Un professeur d’éducation physique et sportive, exerçant dans un collège, a sollicité le bénéfice de la protection fonctionnelle après avoir fait l’objet d’accusations de la part d’élèves et d’une assistante d’éducation, qu’il qualifiait de calomnieuses. Suite au silence gardé par l’administration, valant décision implicite de rejet, puis à une décision explicite de rejet du recteur d’académie, l’agent a saisi la juridiction administrative. Le tribunal administratif de Toulouse a rejeté ses demandes par un jugement du 8 mars 2023 et une ordonnance du 25 juillet 2023. L’agent a alors interjeté appel de ces deux décisions. Le requérant soutenait que les faits dont il était victime constituaient des attaques au sens du code général de la fonction publique, lui ouvrant droit à la protection, et que les mesures prises par l’administration étaient insuffisantes. Le recteur d’académie opposait, à titre principal, que ses services avaient pris les dispositions nécessaires et que la matérialité des attaques n’était pas établie, et, à titre subsidiaire, que le comportement de l’agent pouvait avoir contribué à la situation. La question de droit soumise à la cour administrative d’appel était donc de déterminer si des accusations graves et répétées, bien qu’infondées, formulées par des usagers à l’encontre d’un agent public, constituent des attaques obligeant l’administration à octroyer sa protection, et si des mesures de médiation peuvent suffire à remplir cette obligation.
Par un arrêt du 25 mars 2025, la cour administrative d’appel de Toulouse annule les décisions de première instance ainsi que le refus du recteur. Elle juge que les faits subis par l’enseignant, qualifiés de dénonciations calomnieuses, lui ouvraient droit au bénéfice de la protection fonctionnelle. La cour estime que, face à la « gravité et au caractère répété des propos calomnieux », les mesures prises par l’administration étaient insuffisantes et que le refus d’accorder la protection était entaché d’une erreur d’appréciation. Elle écarte par ailleurs l’argument d’une éventuelle faute personnelle de l’agent, considérant qu’elle n’est pas établie et ne saurait, en tout état de cause, justifier de telles accusations.
La décision commentée réaffirme avec force les conditions d’octroi de la protection fonctionnelle en présence d’accusations émanant d’usagers, en consacrant une interprétation extensive de la notion d’attaque (I), ce qui la conduit à exercer un contrôle rigoureux sur l’adéquation des mesures prises par l’administration (II).
I. La consécration d’une conception extensive du droit à la protection de l’agent
La cour administrative d’appel, pour reconnaître le droit de l’agent à la protection, procède d’abord à une requalification des faits en attaques au sens de la loi (A), avant de rejeter avec fermeté l’argument d’une faute personnelle qui aurait pu priver l’agent de ce droit (B).
A. La qualification des dénonciations infondées en attaques ouvrant droit à protection
L’administration, pour justifier son refus, soutenait que les accusations portées par les élèves ne constituaient pas des attaques, mais de simples interrogations, certes maladroites. Le recteur minimisait la portée des faits en indiquant que les élèves « ne se sont pas bornées, comme l’a mentionné le recteur d’académie dans la décision litigieuse, à faire part de leurs interrogations concernant l’usage de supports numériques par leur professeur ». La cour adopte une position inverse en qualifiant explicitement les faits de « dénonciations calomnieuses ». Elle ne se contente pas d’une analyse superficielle mais examine en détail la nature des propos tenus, leur contexte et leur évolution. Elle relève que les élèves sont revenues sur des accusations graves, qu’une assistante d’éducation a contribué à répandre des rumeurs, et que ces allégations ont persisté. En agissant ainsi, le juge administratif rappelle que la protection fonctionnelle n’est pas subordonnée à l’existence d’une plainte pénale ou d’une condamnation de l’auteur des propos. La seule matérialité de propos portant atteinte à la réputation et à l’honneur de l’agent, dès lors qu’ils sont liés au service, suffit à caractériser une attaque au sens de l’article L. 134-5 du code général de la fonction publique. Cette solution est protectrice pour les agents publics, souvent exposés à des mises en cause de la part des usagers du service public.
Au-delà de la qualification des faits, la cour examine également l’argument de l’administration tenant à un éventuel comportement fautif de l’agent.
B. Le rejet de la faute personnelle comme motif exonératoire de l’administration
L’administration tentait de justifier son refus, ou du moins de l’atténuer, en invoquant une possible faute personnelle de l’enseignant. Elle soutenait que celui-ci aurait filmé ses élèves durant les cours, ce qui aurait pu générer des « interrogations légitimes ». L’existence d’une faute personnelle de l’agent est en effet une cause classique de refus de la protection fonctionnelle, car elle rompt le lien avec le service. Cependant, la cour se montre particulièrement rigoureuse dans l’appréciation de cette notion. D’une part, elle constate que l’allégation de l’administration « n’est pas établie par les pièces du dossier », appliquant le principe selon lequel la charge de la preuve d’une faute personnelle incombe à l’administration qui l’invoque. D’autre part, et de manière plus significative, elle ajoute que « à supposer-même l’existence de ces enregistrements à des fins purement pédagogiques établie, l’utilisation de telles données à caractère personnel ne saurait être regardée comme justifiant les propos calomnieux dont [l’agent] a été victime ». Cette précision est essentielle : le juge établit une claire disproportion entre la faute alléguée, non prouvée et de nature administrative, et la gravité des accusations à caractère pénal subies par l’agent. Une faute personnelle ne peut justifier un refus de protection que si elle est d’une gravité suffisante et en lien direct avec les attaques subies, ce qui n’était manifestement pas le cas en l’espèce.
Après avoir ainsi solidement établi le droit de l’agent à la protection, la cour administrative d’appel procède à une analyse détaillée des devoirs qui incombent à l’employeur public en pareille situation.
II. Le contrôle rigoureux de l’étendue de l’obligation de protection de l’administration
La cour ne se limite pas à reconnaître le principe du droit à protection ; elle en contrôle concrètement l’application. Elle juge ainsi que les mesures prises par l’administration étaient insuffisantes au regard de la situation (A), conférant à sa décision une portée pédagogique importante pour l’ensemble des employeurs publics (B).
A. L’appréciation de l’insuffisance des mesures de protection mises en œuvre
L’obligation de protection qui pèse sur l’administration n’est pas une simple obligation de principe. Elle doit se traduire par des mesures effectives et adaptées à la situation. En l’espèce, l’administration se prévalait d’avoir organisé des entretiens avec les élèves, leurs familles et l’assistante d’éducation, et d’avoir adressé un courrier général aux parents d’élèves. Or, la cour juge ces actions insuffisantes. Elle souligne « la gravité et le caractère répété des propos calomnieux dont il a fait l’objet, alors qu’il ressort au surplus des pièces du dossier qu’ils ont continué de nourrir des rumeurs infondées postérieurement à la décision litigieuse ». Le juge exerce ici un contrôle de l’adéquation des moyens mis en œuvre. De simples mesures de médiation ou de clarification ne sauraient suffire lorsque l’agent est victime d’attaques graves et persistantes. La protection due par l’administration implique non seulement de faire cesser les troubles, mais aussi d’apporter un soutien clair à son agent et de réparer le préjudice subi. En refusant de prendre des mesures plus fermes, comme un engagement de poursuites ou a minima un soutien juridique explicite, et en formalisant son rejet, l’administration a manqué à son obligation.
En censurant l’appréciation portée par l’administration, la décision commentée acquiert une portée significative pour les agents publics exposés.
B. La portée de la décision : un rappel à l’ordre de l’administration employeur
Cet arrêt constitue un rappel important des devoirs de l’administration en sa qualité d’employeur. Il souligne que l’obligation de protection est un principe fondamental du statut des fonctionnaires, qui ne saurait être écarté par des considérations d’opportunité ou par une appréciation restrictive des faits. La décision a une valeur pédagogique, en ce qu’elle invite les administrations à ne pas sous-estimer l’impact que des rumeurs et des accusations, même si elles émanent d’adolescents, peuvent avoir sur un agent. La protection de l’agent n’est pas seulement une protection de sa personne, mais aussi une protection de sa fonction et de l’autorité qui s’y attache. En refusant son soutien, l’administration avait non seulement abandonné son agent mais aussi affaibli l’institution scolaire. En enjoignant au recteur d’accorder la protection dans un délai d’un mois, la cour ne laisse aucune marge d’appréciation à l’administration et assure la pleine effectivité de son arrêt. Il s’agit donc d’une décision d’espèce par ses faits, mais dont la portée est générale par le rappel exigeant qu’elle fait des obligations de tout employeur public face à un agent injustement mis en cause dans l’exercice de ses fonctions.