Cour d’appel administrative de Toulouse, le 27 mars 2025, n°23TL02692

Par un arrêt en date du 27 mars 2025, une cour administrative d’appel s’est prononcée sur la légalité d’un refus de titre de séjour opposé à une ressortissante étrangère. En l’espèce, une citoyenne marocaine, entrée régulièrement en France en 2018 au moyen d’un visa de court séjour, s’y était maintenue après l’expiration de celui-ci. Elle s’était mariée à un compatriote titulaire d’une carte de résident et avait sollicité la délivrance d’un titre de séjour sur le fondement de sa vie privée et familiale. Le préfet de l’Hérault avait rejeté sa demande par un arrêté du 5 juin 2023, assorti d’une obligation de quitter le territoire français. Saisi d’un recours en annulation, le tribunal administratif de Montpellier l’avait rejeté par un jugement du 12 octobre 2023. La requérante a interjeté appel de ce jugement, soutenant que l’arrêté préfectoral était entaché d’incompétence de son signataire, méconnaissait l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ainsi que l’article L. 423-23 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, et procédait d’une erreur manifeste d’appréciation au regard de l’article L. 435-1 du même code. Il revenait donc aux juges d’appel de déterminer si le refus de séjour, fondé sur une appréciation des attaches de l’intéressée en France, portait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de la vie privée et familiale, et si sa situation particulière justifiait une admission exceptionnelle au séjour. La cour administrative d’appel rejette la requête, estimant que la décision du préfet n’a pas porté une atteinte excessive au droit au respect de la vie privée et familiale de l’intéressée et n’est pas entachée d’une erreur manifeste d’appréciation. Cette décision, qui applique avec rigueur les critères d’appréciation de la vie privée et familiale (I), réaffirme la portée limitée du pouvoir de régularisation à titre exceptionnel (II).

I. La confirmation d’une appréciation classique du droit au respect de la vie privée et familiale

Le juge administratif, pour contrôler la conformité de la décision préfectorale à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, opère un contrôle de proportionnalité en validant la méthode du bilan appliquée par l’administration (A), tout en minimisant la portée de certains éléments d’intégration personnelle et professionnelle pourtant avancés par la requérante (B).

A. La validation du bilan entre les intérêts en présence

La cour procède à un examen concret de la situation de l’appelante pour déterminer si l’ingérence dans son droit au respect de la vie privée et familiale est proportionnée au but poursuivi, à savoir la défense de l’ordre public et la maîtrise des flux migratoires. Elle met en balance les éléments liés à son installation en France avec ceux qui la rattachent encore à son pays d’origine. Le juge retient la durée de sa présence sur le territoire depuis 2018 et son mariage avec un résident régulier. Cependant, il oppose à ces éléments le fait que « le couple n’a pas d’enfant et l’appelante n’est pas dépourvue d’attaches dans son pays d’origine où résident ses parents, sa sœur et son frère ». Cette approche factuelle, qui consiste à peser chaque élément de la vie personnelle et familiale, est une application orthodoxe de la jurisprudence développée tant par la Cour européenne des droits de l’homme que par le Conseil d’État. Le juge administratif se livre à un contrôle normal de l’appréciation des faits par le préfet et conclut que la balance ne penche pas de manière décisive en faveur de l’intéressée, validant ainsi l’analyse de l’administration.

B. La relativisation des éléments d’intégration avancés

La particularité du raisonnement des juges d’appel réside dans la manière dont ils écartent certains arguments qui auraient pu sembler pertinents pour caractériser une intégration plus poussée. La cour constate en effet que la décision a été prise « alors même que Mme B… poursuit depuis plusieurs années un parcours pour avoir un enfant et qu’elle bénéficie d’un contrat de travail à durée indéterminée sous condition suspensive au sein de l’entreprise de son époux ». Ces deux éléments, un projet parental médicalement suivi et une perspective d’emploi stable, sont de nature à attester une volonté d’ancrage durable en France. Toutefois, la cour les juge insuffisants pour faire basculer l’appréciation en faveur de la requérante. En considérant que ces circonstances ne suffisent pas à rendre l’arrêté préfectoral disproportionné, l’arrêt illustre une certaine sévérité dans l’évaluation du degré d’intégration. Il suggère qu’en l’absence d’enfants et face à des attaches familiales persistantes à l’étranger, ni un projet de procréation médicalement assistée ni une promesse d’embauche ne constituent des obstacles dirimants à une mesure d’éloignement.

Au-delà de l’analyse menée au titre de la vie privée et familiale, la décision se prononce également sur la possibilité d’une admission au séjour pour des motifs exceptionnels, confirmant là encore une approche restrictive.

II. La réaffirmation d’une conception restrictive de l’admission exceptionnelle au séjour

L’arrêt de la cour administrative d’appel confirme la marge d’appréciation considérable dont dispose l’administration en matière de régularisation, d’une part en refusant de qualifier la situation de l’appelante de motif exceptionnel ou humanitaire (A), et d’autre part en consacrant par là même le caractère limité du contrôle juridictionnel en ce domaine (B).

A. Le rejet de l’existence de considérations humanitaires ou de motifs exceptionnels

L’appelante invoquait l’article L. 435-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, qui permet la délivrance d’un titre de séjour lorsque des considérations humanitaires ou des motifs exceptionnels le justifient. La cour reprend les éléments de fait déjà examinés pour le contrôle de proportionnalité et juge que « les circonstances évoquées précédemment, qui ne sauraient à elles-seules révéler l’existence de considérations humanitaires ou de motifs exceptionnels (…) sont insuffisantes pour faire regarder l’arrêté attaqué comme entaché d’une erreur manifeste d’appréciation sur ce point ». Ce faisant, elle refuse de voir dans le parcours de procréation assistée ou dans la situation professionnelle de la requérante une circonstance suffisamment exceptionnelle pour justifier une dérogation au droit commun. Cette interprétation confirme que la barre est placée très haut pour l’application de cette disposition, qui demeure une faculté pour le préfet et non un droit pour l’étranger, même lorsque des éléments personnels forts sont présentés.

B. La consécration du pouvoir discrétionnaire de l’administration

En jugeant que les faits de l’espèce ne sont pas suffisants pour caractériser une erreur manifeste d’appréciation, la cour applique un contrôle restreint à la décision du préfet. Ce type de contrôle signifie que le juge ne censure que les erreurs les plus grossières, celles qui sont évidentes au premier examen du dossier. En l’absence d’une telle erreur, le choix du préfet de ne pas user de son pouvoir de régularisation est souverain. L’arrêt s’inscrit ainsi dans une jurisprudence constante qui préserve le large pouvoir d’appréciation de l’administration dans la mise en œuvre de l’article L. 435-1. La portée de cette décision est donc avant tout confirmatoire : elle rappelle que si le juge exerce un contrôle entier sur l’atteinte à la vie privée et familiale, il se montre bien plus déférent envers l’administration s’agissant de l’admission au séjour à titre exceptionnel. La décision illustre ainsi la dualité du contrôle juridictionnel en droit des étrangers et la prééminence conservée par l’autorité préfectorale dans la gestion des situations individuelles hors des cadres légaux stricts.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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