Par une décision en date du 27 mai 2025, la cour administrative d’appel de Toulouse a été amenée à se prononcer sur le refus d’un titre de séjour opposé à une ressortissante étrangère qui invoquait principalement son rôle d’aidante auprès de sa mère malade.
Une ressortissante marocaine, entrée en France en 2013, a sollicité en 2022 son admission au séjour en se prévalant de ses liens privés et familiaux, notamment l’assistance qu’elle portait à sa mère souffrante, et, subsidiairement, de motifs exceptionnels. L’autorité préfectorale a rejeté sa demande par un arrêté du 20 janvier 2023, assortissant cette décision d’une obligation de quitter le territoire français. L’intéressée a saisi le tribunal administratif de Montpellier, qui a confirmé la décision préfectorale par un jugement du 27 juin 2023. Elle a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant que le refus de séjour portait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale, garanti par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et méconnaissait les dispositions des articles L. 423-23 et L. 435-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Se posait alors au juge d’appel la question de savoir si l’assistance apportée par une ressortissante étrangère à sa mère malade, dans un contexte familial élargi également présent en France, constituait un lien privé et familial d’une intensité telle que le refus de séjour porterait une atteinte disproportionnée aux droits de l’intéressée. La cour administrative d’appel rejette la requête, considérant que les éléments fournis n’étaient pas suffisamment probants pour établir l’intensité des liens personnels et familiaux et le caractère indispensable de l’aide apportée, justifiant ainsi la décision de l’administration.
Il conviendra d’analyser la confirmation par le juge d’une appréciation rigoureuse des liens privés et familiaux (I), avant d’examiner la portée d’une solution qui réaffirme la prévalence du contrôle des flux migratoires sur les situations personnelles insuffisamment établies (II).
I. La confirmation d’une appréciation rigoureuse des liens privés et familiaux
La cour administrative d’appel, en validant le refus de titre de séjour, s’inscrit dans une approche classique du contentieux des étrangers, fondée sur un contrôle restreint de l’examen opéré par l’administration (A) et sur une exigence de preuve particulièrement stricte quant à l’intensité des liens invoqués (B).
A. Le contrôle restreint sur l’examen de la situation personnelle
La requérante soutenait que le préfet n’avait pas procédé à un examen suffisant de sa situation personnelle, notamment de ses attaches familiales en France. La cour écarte ce moyen en des termes lapidaires, rappelant une position jurisprudentielle constante. Elle juge en effet qu’« il ne ressort pas des termes mêmes de l’arrêté en litige, notamment de sa motivation, que l’autorité préfectorale, qui n’était pas tenue de faire état de manière exhaustive de l’ensemble des éléments portés à sa connaissance, se serait abstenue de procéder à un examen particulier de la situation personnelle » de l’intéressée. Cette formule consacre la marge d’appréciation de l’administration, le juge se limitant à vérifier que les principaux éléments du dossier ont bien été pris en compte, sans exiger que la décision administrative en dresse un inventaire détaillé.
Par cette approche, le juge administratif réaffirme que son contrôle se borne à celui de l’erreur manifeste d’appréciation et du bilan coûts-avantages, sans se substituer à l’administration dans l’évaluation des situations individuelles. La motivation de l’arrêté, même si elle n’est pas exhaustive, est jugée suffisante dès lors qu’elle permet de comprendre les raisons du refus. La décision commentée illustre donc parfaitement le principe selon lequel la charge de la preuve d’un défaut d’examen pèse entièrement sur le requérant, lequel doit démontrer que l’administration a ignoré un élément déterminant de sa situation. En l’espèce, la seule présence de la famille en France ne suffisait pas à caractériser une telle carence.
B. L’exigence d’une démonstration probante de l’intensité des liens
Le cœur de l’argumentation de la requérante reposait sur son rôle d’aidante auprès de sa mère malade. La cour procède à une analyse très factuelle et détaillée pour conclure que l’intensité de ce lien n’est pas établie. Elle relève que, « par ces éléments peu circonstanciés, [la requérante] ne démontre pas, en dehors de la seule présence de membres de sa famille en France (…) l’intensité et la stabilité de ses liens privés et familiaux en France ». Le juge pointe plusieurs faiblesses dans le dossier : le caractère général des certificats médicaux, l’absence d’éléments sur le degré de dépendance de la mère, et surtout, la présence d’autres membres de la fratrie qui pourraient potentiellement assumer ce rôle, notamment une belle-sœur sans activité professionnelle.
Cette analyse met en lumière une exigence probatoire élevée. Le juge ne se contente pas de l’affirmation d’un rôle d’aidant ; il en attend une démonstration quasi irréfutable du caractère indispensable et exclusif. La précarité de l’existence de la requérante, « célibataire et sans enfant », sans « insertion socio-professionnelle » et hébergée, est également retenue comme un facteur affaiblissant la stabilité de ses liens en France. La décision souligne ainsi que la simple cohabitation familiale et l’aide apportée à un parent ne suffisent pas à constituer automatiquement un droit au séjour lorsque d’autres facteurs, tels qu’une intégration sociale et professionnelle inexistante et la possibilité pour d’autres proches de fournir une assistance, viennent en contrepoids.
II. La réaffirmation de la prééminence du droit au séjour sur la base de critères objectifs
Au-delà de l’espèce, la décision commentée s’inscrit dans un courant jurisprudentiel qui tend à objectiver les critères d’appréciation du droit au respect de la vie privée et familiale. Elle illustre ainsi la marginalisation de la figure de l’aidant familial lorsque son rôle n’est pas exclusif (A) et constitue un rappel classique de la charge de la preuve en droit des étrangers (B).
A. La marginalisation de la figure de l’aidant familial non exclusif
En refusant de reconnaître la situation de la requérante comme constitutive de considérations humanitaires ou de motifs exceptionnels, la cour adopte une lecture restrictive de la notion d’aidant familial. La présence d’autres membres de la famille, même s’ils ont des contraintes professionnelles ou familiales, suffit à relativiser le caractère essentiel du soutien apporté par la requérante. La cour note qu’il n’est « pas établi qu’ils seraient dans l’impossibilité d’accompagner leur mère ». Cette approche suggère que, pour être pris en compte de manière déterminante, le rôle d’aidant doit être non seulement prouvé, mais également unique et non substituable.
Cette interprétation, si elle est cohérente avec une logique de contrôle de l’immigration, peut apparaître sévère au regard des réalités sociales et familiales. Elle conduit à minimiser l’importance de l’engagement personnel d’un individu au motif que d’autres pourraient théoriquement s’en charger, sans examiner concrètement la disponibilité ou la volonté de ces derniers. La décision valorise une approche purement objective et quelque peu désincarnée de la solidarité familiale, où seul un isolement total du parent malade ou une impossibilité matérielle absolue des autres membres de la famille semble pouvoir justifier l’octroi d’un titre de séjour sur ce fondement.
B. Une illustration classique de la charge de la preuve en droit des étrangers
Finalement, cet arrêt constitue une décision d’espèce dont la portée est avant tout pédagogique. Il rappelle aux étrangers sollicitant leur admission au séjour et à leurs conseils l’importance capitale de constituer un dossier solide et circonstancié. La cour sanctionne implicitement la faiblesse des pièces produites par la requérante. Concernant sa présence continue depuis plus de dix ans, elle note que « les justificatifs produits (…) qui ne sont pas diversifiés et ne comportent aucun élément de domiciliation, ce qui en limite la force probante, ne sont pas de nature à établir de manière certaine sa présence continue en France ».
La solution n’est donc pas novatrice mais réaffirme avec force un principe fondamental : en matière de droit au séjour, il ne suffit pas d’alléguer, il faut prouver. Chaque affirmation, qu’il s’agisse de l’ancienneté du séjour, de l’intensité des liens familiaux ou du caractère indispensable du rôle d’aidant, doit être étayée par des pièces diversifiées, concordantes et précises. La décision illustre que, face à la marge d’appréciation de l’administration, le juge ne renversera une décision de refus que si le requérant apporte la preuve irréfutable d’une situation personnelle si prégnante que le refus de séjour deviendrait manifestement disproportionné. En l’absence d’une telle démonstration, la balance penche inévitablement en faveur des motifs de la décision administrative et des objectifs de maîtrise des flux migratoires.