Cour d’appel administrative de Toulouse, le 26 septembre 2025, n°23TL00555

Par un arrêt rendu le 26 septembre 2025, la cour administrative d’appel se prononce sur la qualification fiscale des sommes perçues par un contribuable de la part de plusieurs sociétés. Cet arrêt offre un éclairage sur les conditions de preuve de l’exercice d’une activité occulte et sur le régime d’imposition des avantages consentis par une société à son dirigeant associé. En l’espèce, un contribuable a fait l’objet d’un examen de sa situation fiscale personnelle au terme duquel l’administration a identifié une activité de conseil non déclarée ainsi que la perception de rémunérations occultes provenant de sociétés qu’il dirigeait. Des compléments d’impôt sur le revenu et de taxe sur la valeur ajoutée lui ont été réclamés au titre des années 2013 et 2014. Le contribuable a saisi le tribunal administratif de Montpellier, qui a rejeté sa demande de décharge par un jugement du 26 décembre 2022. Le requérant a alors interjeté appel de cette décision, soulevant divers moyens de régularité de la procédure d’imposition et contestant le bien-fondé des redressements. Il soutenait notamment que les sommes en cause constituaient des remboursements de frais professionnels ou des avances en compte courant d’associé, et non des revenus imposables. La question soumise à la cour était double. D’une part, elle devait déterminer si l’administration fiscale apportait une preuve suffisante de l’existence d’une activité occulte en se fondant sur de simples virements bancaires. D’autre part, elle devait apprécier si les sommes versées par des sociétés à leur associé dirigeant, dans le cadre d’une procédure de taxation d’office, pouvaient être qualifiées de remboursements d’avances en l’absence de justification probante par le contribuable. La cour administrative d’appel annule partiellement le jugement de première instance pour omission de statuer sur certains moyens. Statuant par la voie de l’évocation et de l’effet dévolutif, elle accorde partiellement la décharge des impositions. Elle juge que l’administration n’établit pas l’existence d’une activité occulte lorsque la preuve repose uniquement sur des virements dont la nature de rémunération n’est pas démontrée. En revanche, elle confirme les redressements fondés sur la qualification de rémunérations occultes pour les sommes dont le contribuable, qui supporte la charge de la preuve, ne justifie pas le caractère de remboursement d’avances.

La décision de la cour affine la démarcation probatoire en matière de qualification d’activité occulte (I), tout en appliquant avec rigueur le régime de la preuve pesant sur le contribuable pour les distributions présumées (II).

I. La charge de la preuve de l’activité occulte, une exigence précisée

La cour administrative d’appel module son appréciation de l’activité occulte en fonction de la solidité des éléments présentés par l’administration, rejetant la qualification en cas de preuve insuffisante (A) mais la validant lorsqu’elle est étayée par un faisceau d’indices concordants (B).

A. Le rejet d’une qualification fondée sur des flux financiers indéterminés

L’arrêt censure l’analyse de l’administration s’agissant des sommes provenant d’une première société, estimant que le simple constat de virements bancaires ne suffit pas à caractériser une activité imposable. En l’occurrence, l’administration avait qualifié de bénéfices non commerciaux des sommes versées par une société au contribuable, au motif qu’elles rémunéraient une activité de conseil exercée à titre individuel. Pour contester cette analyse, l’appelant soutenait que ces virements correspondaient au remboursement de frais professionnels engagés pour le compte d’une autre entité qu’il dirigeait. La cour relève que si les justifications apportées par le contribuable ne sont pas entièrement convaincantes, la position de l’administration n’est pas mieux établie. Elle énonce que l’administration « ne pouvait pour autant se fonder sur la seule circonstance de la perception de sommes de nature indéterminée pour en déduire l’existence d’une activité de conseil exercée à titre individuel ». Cette solution réaffirme un principe fondamental selon lequel il appartient à l’administration de justifier le principe même de l’imposition. La seule existence d’un flux financier, même suspect, ne saurait pallier l’absence de démonstration d’une source de profit se rattachant à une catégorie de revenus. La décision protège ainsi le contribuable contre une requalification automatique de tout virement bancaire inexpliqué en revenu d’activité occulte.

B. La validation d’une qualification étayée par un faisceau d’indices

À l’inverse, la cour confirme la qualification d’activité occulte pour des sommes reçues d’une deuxième société, dès lors que l’administration s’appuie sur un ensemble d’éléments probants. Le service avait constaté des virements importants en provenance d’une société avec laquelle le contribuable n’avait, en apparence, aucun lien juridique. L’administration a utilisé son droit de communication pour découvrir que cette société disposait, dans sa comptabilité, d’un « compte fournisseur » au nom du contribuable, distinct du compte de la société que ce dernier représentait. Ce fait, corroboré par l’absence de contrat formalisant une mission et par le versement direct des fonds sur le compte personnel de l’intéressé, a constitué un faisceau d’indices suffisant. La cour juge que ces éléments permettent de considérer que l’activité n’a pas été exercée « au nom et pour le compte de la société Golden Licorn International » mais bien à titre personnel. Cette approche pragmatique illustre que la preuve de l’activité occulte peut être rapportée lorsque les faits, pris dans leur ensemble, rendent invraisemblable la thèse du contribuable. La création d’un compte fournisseur au nom propre de la personne physique est un indice particulièrement fort de l’existence d’une relation commerciale directe et donc d’une activité professionnelle distincte. Par conséquent, l’administration était fondée à mettre en œuvre la procédure spéciale prévue à l’article L. 47 C du livre des procédures fiscales.

II. La taxation des distributions occultes, une application rigoureuse de la charge de la preuve

Placé sous le régime de la taxation d’office, le contribuable supportait la charge de prouver le caractère non imposable des sommes reçues de sociétés qu’il contrôlait. La cour confirme que le défaut de production de justifications comptables emporte l’échec de sa contestation (A), et valide la qualification retenue par l’administration même si une autre aurait été envisageable (B).

A. L’échec de la contestation en l’absence de justification comptable

Le contribuable soutenait que les virements provenant de deux sociétés dont il était l’associé majoritaire constituaient non pas des rémunérations occultes au sens de l’article 111 c) du code général des impôts, mais des remboursements d’avances en compte courant. Cependant, la cour relève qu’il « ne produit pas davantage de contrat de prêt conclu avec sa société, ni aucune précision ou élément relatif à la nature des dettes que ces prétendues avances auraient permis de régler ». S’agissant de la première société, l’absence de production du compte courant d’associé a été fatale à son argumentation. Pour la seconde, bien que le compte courant ait été fourni, il ne permettait pas de justifier la nature des opérations et leur finalité. La cour en déduit que le contribuable, sur qui pèse la charge de la preuve en matière de taxation d’office, ne renverse pas la présomption de distribution. Cette solution est une application classique de la jurisprudence en la matière : l’inscription d’une opération en compte courant ne suffit pas à elle seule à établir sa nature réelle. Le contribuable doit être en mesure de fournir tous les éléments comptables et juridiques, tels que des contrats de prêt ou des procès-verbaux d’assemblée, qui justifient que les sommes appréhendées n’ont pas le caractère d’un revenu distribué.

B. La validation du choix de qualification opéré par l’administration

L’un des arguments de l’appelant consistait à dire que les sommes auraient dû être imposées sur le fondement du a) de l’article 111 du code général des impôts, en tant qu’avances à un associé, plutôt que sur le c) du même article, relatif aux rémunérations occultes. Cette distinction n’est pas neutre, le régime du a) permettant une restitution ultérieure lors du remboursement de l’avance. La cour écarte cet argument en soulignant que l’administration était « fondée à les regarder […] comme des rémunérations occultes et à les imposer sur le fondement du c de l’article 111 du code général des impôts, quand bien même elle aurait également été en droit de regarder comme un revenu distribué la variation positive du solde débiteur de son compte courant d’associé en se fondant sur le a du même article ». Cette affirmation confirme la liberté de choix de l’administration quant au fondement juridique de ses redressements, dès lors que les faits peuvent recevoir la qualification retenue. En l’absence de justification par le contribuable, la nature occulte des versements était une qualification possible et suffisante. La décision rappelle que le juge de l’impôt n’a pas à substituer une base légale à une autre si celle choisie par l’administration est pertinente. La portée de cet arrêt est avant tout pédagogique : il illustre de manière concrète l’importance cruciale de la documentation probante en droit fiscal, tant pour l’administration lorsqu’elle allègue une fraude que pour le contribuable lorsqu’il entend contester une imposition établie d’office.

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Hassan KOHEN
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