Un agent public, après avoir démissionné de son statut de fonctionnaire, fut recruté par la même commune en tant qu’agent contractuel sur un poste de catégorie supérieure. Plusieurs années plus tard, une nouvelle équipe municipale, prenant connaissance de l’irrégularité de ce recrutement ainsi que de la perception antérieure de suppléments de traitement indus, a prononcé à l’encontre de cet agent une mesure de suspension de fonctions, suivie quelques mois après d’un licenciement pour faute. L’agent a contesté ces deux décisions devant la juridiction administrative. Le tribunal administratif de Montpellier, par un jugement du 16 mai 2023, a rejeté l’ensemble de ses demandes. Saisie en appel, la cour administrative d’appel devait se prononcer sur la légalité de ces deux mesures distinctes. Elle devait notamment déterminer si une mesure de suspension présentait un caractère disciplinaire et si le changement de l’exécutif d’une collectivité territoriale pouvait avoir pour effet de rouvrir le délai de prescription pour des faits anciennement connus de l’administration. Par un arrêt en date du 25 mars 2025, la cour a confirmé la légalité de la suspension tout en annulant le licenciement. Elle juge que la mesure de suspension, de nature purement conservatoire, n’est pas soumise aux garanties de la procédure disciplinaire. En revanche, elle considère le licenciement illégal au motif que les faits reprochés étaient prescrits, l’administration en ayant eu connaissance plus de trois ans avant l’engagement des poursuites, précisant que « la circonstance qu’un nouveau maire ait été élu en 2020 et ait découvert les faits en janvier 2021 après son installation est sans incidence sur l’écoulement du délai de prescription ».
La solution retenue par la cour administrative d’appel consacre une distinction nette entre la mesure de suspension, validée au nom de l’intérêt du service (I), et la sanction du licenciement, annulée en raison d’une application rigoureuse des règles de prescription (II).
I. La validation de la mesure de suspension, une confirmation de la nature conservatoire de l’acte
La cour confirme la légalité de la suspension de fonctions en rappelant sa finalité exclusivement conservatoire. Cette qualification justifie tant l’exclusion des garanties procédurales propres au droit disciplinaire (A) que l’exercice d’un contrôle limité sur ses conditions de fond (B).
A. Le rejet des garanties propres au droit disciplinaire
Le requérant invoquait plusieurs moyens tirés de la violation de règles applicables en matière disciplinaire, tels que le principe *non bis in idem* ou la prescription des fautes. La cour les écarte de manière systématique en se fondant sur la nature de l’acte contesté. Elle rappelle avec force qu’une mesure de suspension « ne présente pas par elle-même un caractère disciplinaire mais est uniquement destinée à écarter temporairement un agent du service ». Cette qualification de mesure conservatoire emporte des conséquences procédurales déterminantes.
En effet, n’étant pas une sanction, la suspension échappe logiquement aux garanties qui entourent le pouvoir de sanction de l’administration. Ainsi, l’argument tiré du défaut de motivation est jugé inopérant, l’acte n’entrant pas dans le champ des décisions devant être motivées. De même, le grief relatif à l’absence de communication préalable du dossier est écarté, cette garantie étant réservée à la seule procédure disciplinaire. La cour réaffirme donc une jurisprudence constante qui isole la suspension de fonctions du champ répressif pour la cantonner à son rôle de protection de l’intérêt du service.
B. Le contrôle restreint des conditions de fond de la suspension
Une fois la nature conservatoire de l’acte établie, le juge administratif exerce un contrôle sur les seules conditions qui lui sont propres. Il vérifie que « les faits imputables à l’intéressé présentent un caractère suffisant de vraisemblance et de gravité et que l’éloignement de l’intéressé se justifie au regard de l’intérêt du service ». En l’espèce, les faits liés au recrutement irrégulier et à la perception de sommes indues sont jugés suffisamment vraisemblables et graves.
La cour estime également que la position de l’agent, secrétaire général, justifiait son éloignement pour garantir la sérénité du service. Le laps de temps écoulé entre les faits et la mesure n’est pas jugé de nature à vicier la décision, le juge se plaçant à la date où l’administration a agi au vu des informations dont elle disposait. Cette approche pragmatique confirme que la suspension est une mesure d’urgence administrative, dont la légalité s’apprécie au regard des nécessités du service et non de la chronologie des fautes.
Si la légalité de la mesure conservatoire est ainsi confirmée, la solution retenue pour le licenciement disciplinaire s’avère radicalement opposée, fondée sur une analyse stricte de la prescription.
II. L’annulation du licenciement, une application rigoureuse de la prescription triennale
La cour administrative d’appel annule la décision de licenciement en se fondant exclusivement sur la prescription des faits. Cette solution repose sur une conception objective de la connaissance des faits par l’administration, indifférente aux changements de ses dirigeants (A), et emporte des conséquences significatives en termes de réparation pour l’agent (B).
A. La connaissance des faits par l’administration, un critère objectif
Le cœur du raisonnement de la cour réside dans son interprétation de l’article 19 de la loi du 13 juillet 1983, qui fixe un délai de prescription de trois ans à compter du jour où l’administration a eu une « connaissance effective de la réalité, de la nature et de l’ampleur des faits passibles de sanction ». La commune soutenait que ce délai n’avait commencé à courir qu’à partir de la découverte des faits par le nouveau maire élu en 2020. La cour rejette fermement cette argumentation.
Elle relève que les faits, qu’il s’agisse de la signature du contrat en 2016 ou de la perception des suppléments familiaux, étaient connus de la commune en tant qu’institution dès leur commission. Le conseil municipal avait délibéré sur le recrutement et le maire de l’époque avait signé le contrat et attesté de la structuration de la rémunération. Pour le juge, « les faits reprochés (…) étaient effectivement connus de la commune, qui constitue l’administration ». La continuité de la personne morale de l’administration prime sur la succession de ses représentants. Le changement d’exécutif ne peut donc remettre en cause le point de départ du délai de prescription, qui avait déjà couru et était expiré lors de l’engagement de la procédure disciplinaire en 2021.
B. La portée de la sanction : la reconstitution de carrière comme conséquence de l’illégalité
L’annulation du licenciement pour un motif de légalité externe, tel que la prescription, a des effets radicaux. Elle implique nécessairement, comme le rappelle la cour, la réintégration juridique de l’agent et la reconstitution de sa carrière. L’agent est réputé n’avoir jamais cessé d’occuper son emploi. Par conséquent, la cour enjoint à la commune de procéder à cette réintégration et condamne cette dernière à verser à l’agent une indemnité correspondant à la perte de rémunération subie depuis la date d’effet du licenciement.
Toutefois, la décision est également notable par son refus d’indemniser le préjudice moral de l’agent. Le juge estime que, « dans les circonstances particulières de l’espèce », la réalité de ce préjudice n’est pas établie. Cette formule suggère une appréciation implicite du comportement de l’agent lui-même. Bien que la sanction soit illégale en la forme, le juge semble considérer que les fautes matérielles initiales, bien que prescrites, privent l’agent du droit à une réparation morale pour une éviction illégalement prononcée. La réparation se limite ainsi strictement aux conséquences pécuniaires de la perte d’emploi.