre du régime complémentaire
À l’inverse de son raisonnement pour le régime de base, la cour a identifié une perte de droits certaine au titre de la retraite complémentaire. Pour ce faire, elle a mis en œuvre une méthode de calcul concrète et détaillée, fondée sur les pièces du dossier. Elle a d’abord déterminé le nombre de points de retraite que la victime aurait dû acquérir durant les quatre années d’inactivité forcée, en se basant sur la moyenne des points obtenus lors de son dernier emploi. Elle a ensuite calculé la perte nette en déduisant les quelques points acquis durant cette même période. Le juge a ainsi chiffré une « perte de 377,62 points ». Par la suite, la cour a transformé cette perte de points en une perte de revenus annuelle viagère, en appliquant la valeur du point en vigueur, aboutissant à un montant de « 543,24 euros bruts par an ». Enfin, pour convertir cette perte annuelle en un capital unique, elle a utilisé un taux de capitalisation correspondant à l’âge de la victime à la date de son départ prévisible à la retraite. Ce calcul aboutit à une somme de 12 826 euros, que le juge a ramenée à 12 000 euros dans le cadre de son pouvoir de « juste appréciation du préjudice », tenant compte vraisemblablement des prélèvements sociaux.
II. La portée de la méthode d’évaluation du préjudice
Cette décision, bien que rendue en application de principes établis, offre un éclairage sur le pragmatisme du juge de l’indemnisation. Elle confirme que l’évaluation du préjudice est subordonnée à la force probante des pièces versées au débat (A), et s’inscrit comme une solution d’espèce illustrative du contrôle exercé par le juge administratif (B).
A. Une appréciation concrète du préjudice subordonnée à la force probante des pièces
L’arrêt du 22 mai 2025 met en exergue le caractère essentiel de la preuve dans le contentieux de la réparation. Le juge ne se contente pas d’une évaluation forfaitaire ou abstraite ; il procède à une analyse technique qui s’appuie exclusivement sur les documents qui lui sont soumis. La solution adoptée est directement issue de « l’instruction, notamment de la simulation établie le 3 avril 2025 par Info Retraite ». En rejetant la demande relative à la retraite de base faute de justification et en accueillant celle relative à la retraite complémentaire sur la base de calculs précis, la cour adresse un message clair aux justiciables. Pour obtenir réparation d’un préjudice économique futur, il est impératif de produire des évaluations chiffrées, claires et crédibles, émanant si possible d’organismes compétents. Le juge administratif, s’il peut interpréter les pièces, ne peut suppléer la carence des parties dans l’administration de la preuve. Cette approche garantit la rigueur et l’objectivité de la réparation, en la fondant non sur des suppositions, mais sur des données économiques tangibles.
B. Une solution d’espèce illustrative du contrôle du juge de l’indemnisation
Si la décision applique le principe bien établi de la réparation intégrale du préjudice, elle constitue avant tout une décision d’espèce dont la portée doit être mesurée. Sa solution est intimement liée aux faits de la cause et aux chiffres spécifiques des simulations de retraite de la victime. Elle ne pose pas de règle nouvelle, mais illustre le dialogue entre le Conseil d’État, qui fixe le cadre juridique et censure les erreurs de droit ou de méthode, et la juridiction du fond, qui conserve un pouvoir souverain pour apprécier les faits et évaluer le montant du dommage. En l’espèce, la cassation de l’arrêt précédent a vraisemblablement sanctionné une motivation insuffisante ou une méthode d’évaluation erronée. La cour de renvoi a donc pris soin de détailler son raisonnement de manière quasi mathématique pour le sécuriser. Cette démarche, tout en assurant une juste indemnisation à la victime pour la part de son préjudice qu’elle a pu prouver, renforce la prévisibilité des décisions en matière de réparation de préjudices corporels complexes.