Par un arrêt en date du 26 décembre 2024, la cour administrative d’appel a statué sur la situation d’un ressortissant étranger qui, après avoir résidé de manière prolongée sur le territoire national, s’est vu opposer un refus de renouvellement de son titre de séjour assorti d’une obligation de quitter le territoire français.
Un ressortissant de nationalité serbe, entré en France en 2006, avait bénéficié de titres de séjour temporaires pour raisons de santé de 2008 à 2016, puis de 2018 à 2021. À la suite d’une nouvelle demande, le préfet du Tarn a, par un arrêté du 18 août 2022, refusé de renouveler son titre, lui a enjoint de quitter le territoire français et a fixé le pays de destination. Le requérant a saisi le tribunal administratif de Toulouse, qui a rejeté sa demande par un jugement du 17 mai 2023. Il a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant que le refus de séjour portait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale, notamment en raison de la présence de ses quatre enfants majeurs en France, et méconnaissait les dispositions relatives à l’admission au séjour pour raisons de santé. Il arguait également que l’obligation de quitter le territoire était illégale, dès lors qu’il justifiait d’une résidence régulière en France supérieure à dix ans.
Le problème de droit soumis à la cour était double. Il s’agissait d’abord de déterminer si le refus de renouveler un titre de séjour à un étranger durablement installé mais ayant fait l’objet d’une condamnation pénale et ne remplissant plus les conditions strictes d’un séjour pour soins portait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de la vie privée et familiale. Il s’agissait ensuite de savoir si une obligation de quitter le territoire français pouvait légalement être édictée à l’encontre d’une personne justifiant de plus de dix années de résidence régulière en France.
À cette double interrogation, la cour administrative d’appel apporte une réponse nuancée. Elle valide le refus de titre de séjour, considérant que l’ingérence dans la vie privée et familiale du requérant n’était pas disproportionnée au regard des buts poursuivis, notamment le maintien de l’ordre public. En revanche, elle annule l’obligation de quitter le territoire français, constatant que la durée de résidence régulière de l’intéressé lui conférait une protection contre une telle mesure.
Cette décision, qui dissocie nettement le droit au séjour de la protection contre l’éloignement, invite à analyser d’une part la validation du refus de titre, fondée sur une appréciation stricte de la situation de l’étranger (I), et d’autre part l’annulation de la mesure d’éloignement, conséquence directe d’un statut protecteur légal (II).
I. La validation du refus de séjour fondée sur une appréciation stricte de la situation de l’étranger
La cour administrative d’appel confirme la légalité du refus de titre de séjour opposé par l’autorité préfectorale en s’appuyant sur une balance des intérêts défavorable au requérant (A) et sur un examen rigoureux des conditions d’admission au séjour pour motifs dérogatoires (B).
A. La prévalence de l’ordre public sur le droit à la vie privée et familiale
Le requérant invoquait une méconnaissance de son droit au respect de sa vie privée et familiale, garanti par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. La cour procède à un contrôle de proportionnalité pour évaluer le bien-fondé de ce moyen. Elle prend en compte les attaches familiales de l’intéressé en France, où résident ses quatre enfants majeurs. Toutefois, elle met en balance ces éléments avec d’autres circonstances. Le juge relève ainsi que l’intéressé n’est pas dépourvu d’attaches dans son pays d’origine où il a vécu jusqu’à l’âge de vingt-deux ans. Surtout, la cour accorde un poids déterminant à sa condamnation pénale pour des faits de violence avec arme, ainsi qu’à son comportement passé, marqué par le non-respect d’une précédente mesure d’éloignement.
Dans son raisonnement, la cour conclut que « la décision de refus de titre de séjour n’a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise ». Cette approche illustre la méthode classique du bilan, où l’intensité des liens privés et familiaux est confrontée aux impératifs d’ordre public. La condamnation pénale récente constitue ici le facteur décisif qui justifie, aux yeux du juge, l’ingérence de l’autorité publique dans la vie familiale de l’étranger. La solution réaffirme que la stabilité de la résidence et l’existence de liens familiaux ne suffisent pas à garantir un droit au séjour lorsque le comportement de l’individu est jugé menaçant pour la société.
B. Le rejet des régimes dérogatoires en l’absence de satisfaction des conditions légales
Le requérant sollicitait également son admission au séjour sur le fondement de son état de santé, en application de l’article L. 425-9 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Ce dispositif permet la délivrance d’un titre de séjour si l’étranger nécessite une prise en charge médicale dont le défaut entraînerait pour lui des « conséquences d’une exceptionnelle gravité ». La cour examine avec soin les éléments médicaux produits. Elle constate que les certificats fournis, bien que mentionnant la nécessité d’un traitement, n’apportent pas de « précisions supplémentaires sur les risques encourus à défaut de prise en charge médicale ».
Le juge se montre exigeant quant à la preuve, estimant que les documents présentés « ne permettent pas de remettre en cause l’appréciation portée par le collège de médecins » de l’Office français de l’immigration et de l’intégration. En jugeant qu’il « ne ressort pas des pièces du dossier que le défaut de prise en charge médicale risquait d’entraîner, à la date de l’arrêté attaqué, des conséquences d’une exceptionnelle gravité », la cour applique strictement la lettre du texte. Elle rappelle ainsi que la charge de la preuve incombe au demandeur et que la simple existence d’une pathologie, même sérieuse, ne suffit pas à caractériser le degré d’urgence et de gravité requis par la loi. Cette rigueur dans l’appréciation des conditions dérogatoires conforte la légalité du refus de séjour.
Si le refus de renouvellement du titre de séjour est ainsi consolidé par le juge, la mesure d’éloignement qui en découle heurte cependant une protection légale spécifique, conduisant à son annulation.
II. L’annulation de la mesure d’éloignement, conséquence d’un statut légal protecteur
La seconde partie de la décision de la cour administrative d’appel neutralise la principale conséquence du refus de séjour en censurant l’obligation de quitter le territoire français (A), ce qui place l’étranger dans une situation juridique paradoxale et contraint l’administration à un nouvel examen (B).
A. La reconnaissance d’une protection absolue contre l’éloignement
Le requérant soutenait que l’obligation de quitter le territoire français méconnaissait l’article L. 611-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Ce texte prévoit des catégories d’étrangers qui ne peuvent faire l’objet d’une telle mesure, parmi lesquelles figure « l’étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans ». La cour analyse la situation administrative de l’intéressé de manière factuelle et chronologique. Elle constate qu’il a bénéficié de titres de séjour de 2008 à 2016, puis de 2018 à 2021, et que la période intermédiaire a été couverte par des récépissés de demande.
Le juge en déduit qu’à la date de l’arrêté contesté, l’étranger « résidait régulièrement en France depuis plus de dix ans ». Cette constatation factuelle emporte une conséquence juridique automatique. La cour énonce que les dispositions de l’article L. 611-3 « faisaient, en conséquence, obstacle à ce qu’il puisse faire l’objet d’une décision portant obligation de quitter le territoire français ». L’annulation de l’obligation de quitter le territoire et de la décision fixant le pays de renvoi qui en dépend est donc inéluctable. Cette solution démontre que la protection contre l’éloignement issue de l’ancienneté de la résidence régulière constitue une immunité légale, qui n’est pas subordonnée à l’appréciation de l’administration et qui s’impose même lorsque le comportement de l’étranger a justifié par ailleurs un refus de séjour pour menace à l’ordre public.
B. La consécration d’une situation juridique précaire et l’obligation de réexamen
L’annulation de la seule mesure d’éloignement, alors que le refus de titre de séjour est maintenu, crée une situation singulière. L’étranger ne dispose d’aucun droit au séjour mais ne peut être contraint de quitter le territoire. Conscient de cette aporie juridique, le juge en tire les conséquences nécessaires en matière d’injonction. En application de l’article L. 614-16 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, il ordonne à l’autorité préfectorale de munir l’intéressé d’une autorisation provisoire de séjour.
Surtout, la cour précise que « l’exécution du présent arrêt implique nécessairement mais seulement le réexamen de la situation » de l’intéressé. Elle enjoint au préfet « de procéder à ce réexamen dans un délai de deux mois ». Cette injonction place l’administration devant ses responsabilités. Privée de la possibilité d’éloigner l’étranger, elle devra réévaluer sa situation à la lumière de cette nouvelle contrainte juridique. Si l’issue de ce réexamen demeure incertaine, il est probable que l’impossibilité d’exécuter une mesure d’éloignement pèse dans la balance en faveur d’une éventuelle admission exceptionnelle au séjour. La décision illustre ainsi la complexité du droit des étrangers, où la combinaison de différentes règles peut aboutir à des situations de blocage que seul un réexamen administratif peut espérer résoudre.