Un fonctionnaire, affecté en tant que magasinier des bibliothèques, a fait l’objet d’une sanction d’exclusion temporaire de fonctions pour une durée de deux ans par une décision ministérielle du 12 mars 2021. Cette mesure disciplinaire sanctionnait des faits d’insubordination, des retards, des absences, ainsi qu’un comportement conflictuel et inapproprié envers sa hiérarchie et ses collègues, survenus au cours des années 2015 et 2016. Ces mêmes faits avaient initialement conduit au prononcé d’une sanction de révocation le 1er décembre 2016. Toutefois, cette première sanction fut annulée par un arrêt de la cour administrative d’appel de Marseille du 19 octobre 2020, obligeant l’administration à réintégrer l’agent. C’est à la suite de cette annulation juridictionnelle que l’autorité ministérielle a pris une nouvelle sanction, moins sévère, sur le fondement de la procédure initialement menée.
L’agent a contesté cette seconde sanction devant le tribunal administratif de Montpellier, en soulevant notamment la prescription de l’action disciplinaire et le caractère disproportionné de la sanction. Il a également formé une demande indemnitaire en réparation du préjudice né de la sanction de révocation illégale. Par un jugement du 22 septembre 2023, le tribunal a rejeté l’ensemble de ses demandes, jugeant notamment ses conclusions indemnitaires irrecevables. L’agent a interjeté appel de ce jugement, réitérant ses moyens d’annulation et contestant l’irrecevabilité de sa demande de réparation. L’administration a conclu au rejet de la requête, soutenant que la prescription n’était pas acquise et que la sanction était justifiée.
Le litige soulevé devant la cour administrative d’appel posait deux questions principales. D’une part, il s’agissait de déterminer si l’annulation par le juge d’une première sanction disciplinaire a pour effet de faire courir un nouveau délai de prescription, interdisant à l’administration de sanctionner à nouveau les mêmes faits sur la base de la procédure initiale. D’autre part, la cour devait apprécier si une sanction d’exclusion temporaire de deux ans revêtait un caractère proportionné au regard de la gravité et de la répétition des manquements d’un agent ayant déjà fait l’objet d’une sanction antérieure pour des faits similaires.
Par un arrêt du 23 septembre 2025, la cour administrative d’appel a rejeté les prétentions de l’agent. Elle juge que le délai de prescription de l’action disciplinaire ne s’applique qu’à l’engagement des poursuites et non à l’édiction de la sanction. Ainsi, l’annulation d’une première décision n’oblige pas l’administration à réengager toute la procédure, laquelle demeure valable. La cour estime en conséquence que le délai de prescription n’a pas été méconnu. Elle juge ensuite, après un examen détaillé des faits, que la sanction n’est pas disproportionnée compte tenu de la gravité et du caractère répété des fautes, ainsi que des antécédents disciplinaires de l’intéressé. L’arrêt apporte ainsi une clarification sur la portée de la prescription disciplinaire après une annulation contentieuse (I), avant de confirmer la plénitude du contrôle du juge sur la proportionnalité de la sanction (II).
I. La pérennité de l’action disciplinaire par-delà l’annulation juridictionnelle
La décision commentée offre une application rigoureuse de la règle de prescription de l’action disciplinaire, en précisant que l’annulation d’une première sanction n’emporte pas l’extinction de l’action (A) et que le délai de prescription encadre l’engagement des poursuites mais non le prononcé de la sanction subséquente (B).
A. La dissociation de la sanction et de la procédure disciplinaire
L’arrêt rappelle utilement que l’annulation d’une décision administrative n’affecte pas nécessairement l’ensemble de la procédure qui l’a précédée. En l’espèce, la première sanction de révocation avait été annulée, mais les actes de procédure antérieurs, notamment la saisine régulière du conseil de discipline, n’avaient pas été remis en cause par le premier juge d’appel. La cour en déduit logiquement que l’administration conservait la faculté de prendre une nouvelle décision en se fondant sur cette même procédure. Elle énonce clairement que « l’autorité administrative n’était pas tenue de réinitier la procédure disciplinaire (…) dès lors que cette formalité avait été régulièrement accomplie avant l’intervention de la première sanction ».
Cette solution assure la continuité de l’action administrative et préserve l’efficacité du pouvoir disciplinaire. Elle permet à l’administration de corriger son appréciation sur la sanction à infliger sans être contrainte de reprendre à son commencement un processus souvent long et complexe. Le raisonnement de la cour distingue ainsi le sort de la décision finale de celui des étapes procédurales qui y ont conduit. Une telle distinction est fondamentale pour garantir un équilibre entre les droits de l’agent, qui bénéficie de l’annulation d’une sanction illégale, et la nécessité pour l’administration de sanctionner des manquements avérés au bon fonctionnement du service.
B. Une interprétation stricte du point de départ de la prescription
Le moyen principal de l’appelant reposait sur l’article 19 de la loi du 13 juillet 1983, qui fixe à trois ans le délai de prescription de l’action disciplinaire. L’agent soutenait que la nouvelle sanction de 2021, pour des faits datant de 2015-2016, était prescrite. La cour rejette cette argumentation en opérant une lecture stricte de la loi. Elle souligne que le délai triennal « s’applique uniquement à l’engagement des poursuites disciplinaires et non à l’édiction de la sanction disciplinaire ». Les poursuites ayant été initiées dès 2016, soit dans le délai légal, l’administration restait compétente pour prononcer une nouvelle sanction après l’annulation de la première.
Cette interprétation confirme que la prescription vise à empêcher l’inertie de l’administration face à des faits dont elle a connaissance, mais ne saurait faire obstacle à la conclusion d’une procédure valablement engagée. La solution retenue est cohérente avec la finalité de la prescription, qui est de protéger les agents d’une menace disciplinaire indéfiniment suspendue. Une fois l’action engagée, l’agent ne se trouve plus dans cette situation d’incertitude. La solution adoptée par la cour a pour portée de sécuriser la capacité de l’administration à exercer son pouvoir disciplinaire, même en cas de revers contentieux, pourvu que l’engagement initial des poursuites ait été diligent.
II. La confirmation d’un contrôle de proportionnalité approfondi
Après avoir écarté le moyen tiré de la prescription, la cour exerce son contrôle sur le choix de la sanction. Elle procède à une appréciation concrète de la matérialité des fautes (A) pour en déduire la justification de la sévérité de la sanction, notamment au regard du comportement général de l’agent (B).
A. L’examen concret et détaillé des manquements de l’agent
L’arrêt ne se contente pas d’une approbation de principe de la décision administrative. Il procède à une énumération minutieuse des griefs retenus à l’encontre du fonctionnaire. La cour relève ainsi que l’agent « a fait preuve de nombreux retards », « n’a pas assuré le rangement collectif des collections » et « a manifesté à plusieurs reprises une vive contestation ». Elle s’attache également au contenu des écrits de l’intéressé, notant l’envoi de « messages électroniques intempestifs au ton parfois accusateur » et l’emploi de « termes insidieux et agressifs » à l’encontre de sa supérieure hiérarchique.
Cette motivation détaillée démontre l’intensité du contrôle exercé par le juge de l’excès de pouvoir en matière disciplinaire. Loin de s’en tenir à une simple vérification de l’absence d’erreur manifeste d’appréciation, le juge administratif opère un contrôle complet de la qualification juridique des faits et de leur matérialité. Il s’assure ainsi que la décision de l’administration repose sur des faits établis, précis et concordants. Une telle démarche est une garantie essentielle pour l’agent, car elle assure que la sanction n’est pas fondée sur des allégations générales mais bien sur des manquements objectivement constatés.
B. La prise en compte des antécédents disciplinaires dans l’appréciation
Pour conclure que la sanction n’était pas disproportionnée, la cour ne se limite pas aux seuls faits de 2015-2016. Elle prend soin de souligner leur « caractère répété » et met en perspective la sanction litigieuse avec « la sanction d’exclusion temporaire de fonctions pour une durée de six mois infligée le 20 mars 2011 pour des faits similaires ». Cet élément est déterminant dans son appréciation. Il démontre que les manquements de l’agent s’inscrivaient dans la durée et qu’une première mesure disciplinaire n’avait pas suffi à amender son comportement.
La prise en compte des antécédents est une pratique constante du juge administratif pour apprécier la proportionnalité d’une sanction. Elle permet de moduler la réponse de l’administration en fonction de la personnalité de l’agent et de sa propension à réitérer des comportements fautifs. En validant une sanction d’exclusion de deux ans, soit la plus lourde du troisième groupe, pour un agent récidiviste, la cour confirme que la répétition des fautes constitue une circonstance aggravante justifiant une sévérité accrue. Cette décision réaffirme ainsi le principe d’une discipline progressive, tout en validant le pouvoir de l’administration de recourir à des sanctions sévères lorsque le comportement de l’agent perturbe durablement le service.