Cour d’appel administrative de Toulouse, le 24 juin 2025, n°25TL00649

En application de la législation relative aux licenciements pour motif économique, l’administration est chargée d’homologuer le document unilatéral de l’employeur fixant le contenu d’un plan de sauvegarde de l’emploi. Par un arrêt en date du 24 juin 2025, la cour administrative d’appel de Toulouse se prononce sur la légalité d’une telle décision d’homologation, et plus particulièrement sur l’étendue du contrôle exercé sur la définition des catégories professionnelles dont les postes sont supprimés. En l’espèce, une société spécialisée dans la conception de dispositifs de recharge pour véhicules électriques avait établi un plan prévoyant la suppression de plusieurs postes d’ingénieurs. Deux salariés concernés par ces suppressions ont contesté la validité de ce plan, arguant que la catégorie professionnelle à laquelle ils appartenaient avait été artificiellement distinguée d’une autre catégorie, dont les membres n’étaient pas menacés par le plan, alors même que les fonctions exercées étaient en réalité interchangeables.

La procédure a débuté par l’homologation du plan de sauvegarde de l’emploi par le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi. Saisis par les deux salariés, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté leurs demandes d’annulation par un jugement du 28 janvier 2025. Les salariés ont alors interjeté appel de ce jugement, soutenant que la délimitation des catégories professionnelles était erronée et visait à contourner les règles d’ordre des licenciements en désignant à l’avance les personnes dont le contrat de travail serait rompu. La société, en défense, soulevait l’incompétence de la juridiction administrative pour se prononcer sur la pertinence de la définition des catégories professionnelles. La question de droit posée à la cour était donc de savoir si le contrôle de légalité exercé par l’autorité administrative, et par extension par le juge, sur un plan de sauvegarde de l’emploi, doit se limiter à une vérification formelle des catégories professionnelles définies par l’employeur, ou s’il doit s’étendre à une analyse concrète et factuelle de la similarité des fonctions exercées par les salariés afin de garantir la pertinence de ces catégories.

À cette question, la cour administrative d’appel répond par l’affirmative, annulant le jugement de première instance ainsi que la décision d’homologation. Elle juge que la distinction opérée par l’employeur entre les deux catégories d’ingénieurs n’était pas pertinente, dès lors qu’une analyse des conditions réelles de travail démontrait que les salariés des deux groupes exerçaient des fonctions de même nature et reposaient sur une formation professionnelle commune. La décision de la cour réaffirme ainsi l’étendue du contrôle de l’administration sur la pertinence des catégories professionnelles (I), tout en faisant prévaloir une appréciation concrète de l’interchangeabilité des salariés sur les qualifications formelles (II).

I. La réaffirmation du contrôle administratif sur la pertinence des catégories professionnelles

La cour administrative d’appel commence par écarter l’exception d’incompétence soulevée par l’employeur, confirmant la pleine compétence du juge administratif pour apprécier la validité de la définition des catégories professionnelles (A), avant de rappeler les critères de fond sur lesquels ce contrôle doit se fonder (B).

**A. La compétence du juge administratif dans l’appréciation des catégories professionnelles**

La société soutenait que la contestation relative à l’affectation des salariés dans les catégories professionnelles relevait de la compétence du juge judiciaire. La cour rejette fermement cette argumentation en s’appuyant sur les dispositions du code du travail. Elle rappelle que la définition des « catégories professionnelles concernées » est un élément constitutif du plan de sauvegarde de l’emploi que l’autorité administrative doit contrôler avant toute homologation. La légalité de la décision administrative d’homologation est donc directement conditionnée par la pertinence de cette définition.

Dès lors, il appartient bien à la juridiction administrative de statuer sur un moyen tiré d’une appréciation erronée des catégories professionnelles par l’administration. La cour prend soin de distinguer ce contrôle de celui qui relève du juge judiciaire. Elle précise en effet qu’un tel examen « ne conduit pas la juridiction administrative à exercer un contrôle, qui relève de la compétence du juge judiciaire, de la pertinence de la classification dont les salariés font individuellement l’objet au sein des catégories socioprofessionnelles une fois celles-ci préalablement définies ». La nuance est essentielle : le juge administratif contrôle la structure du plan, c’est-à-dire le cadre général et objectif que sont les catégories, tandis que le juge judiciaire reste compétent pour les litiges individuels relatifs à l’application de ce cadre à la situation d’un salarié.

**B. Le contrôle de l’erreur d’appréciation appliqué à la définition des catégories**

Une fois sa compétence affirmée, la cour rappelle les principes directeurs guidant l’appréciation de l’administration. En vertu des dispositions du code du travail, les catégories professionnelles doivent regrouper l’ensemble des salariés qui, au sein de l’entreprise, exercent des fonctions de même nature et supposant une formation professionnelle commune. Ce regroupement doit s’effectuer « en tenant compte des acquis de l’expérience professionnelle qui excèdent l’obligation d’adaptation qui incombe à l’employeur ». La jurisprudence précise ainsi que cette notion de catégorie professionnelle permet d’assurer que l’ordre des licenciements s’applique à tous les salariés occupant des emplois de même nature, afin qu’ils soient traités de manière égale.

La cour souligne également que l’administration doit refuser l’homologation si la définition des catégories repose sur des considérations étrangères à ce critère fonctionnel, ou si elle a été établie « dans le but de permettre le licenciement de certains salariés pour un motif inhérent à leur personne ». Le contrôle administratif ne peut donc être purement formel ; il doit s’assurer que la délimitation opérée par l’employeur est objective et ne constitue pas un détournement de la procédure visant à contourner l’application des critères d’ordre des licenciements. C’est sur la base de ce cadre rigoureux que la cour procède à l’examen concret des faits de l’espèce.

II. La primauté de l’analyse concrète des fonctions sur les classifications formelles

L’apport principal de l’arrêt réside dans la méthode d’analyse retenue par la cour, qui fait prévaloir les conditions réelles d’exercice des fonctions sur les intitulés et descriptions de poste formels (A), sanctionnant ainsi une délimitation qu’elle juge artificielle et dénuée de pertinence (B).

**A. La prévalence des conditions d’exercice réelles des fonctions**

Pour déterminer si les deux catégories d’ingénieurs étaient distinctes, la cour ne s’est pas contentée des documents fournis par l’employeur visant à justifier la séparation. Bien que la société ait tenté de différencier les postes sur la base d’un travail théorique plus important ou d’un niveau de diplôme et d’expérience exigé, la cour a fondé son analyse sur des éléments factuels et concrets. Elle relève que les salariés des deux catégories étaient tous désignés comme « ingénieurs » dans l’organigramme et affectés au même pôle.

Surtout, la cour s’appuie sur les fiches de poste nominatives, signées et datées, qui démontraient que les salariés exerçaient « des fonctions identiques », et ce, malgré des intitulés de poste différents. La cour note également que ces salariés partageaient le même niveau de responsabilité hiérarchique. Face à ces éléments concordants, les arguments de l’employeur tirés d’une différence de nature entre les missions sont écartés. La cour va jusqu’à rejeter des fiches de poste produites en appel par la société, au motif qu’elles n’étaient « ni nominatives ni datées ni signées » et donc pas suffisamment probantes. Cette approche pragmatique illustre une volonté de rechercher la réalité des situations de travail au-delà des apparences.

**B. La sanction d’une délimitation artificielle des catégories professionnelles**

En jugeant non pertinente la distinction entre les catégories « Ingénieur électronique niv(eau) 1 » et « Ingénieur électronique niv(eau) 2 », la cour met en évidence les conséquences d’une telle délimitation. Une définition trop restrictive des catégories professionnelles a pour effet de neutraliser l’application des critères d’ordre des licenciements prévus par le code du travail. En l’espèce, si une seule catégorie avait été constituée, l’application des critères d’ancienneté et de charges de famille aurait potentiellement conduit au licenciement d’un autre salarié que les requérants.

La décision sanctionne donc implicitement une stratégie de l’employeur qui, en créant des catégories très étroites, parvient à désigner à l’avance les salariés qui seront licenciés, vidant de sa substance le mécanisme légal de l’ordre des licenciements. Cet arrêt a une portée pratique importante : il rappelle aux employeurs que la définition des catégories professionnelles doit reposer sur une analyse objective et vérifiable des fonctions, et non sur des organigrammes ou des descriptions de poste de pure forme. Pour les salariés, il constitue une garantie que le juge administratif exerce un contrôle effectif et concret, assurant que les protections légales en matière de licenciement collectif ne soient pas contournées par des artifices de classification.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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