Cour d’appel administrative de Toulouse, le 27 mai 2025, n°23TL02301

Par un arrêt en date du 27 mai 2025, une cour administrative d’appel s’est prononcée sur la recevabilité d’une requête introduite par une société commerciale. En l’espèce, une entreprise spécialisée dans le secteur des énergies renouvelables s’était vu refuser par l’autorité préfectorale le bénéfice du dispositif d’activité partielle pour une partie de ses salariés au cours de l’année 2021. La société avait alors saisi le tribunal administratif d’une demande tendant à l’annulation de cette décision de refus. Par un jugement du 11 juillet 2023, les premiers juges avaient rejeté sa demande. La société a interjeté appel de ce jugement. Au cours de l’instance d’appel, l’entreprise a été placée en liquidation judiciaire, et son avocat a informé la cour qu’il n’assurait plus sa représentation, le mandataire liquidateur ne lui ayant pas confié la poursuite de la procédure. Le greffe de la cour a alors invité l’entreprise ainsi que son liquidateur à régulariser la situation en constituant un nouvel avocat. Faute de régularisation dans le délai imparti, la cour a été amenée à se prononcer sur les conséquences de ce défaut de représentation. Il revenait ainsi aux juges d’appel de déterminer si l’absence de régularisation de la constitution d’un avocat par une partie appelante, après y avoir été invitée, rendait sa requête irrecevable. La cour administrative d’appel a répondu par l’affirmative en déclarant la requête irrecevable. Elle a jugé que l’obligation de représentation par avocat n’ayant pas été satisfaite malgré une demande de régularisation en bonne et due forme, l’appel ne pouvait être examiné.

Cette décision, en faisant une application rigoureuse des règles de procédure, rappelle que l’obligation de représentation par avocat en appel constitue une condition substantielle de recevabilité de l’action (I). La sanction de l’irrecevabilité, bien que procéduralement fondée, a pour effet d’éteindre définitivement le litige au fond sans que les prétentions de la requérante aient pu être examinées par le juge d’appel (II).

I. L’application rigoureuse d’une condition de recevabilité de l’appel

L’arrêt commenté illustre le caractère impératif de l’obligation de constitution d’avocat devant la cour administrative d’appel (A), dont le non-respect, après une procédure de régularisation restée sans effet, entraîne une sanction inéluctable (B).

A. Le caractère impératif du ministère d’avocat

La cour fonde sa décision sur les dispositions du code de justice administrative, qui exigent que l’appel soit, en principe, présenté par un avocat. Elle rappelle que, pour les litiges tendant notamment au paiement d’une somme d’argent, cette exigence est prescrite « à peine d’irrecevabilité ». En l’espèce, le litige portait sur le refus d’une autorisation de placement en activité partielle, dispositif ayant des conséquences financières directes pour l’entreprise. Cette règle de procédure vise à garantir la qualité des débats devant le juge d’appel et à assurer que les parties présentent leurs arguments de manière structurée et juridiquement fondée. La complexité des questions de droit soulevées en appel justifie qu’elles soient portées par un professionnel du droit, apte à en saisir toutes les subtilités. La cour relève d’ailleurs que la notification du jugement de première instance comportait bien la mention informant la société de cette obligation. La décision réaffirme ainsi que le ministère d’avocat n’est pas une simple formalité mais une condition essentielle à la poursuite de l’instance. En citant les textes applicables, la cour souligne que « les appels ainsi que les mémoires déposés devant la cour administrative d’appel doivent être présentés, à peine d’irrecevabilité, par l’un des mandataires mentionnés à l’article R. 431-2 ». Cette exigence s’applique à la personne morale requérante, même lorsque celle-ci fait l’objet d’une procédure collective.

B. L’absence de régularisation comme cause d’irrecevabilité

La procédure administrative contentieuse est conçue pour éviter que de simples erreurs matérielles ne privent le justiciable de son droit au recours. C’est pourquoi le juge, lorsqu’il constate une irrégularité susceptible d’être couverte, doit inviter la partie concernée à la régulariser. En l’espèce, la cour a scrupuleusement respecté cette obligation. Ayant été informée du dessaisissement de l’avocat initial en raison de la liquidation judiciaire de la société, elle a adressé une demande de régularisation tant à la société qu’au mandataire liquidateur désigné. Ce mécanisme de la régularisation offre une dernière chance au requérant de se conformer aux exigences procédurales. L’écoulement du délai de quinze jours sans qu’un nouvel avocat ait été constitué a placé la cour dans une situation où elle ne pouvait que constater la persistance de l’irrégularité. La décision d’irrecevabilité n’est donc pas une faculté laissée à l’appréciation du juge, mais la conséquence directe et automatique de l’absence de réponse à une mise en demeure. Comme le précise l’arrêt, la requête « n’ayant pas été régularisée par la constitution d’un avocat en dépit de la demande de régularisation qui lui a été adressée, elle est, dès lors, irrecevable ». Cette solution, bien que sévère, est la seule conforme à la lettre et à l’esprit des textes, garantissant une égalité de traitement entre les justiciables soumis aux mêmes règles de procédure.

II. La primauté de la règle de procédure sur l’examen au fond du litige

Cette décision d’irrecevabilité, si elle est juridiquement irréprochable, met en lumière la prévalence des règles de forme sur le droit substantiel (A), aboutissant à l’extinction de l’action sans que les juges d’appel n’aient eu à se prononcer sur le bien-fondé de la décision administrative contestée (B).

A. Une solution classique consacrant le formalisme procédural

L’arrêt rendu ne constitue pas un revirement de jurisprudence mais s’inscrit dans le courant constant qui confère une portée déterminante aux règles de procédure contentieuse. En rejetant la requête pour un motif de pure forme, la cour fait une application orthodoxe du droit processuel administratif. La valeur de cette décision réside dans sa fonction pédagogique : elle rappelle aux praticiens et aux justiciables que le déroulement du procès est encadré par des règles strictes dont la méconnaissance peut être fatale à leurs prétentions. La portée de l’arrêt est toutefois limitée ; il s’agit d’une décision d’espèce dont la solution est dictée par les circonstances factuelles, à savoir l’inaction du requérant et de son liquidateur. Elle ne modifie pas l’état du droit mais confirme la rigueur avec laquelle les juges administratifs appliquent les conditions de recevabilité des recours. Cette orthodoxie procédurale, si elle peut paraître sévère, est le gage de la sécurité juridique et de la bonne administration de la justice, en évitant que les juridictions d’appel ne soient encombrées par des requêtes qui ne satisfont pas aux exigences légales fondamentales.

B. L’extinction du droit de critiquer la décision de refus

La conséquence la plus notable de cet arrêt est de clore définitivement le débat sur la légalité de la décision préfectorale refusant l’octroi de l’activité partielle. En déclarant l’appel irrecevable, la cour ne se prononce pas sur les moyens de fond soulevés par la société, notamment ceux tirés de l’erreur manifeste d’appréciation ou de l’erreur de droit qu’aurait commise l’administration. Le jugement du tribunal administratif, qui avait rejeté la demande, devient donc définitif sur ce point. Ainsi, la sanction procédurale emporte des conséquences substantielles majeures, puisque la société et, par ricochet, ses créanciers représentés par le liquidateur, sont privés d’une chance de voir la décision administrative annulée. Cet arrêt illustre parfaitement la tension qui peut exister entre le formalisme, nécessaire à l’organisation de la justice, et le droit d’accès au juge, qui implique un examen au fond des affaires. En l’espèce, c’est le premier qui l’emporte, non par une volonté du juge de limiter l’accès à son prétoire, mais en raison de la défaillance de la partie requérante à accomplir les diligences qui lui incombaient.

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