Par une ordonnance en date du 25 septembre 2025, le président de la cour administrative d’appel de Toulouse se prononce sur les conditions d’octroi d’une mesure d’expertise judiciaire dans le cadre d’une procédure de référé. En l’espèce, une patiente avait subi une intervention chirurgicale dans un établissement hospitalier, suivie de complications post-opératoires qui ont nécessité une seconde opération pour réparer une perforation de l’intestin grêle. À la suite de ces événements, une expertise amiable diligentée par l’assureur de la patiente a conclu à une maladresse fautive de la part du chirurgien. La patiente a alors saisi le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse d’une demande d’expertise judiciaire sur le fondement de l’article R. 532-1 du code de justice administrative, afin de faire la lumière sur les conditions de sa prise en charge et de déterminer ses préjudices.
Par une ordonnance du 10 juin 2025, le juge des référés de première instance a rejeté cette demande, la considérant dépourvue d’utilité au motif que la requérante disposait déjà du rapport d’expertise amiable. La patiente a interjeté appel de cette décision. Devant la cour, l’établissement hospitalier mis en cause ainsi que son assureur se sont joints à la demande d’expertise, contestant les conclusions du rapport amiable et soulignant son caractère non contradictoire. L’organisme national d’indemnisation, également mis en cause, ne s’est pas opposé à la mesure. La question de droit posée au juge d’appel était donc de savoir si l’existence d’un rapport d’expertise amiable, réalisé de manière unilatérale, faisait obstacle au caractère utile d’une expertise judiciaire sollicitée sur le fondement de l’article R. 532-1 du code de justice administrative.
Le juge des référés de la cour administrative d’appel de Toulouse annule l’ordonnance de première instance. Il juge que le rapport d’expertise amiable ne présente pas des garanties suffisantes, notamment car il n’a pas été réalisé au contradictoire des autres parties, qui en contestent par ailleurs les conclusions. Le juge en déduit que le recours à une expertise ordonnée par voie juridictionnelle présente bien un caractère utile pour apprécier de manière contradictoire les conditions de la prise en charge de la requérante, même si une action au fond a déjà été engagée.
Cette décision permet de préciser l’appréciation du critère d’utilité d’une mesure d’instruction en présence d’investigations antérieures (I), tout en confirmant le rôle central du principe du contradictoire dans l’administration de la preuve (II).
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I. L’appréciation renouvelée de l’utilité de l’expertise face à un rapport amiable préexistant
La présente ordonnance rappelle que l’utilité d’une expertise judiciaire doit être évaluée de manière concrète, en considérant les limites d’un rapport amiable unilatéral (A) et en adoptant une vision pragmatique des besoins du futur litige au fond (B).
A. L’insuffisance probatoire d’un rapport d’expertise unilatéral
Le juge des référés d’appel censure l’analyse du premier juge qui avait jugé la demande d’expertise inutile en raison de l’existence d’un rapport amiable. La cour souligne que ce rapport, bien que concluant à une faute, n’offre pas les mêmes garanties qu’une expertise judiciaire. La décision précise en effet que l’expertise amiable « ne présente pas des garanties suffisantes et équivalentes à celle d’une expertise judiciaire dès lors notamment que, effectuée à la demande de son assureur, elle n’a pas été réalisée au contradictoire des autres parties ».
Ce faisant, le juge ne se contente pas de constater l’existence d’un document technique, mais en évalue la valeur procédurale. Un rapport obtenu sans que les parties mises en cause aient pu y participer, présenter leurs observations ou contester les constatations de l’expert, ne possède qu’une force probante limitée. Il peut être librement discuté et contesté devant le juge du fond, ce qui fragilise sa capacité à éclairer objectivement la juridiction. L’ordonnance met ainsi en évidence qu’une mesure d’instruction n’est véritablement utile que si elle est susceptible de fonder une conviction solide et partagée par les parties.
B. Une approche pragmatique orientée vers le litige principal
L’utilité d’une mesure de référé-expertise s’apprécie au regard de « l’intérêt que la mesure présente dans la perspective d’un litige principal, actuel ou éventuel ». En l’espèce, la position même de l’établissement hospitalier, qui conteste les conclusions du rapport amiable et soutient la demande d’expertise en appel, démontre le caractère inopérant de ce premier rapport pour résoudre le litige. Le juge constate que le désaccord persistant sur les faits techniques rend nécessaire une nouvelle mesure d’instruction, cette fois-ci impartiale et opposable à tous.
En ordonnant l’expertise, le juge anticipe les difficultés du procès au fond. Maintenir le seul rapport amiable aurait conduit à une bataille d’expertises et à des débats techniques complexes, retardant l’issue du litige. La décision d’ordonner une expertise judiciaire commune apparaît donc comme une mesure de bonne administration de la justice, visant à établir une base factuelle saine et incontestable avant que le juge du fond ne tranche les questions de responsabilité. Le caractère « utile » de la mesure est ainsi renforcé par la nécessité de prévenir les contestations futures et de garantir l’efficacité de la procédure contentieuse.
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II. Le principe du contradictoire, critère déterminant de l’utilité de la mesure d’instruction
Au-delà de la seule question de l’utilité, la décision réaffirme la place fondamentale du principe du contradictoire comme une condition de la fiabilité de la preuve technique (A), tout en inscrivant sa solution dans le cadre classique du référé probatoire, sans en élargir la portée (B).
A. La garantie d’une preuve fiable et opposable
L’ordonnance illustre parfaitement que le principe du contradictoire n’est pas une simple règle de forme, mais une garantie essentielle pour la manifestation de la vérité. En matière de responsabilité médicale, où les faits sont souvent complexes et d’une grande technicité, une expertise judiciaire menée contradictoirement assure que chaque partie puisse faire valoir ses arguments, interroger l’expert et s’assurer que toutes les facettes du dossier sont examinées. Le juge souligne que seule une telle procédure permet d’apprécier « de manière contradictoire les conditions de la prise en charge de la requérante ».
Cette approche consacre la supériorité qualitative de l’expertise judiciaire sur tout autre mode d’investigation privé. Elle garantit le respect des droits de la défense de l’établissement mis en cause, tout en fournissant à la victime une preuve robuste pour sa demande d’indemnisation. En liant si étroitement l’utilité de la mesure au respect du contradictoire, le juge rappelle que l’objectif du référé-expertise n’est pas seulement de collecter des informations, mais de constituer une preuve fiable et opposable à toutes les parties lors du jugement sur le fond.
B. Une solution d’espèce confirmant un principe établi
Si la solution est claire, sa portée doit être mesurée. Il ne s’agit pas d’un revirement de jurisprudence mais de la juste application de principes bien établis. La décision ne signifie pas que toute expertise amiable est systématiquement inutile, mais qu’elle l’est lorsqu’elle n’est pas menée contradictoirement et que ses conclusions sont contestées par une partie au futur litige. Le juge procède à une appréciation *in concreto*, en fonction des circonstances de l’espèce.
L’ordonnance a ainsi une valeur principalement pédagogique : elle rappelle aux juges du fond que l’appréciation de l’utilité d’une mesure d’expertise ne saurait se limiter à un examen formel des pièces déjà disponibles. Elle doit intégrer une analyse prospective du contentieux à venir et de la force probante des éléments en présence. La décision s’inscrit donc dans la fonction traditionnelle du référé de l’article R. 532-1, qui est d’établir ou de conserver une preuve en vue d’un procès, en s’assurant que cette preuve sera véritablement opérante pour la résolution du litige.