Cour d’appel administrative de Toulouse, le 27 mai 2025, n°23TL02090

Par un arrêt en date du 27 mai 2025, la cour administrative d’appel se prononce sur la légalité de la procédure d’attribution d’une délégation de service public pour la gestion d’un refuge de montagne. Cette décision offre un éclairage sur l’étendue du contrôle du juge administratif quant aux choix opérés par une autorité concédante et sur les conditions d’indemnisation d’un candidat évincé.

En l’espèce, une communauté de communes avait lancé une procédure en vue de déléguer la gestion d’un refuge. À l’issue de la consultation, le contrat fut attribué à un soumissionnaire, écartant ainsi l’offre des précédents gestionnaires. Ces derniers ont saisi le tribunal administratif, lequel a fait droit à leur demande en prononçant la résiliation du contrat et en condamnant l’autorité concédante à les indemniser pour leur manque à gagner, au motif que la procédure était entachée d’irrégularités et que le choix de l’attributaire reposait sur une erreur manifeste d’appréciation. La communauté de communes a interjeté appel de ce jugement, soutenant la régularité de sa procédure et le bien-fondé de son appréciation des offres.

Il revenait ainsi à la cour administrative d’appel de déterminer si des manquements formels à la procédure de consultation et une appréciation jugée contestable des mérites respectifs des offres suffisaient à caractériser une illégalité justifiant la résiliation du contrat et l’indemnisation du soumissionnaire évincé.

À cette question, la cour répond par la négative, annulant le jugement de première instance et rejetant l’ensemble des prétentions des candidats évincés. Elle juge que les irrégularités procédurales invoquées n’étaient pas de nature à vicier la procédure et que l’autorité concédante ne s’est pas livrée à une erreur manifeste dans l’appréciation des offres. La cour opère ainsi une validation rigoureuse du processus de sélection, considérant que les choix effectués par l’autorité délégante relevaient de sa liberté d’appréciation.

Cette solution conduit la cour à examiner la régularité de la procédure d’attribution au regard des principes de la commande publique (I), avant de tirer les conséquences de cette validation sur le droit à indemnisation du candidat évincé (II).

I. La validation d’une procédure de sélection contestée

La cour administrative d’appel, réformant le jugement de première instance, valide la procédure d’attribution du contrat en écartant successivement les moyens tirés des vices de procédure et de l’erreur manifeste d’appréciation. Elle s’attache d’abord à neutraliser les vices de procédure formels soulevés par les requérants (A), pour ensuite rejeter l’existence d’une erreur manifeste dans l’évaluation des offres (B).

A. La neutralisation des vices de procédure formels

La décision commentée illustre une approche pragmatique du juge administratif face aux manquements aux règles formelles de la consultation. En l’espèce, le règlement de la consultation imposait un double dépôt des offres, par voie dématérialisée et par voie postale. Or, l’attributaire n’avait utilisé que la voie postale, tandis que les candidats évincés n’avaient transmis leur offre finale que par voie électronique. La cour estime que cette exigence de double envoi « ne présentait pas, dans les circonstances de l’espèce, une utilité manifestement évidente ». Elle relativise ainsi la portée contraignante du règlement de la consultation, en se fondant sur l’absence d’utilité de la clause méconnue. De surcroît, la cour relève que les deux seuls candidats en lice avaient chacun imparfaitement respecté cette double modalité, ce qui rendait le manquement insusceptible de fonder l’éviction des requérants. Un tel vice ne pouvait donc être regardé comme étant en rapport direct avec leur éviction, condition nécessaire pour qu’un concurrent évincé puisse s’en prévaloir utilement.

La cour écarte également les autres moyens de procédure, notamment ceux relatifs à la composition et aux conditions de réunion de la commission de délégation de service public. Elle considère que ces griefs, à les supposer établis, sont « inopérants » car ils ne sont pas en rapport direct avec les motifs de l’éviction des candidats. Cette position réaffirme une jurisprudence constante qui impose au concurrent évincé de démontrer que l’irrégularité qu’il invoque a directement causé son préjudice pour pouvoir obtenir gain de cause.

B. Le rejet de l’erreur manifeste d’appréciation dans l’évaluation des offres

Le cœur de l’argumentation de la cour porte sur l’appréciation des mérites respectifs des offres. Le contrôle du juge en la matière se limite à la censure de l’erreur manifeste, laissant à l’autorité concédante une large marge d’appréciation. La cour examine en détail les critiques formulées à l’encontre de la notation des critères financier et technique.

S’agissant de l’évaluation du critère financier, la cour juge que l’offre de l’attributaire, bien que moins détaillée et non établie par un expert-comptable, contenait les informations essentielles requises et ne révélait pas d’incohérence flagrante. Elle valide également l’appréciation portée sur les investissements, notant qu’aucun des deux candidats ne présentait un plan d’investissement particulièrement ambitieux et que l’autorité concédante projetait elle-même des travaux de rénovation, ce qui relativisait l’importance de ce sous-critère. L’écart de notation entre les deux offres est ainsi jugé justifié.

Concernant le projet de gestion, la cour entérine le choix de l’autorité délégante de privilégier une offre axée sur le développement du tourisme journalier et la sécurité en montagne. Elle constate que le projet des candidats évincés était davantage centré sur une clientèle hébergée sur réservation, au détriment de l’accueil du public de passage. La cour considère que l’autorité concédante a pu, sans commettre d’erreur manifeste, préférer une offre proposant une plus grande amplitude d’ouverture sans réservation, correspondant mieux à ses objectifs de service public. La note très faible attribuée aux candidats évincés sur le sous-critère de la période d’ouverture supplémentaire est ainsi validée, la cour estimant qu’elle se justifie « avant tout par les modalités de ces ouvertures ». En attribuant la note de 1/5 à leur proposition contre 5/5 à celle de l’attributaire, la communauté de communes n’a, selon la cour, « commis aucune erreur manifeste d’appréciation ».

II. La portée de la décision : la primauté de la liberté d’appréciation du pouvoir adjudicateur et ses conséquences

En validant l’ensemble de la procédure, la cour réaffirme la latitude dont dispose l’autorité publique dans ses choix contractuels (A), ce qui la conduit inéluctablement à exclure tout droit à réparation pour les candidats évincés (B).

A. L’affirmation de la latitude de l’autorité concédante dans le choix du cocontractant

La décision commentée confirme que l’appréciation de la meilleure offre au regard des critères de sélection relève du pouvoir discrétionnaire de l’autorité concédante. Le juge administratif se refuse à substituer sa propre appréciation à celle de l’administration, sauf si cette dernière est entachée d’une erreur d’une particulière évidence et gravité. En l’espèce, la cour reconnaît la légitimité pour la collectivité de définir ses priorités, notamment en valorisant un projet qui favorise l’accueil de tous les publics, y compris les randonneurs de passage et les familles, plutôt qu’un modèle axé sur une clientèle d’initiés ayant réservé. Ce faisant, elle admet que des orientations politiques et des considérations d’intérêt général relatives au développement touristique et à la sécurité puissent guider le choix du délégataire.

Cette solution rappelle que la notion d’offre « économiquement la plus avantageuse » n’est pas purement comptable, mais s’apprécie au regard de l’ensemble des critères définis par l’acheteur public, qui peut légitimement accorder une pondération élevée à des aspects qualitatifs liés à la nature du service public délégué. La liberté de choix de l’autorité concédante trouve sa pleine expression, pourvu que les principes fondamentaux d’égalité et de transparence soient respectés et que l’appréciation ne soit pas manifestement erronée.

B. L’exclusion consécutive de tout droit à indemnisation pour le candidat évincé

La conséquence logique de la validation de la procédure est le rejet de la demande indemnitaire. La responsabilité de la puissance publique pour irrégularité dans une procédure de passation de contrat est subordonnée à la démonstration d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité direct entre les deux.

Ayant conclu à l’absence d’illégalité dans la procédure d’attribution, la cour juge qu’aucune faute ne peut être reprochée à la communauté de communes. Comme elle le souligne, les candidats « ne pouvant, dès lors, être regardés comme ayant été irrégulièrement évincés de ce contrat, ils ne sont pas fondés à demander la réparation du préjudice né de leur éviction ». Le fondement même de l’action en responsabilité disparaît. Le lien de causalité, qui suppose que l’irrégularité soit la cause directe de l’éviction, ne peut être établi en l’absence de toute irrégularité fautive.

Cet arrêt vient donc rappeler avec force qu’un candidat évincé, même s’il disposait d’une offre sérieuse et de chances réelles d’obtenir le contrat, ne peut prétendre à une indemnisation dès lors que la procédure de sélection est jugée régulière. La déception de ne pas avoir été retenu, aussi légitime soit-elle, ne suffit pas à créer un droit à réparation si la décision de l’autorité concédante, bien que contestée, n’est pas entachée d’illégalité.

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