Cour d’appel administrative de Toulouse, le 23 janvier 2025, n°23TL00968

Par un arrêt en date du 23 janvier 2025, une cour administrative d’appel a été amenée à se prononcer sur les conditions de retrait d’un titre de séjour fondé sur un doute sérieux quant à l’authenticité de l’état civil d’un ressortissant étranger.

En l’espèce, un individu de nationalité guinéenne, déclarant être mineur à son arrivée en France, avait été confié au service de l’aide sociale à l’enfance. Après plusieurs péripéties administratives et contentieuses, incluant l’annulation d’un premier refus de séjour par le tribunal administratif de Toulouse, puis l’infirmation de ce jugement par la cour administrative d’appel de Bordeaux, l’intéressé s’était vu délivrer un titre de séjour. Cependant, se fondant sur la décision d’appel devenue définitive qui remettait en cause la force probante des documents d’état civil fournis, le préfet a retiré ce titre, refusé d’en délivrer un nouveau et assorti sa décision d’une obligation de quitter le territoire français. L’étranger a saisi le tribunal administratif de Toulouse, qui a rejeté sa demande. Il a interjeté appel de ce jugement. Le requérant soutenait notamment que l’administration avait commis une erreur de fait sur son état civil et une erreur de droit quant au fondement juridique de la décision de retrait, tout en portant une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale. Le problème de droit soumis à la cour consistait à déterminer si l’administration pouvait légalement retirer un titre de séjour en se fondant sur le caractère non probant d’un acte d’état civil étranger, dont l’invalidité avait été consacrée par une précédente décision de justice devenue définitive, et ce, malgré l’invocation par l’intéressé d’une protection au titre de sa vie privée et familiale.

La cour administrative d’appel rejette la requête. Elle estime que le préfet était fondé à considérer que l’état civil de l’intéressé n’était pas établi, se conformant ainsi à l’appréciation d’une précédente décision de justice. Par conséquent, ni l’erreur de droit soulevée, jugée sans influence sur le sens de la décision, ni l’atteinte alléguée à la vie privée et familiale de l’appelant ne pouvaient justifier l’annulation des mesures d’éloignement. La cour confirme ainsi la position de l’administration en s’appuyant sur une appréciation rigoureuse des pièces d’état civil, ce qui conduit à une application stricte des conditions du droit au séjour.

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I. La consolidation du pouvoir de l’administration face à un état civil douteux

La décision de la cour administrative d’appel réaffirme avec force le pouvoir de contrôle de l’administration sur les documents d’état civil étrangers, en particulier lorsque leur fiabilité est contestée. Elle valide la démarche préfectorale en s’appuyant d’une part sur une appréciation concrète des pièces produites (A) et, d’autre part, en accordant un poids déterminant à une précédente décision juridictionnelle devenue définitive (B).

A. Le rejet d’un acte d’état civil jugé dépourvu de force probante

Le droit français, à travers l’article 47 du code civil, pose une présomption de validité pour les actes d’état civil étrangers. Toutefois, cette présomption est simple et peut être renversée. L’arrêt commenté illustre parfaitement les circonstances dans lesquelles le juge administratif, à la suite de l’administration, peut écarter un tel acte. En l’espèce, la cour relève que le jugement supplétif tenant lieu d’acte de naissance, bien que pièce maîtresse du dossier de l’appelant, était « dénué de force probante ». Pour parvenir à cette conclusion, elle ne se contente pas d’une simple affirmation mais s’appuie sur un faisceau d’indices concordants. Elle note « que cette décision juridictionnelle a été rendue le 20 février 2018, soit le jour même du dépôt de la demande », ce qui rendait matériellement impossible toute vérification sérieuse. La cour souligne également les incohérences factuelles, comme la déclaration antérieure du décès de la mère qui a pourtant présenté la demande, ainsi que l’absence d’informations essentielles dans le jugement. Cette analyse factuelle détaillée démontre que le juge administratif exerce un contrôle concret et approfondi, refusant d’accorder une confiance aveugle à des documents dont les conditions d’établissement apparaissent suspectes. La légèreté avec laquelle ces pièces ont été établies suffit à priver de fondement la demande de l’intéressé, dont la minorité alléguée était la condition même de l’ouverture de ses droits.

B. La portée décisive de l’autorité de la chose précédemment jugée

Au-delà de sa propre analyse, la cour administrative d’appel ancre sa décision dans le sillage d’un arrêt antérieur rendu par la cour administrative d’appel de Bordeaux, lequel était devenu définitif. C’est un point fondamental de son raisonnement. En considérant que cette précédente décision a définitivement tranché la question de la valeur probante du jugement supplétif, la cour actuelle applique implicitement le principe de sécurité juridique. Elle refuse de remettre en question une appréciation déjà effectuée par une juridiction de même niveau, d’autant plus qu’aucun « élément nouveau » n’est apporté par l’appelant. La tentative de ce dernier de produire une carte consulaire pour la première fois en appel est ainsi balayée, la cour estimant avec logique que ce document n’a pas de valeur propre puisqu’il « a été délivré sur le fondement du jugement supplétif » déjà invalidé. Cette approche rigoureuse a pour effet de clore le débat sur l’état civil de l’intéressé. Une fois la pierre angulaire de son dossier retirée, l’édifice de ses droits au séjour ne pouvait que s’effondrer, ouvrant la voie à une application stricte des autres conditions du droit des étrangers.

II. L’application rigoureuse des conséquences du défaut de preuve sur le droit au séjour

Une fois le doute sur l’état civil consolidé en certitude juridique, la cour en tire toutes les conséquences logiques quant au droit au séjour de l’intéressé. Elle écarte avec pragmatisme l’argumentation formelle du requérant (A) avant de procéder à une appréciation restrictive de son intégration en France au regard de sa vie privée et familiale (B).

A. La neutralisation de l’erreur de droit par l’identité du pouvoir d’appréciation

Le requérant soulevait une erreur de droit, arguant que le préfet avait visé l’article L. 435-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA), relatif à l’admission exceptionnelle, au lieu de l’article L. 423-22, concernant les jeunes confiés à l’aide sociale à l’enfance avant seize ans. La cour reconnaît l’erreur de visa. Cependant, elle la juge sans incidence sur la légalité de la décision. Elle motive sa position en expliquant que « l’administration dispose du même pouvoir d’appréciation pour appliquer l’un ou l’autre de ces articles » lorsque le motif du refus est le caractère erroné de la date de naissance. Ce raisonnement illustre une tendance pragmatique de la jurisprudence administrative, qui privilégie la substance sur la forme. Dès lors que le fondement réel de la décision – le doute sur l’âge – est identique et que le pouvoir discrétionnaire du préfet est de même nature dans les deux cas, l’erreur de plume devient inopérante. Cette solution évite l’annulation d’une décision pour un motif purement formel, alors même que l’administration aurait pu légalement prendre la même décision sur un autre fondement.

B. Une appréciation restrictive de l’atteinte à la vie privée et familiale

Face à la remise en cause de son droit au séjour, l’appelant invoquait la protection de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. La cour procède alors à un contrôle de proportionnalité pour déterminer si le retrait du titre porte une atteinte excessive à son droit au respect de la vie privée et familiale. Son analyse est particulièrement stricte. Elle constate que l’intéressé est « entré très récemment en France » et qu’il n’est pas « dépourvu d’attaches dans son pays d’origine ». Si elle prend note de ses efforts d’insertion professionnelle et de sa relation avec une ressortissante en situation régulière, elle juge ces éléments « insuffisants pour caractériser l’existence de liens anciens et durables en France ». La cour va jusqu’à considérer que la grossesse de la compagne de l’intéressé n’est pas un obstacle dirimant à l’éloignement, affirmant que la cellule familiale « pourra se reformer en Guinée ». Cette appréciation, classique en contentieux des étrangers, montre que le juge exige une intensité particulière des liens privés et familiaux pour faire obstacle à une mesure d’éloignement, surtout lorsque le séjour initial de l’étranger repose sur des déclarations jugées inexactes. En l’absence de preuve d’un état civil authentique et d’une intégration ancienne et stable, la protection de la vie privée et familiale trouve ses limites.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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