Cour d’appel administrative de Toulouse, le 27 mars 2025, n°22TL21032

Par un arrêt du 27 mars 2025, la cour administrative d’appel de Toulouse s’est prononcée sur les conditions d’éligibilité des dépenses de recherche au crédit d’impôt recherche, précisant notamment les critères d’appréciation du caractère indissociable d’opérations techniques connexes à un projet de recherche principal.

En l’espèce, une société spécialisée dans les solutions numériques avait sollicité la restitution d’une créance de crédit d’impôt recherche au titre des dépenses engagées pour un projet global de développement expérimental. L’administration fiscale n’avait que partiellement admis cette demande, excluant du bénéfice du crédit d’impôt les dépenses afférentes à deux des quatre sous-projets composant l’opération. La société a contesté ce refus partiel devant le tribunal administratif de Montpellier, lequel a rejeté sa demande pour le surplus non dégrevé en cours d’instance. La requérante a interjeté appel de ce jugement, et la cour a ordonné une expertise afin d’éclairer la nature des liens entre les différents sous-projets. L’administration soutenait le caractère non éligible des sous-projets litigieux, faute de lever une incertitude scientifique ou technique, tandis que la société requérante arguait de leur caractère indissociable des opérations de recherche dont l’éligibilité était reconnue.

Il revenait ainsi aux juges d’appel de déterminer si des opérations de déploiement technique, qui ne constituent pas en elles-mêmes des activités de recherche et développement, peuvent néanmoins ouvrir droit au crédit d’impôt recherche au motif qu’elles seraient indissociables d’un projet de recherche éligible.

La cour administrative d’appel rejette la requête de la société. Elle juge que les travaux en cause, relevant d’un simple déploiement technique sans caractère innovant et n’étant pas indispensables aux opérations de recherche éligibles, ne peuvent être inclus dans l’assiette du crédit d’impôt. Cette décision, fondée sur une appréciation stricte des critères légaux, s’appuie de manière déterminante sur les conclusions du rapport d’expertise judiciaire. L’analyse de la cour confirme l’autonomie des critères d’éligibilité propres à chaque opération (I), tout en soulignant le rôle central de la preuve et de l’expertise dans le contentieux du crédit d’impôt recherche (II).

I. La confirmation d’une appréciation stricte du caractère innovant et indissociable des opérations

La solution retenue par la cour repose sur une double analyse, distinguant l’éligibilité intrinsèque des travaux litigieux (A) de leur lien avec les opérations de recherche admises (B).

A. L’exclusion des opérations de simple déploiement technique

La cour examine en premier lieu si les travaux réalisés dans le cadre des sous-projets « Cluster » et « Percolation » pouvaient être qualifiés d’opérations de recherche et développement au sens de l’article 244 quater B du code général des impôts. S’appuyant sur les conclusions concordantes de deux expertises, elle relève que ces travaux « se rattachaient au seul déploiement technique d’un logiciel, sans adaptation spécifique des outils existants ». En effet, la démarche de la société consistait à utiliser des techniques existantes pour tester une architecture, sans chercher à dissiper une incertitude scientifique ou technique majeure. Les juges confirment ainsi que la simple mise en œuvre de technologies, même complexes, dans un but de déploiement, ne suffit pas à caractériser une démarche de développement expérimental. La société ne parvenait pas à « identifier de réel verrou technologique à lever ni à mettre en avant un apport de connaissances ». Cette position réaffirme que l’éligibilité au crédit d’impôt est conditionnée par la présence d’une véritable démarche expérimentale visant une amélioration substantielle présentant un caractère de nouveauté.

B. Le rejet du lien d’indissociabilité avec le projet de recherche principal

À titre subsidiaire, la société requérante soutenait que les dépenses engagées devaient être prises en compte en raison du caractère indissociable de ces sous-projets avec le reste du projet de recherche. La cour écarte cet argument en se fondant sur l’analyse de l’expert mandaté. Celui-ci a estimé que si la solution développée dans les sous-projets éligibles « pouvait s’appuyer sur l’infrastructure développée dans les sous-projets « Cluster » et « Percolation », cela n’était pas obligatoire ». Le juge en déduit que le lien entre les différentes phases du projet n’était pas nécessaire ou indispensable. La simple complémentarité fonctionnelle, où une infrastructure est développée pour accueillir une solution logicielle, ne suffit pas à établir le caractère indissociable requis par la jurisprudence. La cour consacre une interprétation exigeante, selon laquelle seuls les travaux absolument nécessaires à la réalisation des opérations de recherche peuvent être rattachés à l’assiette du crédit d’impôt. L’absence de caractère obligatoire de ce lien technique suffit donc à justifier l’exclusion des dépenses correspondantes.

Cette approche rigoureuse des conditions de fond s’accompagne d’une affirmation claire quant à la charge de la preuve et au rôle de l’expertise dans son administration.

II. La portée de l’office du juge dans l’appréciation des critères d’éligibilité

La décision illustre le poids prépondérant de l’expertise judiciaire dans la conviction du juge (A) et réaffirme les exigences probatoires qui pèsent sur le contribuable (B).

A. La prépondérance du rapport d’expertise dans la conviction du juge

La société requérante contestait la régularité et la pertinence du rapport d’expertise ordonné par la cour. Elle invoquait notamment une méconnaissance du principe du contradictoire, l’imprécision des demandes de l’expert ou encore un manque de logique dans ses conclusions. La cour rejette méthodiquement chacun de ces griefs. Elle rappelle que les dispositions du code de justice administrative « n’imposent pas à l’expert d’organiser des réunions » et que la transmission d’un pré-rapport pour observations suffit à garantir le respect du contradictoire. De même, le juge considère que l’expert a suffisamment motivé ses choix, notamment celui d’écarter des pièces relatives à des travaux postérieurs à l’année d’imposition concernée. En validant ainsi la procédure d’expertise et en adoptant ses conclusions de manière quasi-intégrale, l’arrêt confirme le rôle déterminant de l’expertise technique dans un contentieux où l’appréciation du juge dépend d’éléments factuels et scientifiques complexes. La conviction du juge se forme essentiellement au regard des conclusions de l’homme de l’art qu’il a lui-même désigné.

B. L’application stricte des exigences probatoires à la charge du contribuable

En filigrane de la décision, c’est bien la question de la charge de la preuve qui est centrale. La cour souligne à plusieurs reprises que la société « se borne, pour l’essentiel, à rappeler le contenu de son dossier justificatif sans apporter de pièce de nature à remettre en cause l’avis de l’expert ». Cette formule révèle que le simple exposé de ses prétentions, même étayé par un dossier initial, est insuffisant pour combattre les conclusions d’une expertise défavorable. Il appartient au contribuable de fournir des éléments concrets et nouveaux susceptibles de contredire l’analyse technique produite en justice. Cette exigence est également illustrée par le rejet des dépenses de veille technologique. La société s’était contentée de produire des factures d’adhésion et un tableau de participation à des congrès, sans « apporter d’éléments précis permettant d’en apprécier le caractère scientifique ». Faute de justifications suffisantes, ces dépenses ne pouvaient être admises, confirmant que le contribuable doit systématiquement être en mesure de prouver la réalité et la nature des dépenses pour lesquelles il sollicite le bénéfice d’un avantage fiscal.

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Hassan KOHEN
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