Cour d’appel administrative de Toulouse, le 23 septembre 2025, n°23TL00334

Par un arrêt en date du 23 septembre 2025, la Cour administrative d’appel de Toulouse a été amenée à se prononcer sur la responsabilité d’une collectivité territoriale et sur les conditions d’octroi de la protection fonctionnelle à l’un de ses agents.

En l’espèce, une fonctionnaire territoriale, après avoir gravi plusieurs échelons depuis son recrutement en 2004, a sollicité auprès de son employeur, une commune, la réparation de préjudices qu’elle estimait résulter d’une situation de harcèlement moral, d’un accident de service et de divers manquements administratifs. Elle a également demandé le bénéfice de la protection fonctionnelle. Face au silence de l’administration, valant décisions implicites de rejet, l’agente a saisi le tribunal administratif de Montpellier. Par un jugement du 8 décembre 2022, ce dernier a rejeté l’ensemble de ses demandes. L’agente a interjeté appel de cette décision, soutenant que les premiers juges avaient commis des erreurs de droit, dénaturé les faits et méconnu l’existence d’un harcèlement moral ainsi que les carences fautives de la commune.

Le problème de droit soulevé par cette affaire consistait à déterminer si un agent public peut engager la responsabilité de son employeur et obtenir le bénéfice de la protection fonctionnelle lorsque les faits qu’il invoque, bien que pouvant révéler des tensions professionnelles et un management inapproprié, ne suffisent pas à établir des agissements répétés de harcèlement moral et que les autres manquements allégués ne sont pas caractérisés.

La cour administrative d’appel a rejeté la requête, confirmant le jugement de première instance. Elle a estimé que les éléments produits par la requérante n’étaient pas suffisants pour faire présumer une situation de harcèlement moral, condition nécessaire à l’octroi de la protection fonctionnelle. De plus, elle a écarté l’existence d’autres fautes de la collectivité susceptibles d’engager sa responsabilité, que ce soit au titre de l’adéquation du poste au grade, de la réparation d’un accident de service ou du versement de primes.

La solution retenue par la cour repose sur une analyse rigoureuse des conditions d’engagement de la responsabilité de l’employeur public. Elle écarte la qualification de harcèlement moral en raison d’une insuffisance probatoire (I), avant de rejeter, avec la même exigence, les autres fautes alléguées par l’agent (II).

I. Le rejet de la qualification de harcèlement moral en l’absence d’éléments de fait suffisants

La cour applique de manière stricte le régime probatoire du harcèlement moral (A), ce qui la conduit logiquement à valider le refus d’octroi de la protection fonctionnelle (B).

A. L’application rigoureuse du régime de la preuve en matière de harcèlement

Conformément à une jurisprudence établie, il appartient à l’agent qui se prétend victime de harcèlement moral de soumettre au juge des éléments de fait matériels, précis et concordants, susceptibles de faire présumer l’existence de tels agissements. Dans le cas présent, la cour examine méthodiquement les pièces versées au dossier par l’appelante et constate leur insuffisance. Elle écarte d’abord une attestation en raison des liens familiaux de son auteur avec la requérante.

Ensuite, elle analyse les témoignages de collègues, relevant que l’un « ne rapporte pas de faits précis » tandis que l’autre, bien qu’évoquant des tensions, ne permet pas d’isoler des agissements répétés visant spécifiquement l’agente. La cour souligne que les faits relatés impliquent plusieurs personnes et ne correspondent pas entièrement aux accusations initiales. Elle conclut que ces éléments, pris ensemble ou séparément, « ne peuvent être regardés comme soumettant au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l’existence d’agissements constitutifs de harcèlement moral ». Cette approche démontre la volonté du juge de ne pas déduire le harcèlement d’un simple climat de travail dégradé, mais d’exiger des faits objectifs et imputables.

B. La subordination du droit à la protection fonctionnelle à la reconnaissance préalable du harcèlement

Le rejet de la qualification de harcèlement moral emporte une conséquence directe sur la demande de protection fonctionnelle. La cour rappelle que si la protection est due en cas d’actes d’un supérieur hiérarchique qui sont, « par leur nature ou leur gravité, insusceptibles de se rattacher à l’exercice normal du pouvoir hiérarchique », l’existence de tels actes doit être établie.

Or, en l’absence d’éléments suffisants pour présumer le harcèlement, la condition première pour l’octroi de la protection n’est pas remplie. La cour prend soin de noter que le comportement du chef de service était globalement « inapproprié », au point d’avoir justifié son éviction. Toutefois, cette appréciation sur l’attitude managériale ne suffit pas à franchir le seuil juridique du harcèlement. Par conséquent, « en l’absence de harcèlement moral ou de discrimination exercés à l’encontre de Mme F…, le maire (…) a pu légalement lui refuser le bénéfice de la protection fonctionnelle ». La décision illustre clairement que la protection fonctionnelle n’est pas un droit automatique face à des difficultés relationnelles, même sérieuses, mais une garantie subordonnée à la caractérisation d’atteintes définies par la loi.

II. L’appréciation restrictive des autres fautes alléguées à l’encontre de l’employeur public

Au-delà de la question centrale du harcèlement, la cour se penche sur les autres griefs formulés par l’agente. Elle confirme les limites de l’obligation d’affectation de l’employeur (A) et rejette les diverses prétentions indemnitaires faute de preuve d’un droit (B).

A. La confirmation des limites à l’obligation d’affecter un agent sur un emploi correspondant à son grade

La requérante soutenait avoir subi un préjudice du fait d’une inadéquation persistante entre son grade de technicien territorial et les fonctions d’agente d’entretien qu’elle continuait d’exercer. La cour rappelle le principe selon lequel le grade confère à son titulaire « vocation à occuper l’un des emplois qui lui correspondent ». Cependant, elle nuance la portée de cette obligation pour l’administration.

La cour relève deux éléments déterminants pour écarter la faute de l’employeur. D’une part, la commune a justifié par des raisons budgétaires le non-renouvellement du seul poste visé par l’agente. D’autre part, et de manière décisive, l’agente « a refusé un poste de technicienne territoriale au sein de la direction de l’urbanisme peu de temps après sa nomination ». Au regard de ces circonstances, et notamment du refus de l’agente, la cour juge que l’affectation maintenue ne résultait pas d’une « inertie fautive de la commune ». Cette solution réaffirme que si l’agent a droit à un emploi correspondant à son grade, il ne dispose pas d’un droit absolu au poste de son choix et son propre comportement peut exonérer l’administration de sa responsabilité.

B. Le rejet des prétentions indemnitaires faute de préjudice établi ou de droit acquis

Cette même exigence de démonstration d’une faute ou d’un droit caractérisé se retrouve dans l’examen des autres demandes indemnitaires. Concernant l’accident de service, la cour rappelle que la réparation forfaitaire par les prestations légales n’exclut pas une indemnisation complémentaire, mais à la condition de prouver des préjudices non patrimoniaux ou une faute de l’employeur. Or, elle constate que l’agente ne produit aucun certificat médical circonstancié établissant un lien entre son état psychique et l’accident, ni ne justifie de troubles particuliers dans les conditions d’existence.

S’agissant des primes et indemnités, la cour oppose un raisonnement tout aussi rigoureux. Elle juge que l’agente « ne peut prétendre, du seul fait qu’elle est titulaire du grade de technicienne, à être indemnisée au titre des primes ou indemnités liées à l’exercice effectif de fonctions qu’elle n’occupe pas ». Elle écarte également sa demande relative à la nouvelle bonification indiciaire en soulignant qu’elle « ne justifie pas qu’elle était éligible à cette bonification avant cette date ». Ce faisant, la cour réaffirme un principe fondamental de la fonction publique selon lequel le droit à un traitement indemnitaire est subordonné à l’exercice effectif des fonctions y ouvrant droit et au respect des conditions réglementaires.

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Hassan KOHEN
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