Par une décision en date du 28 janvier 2025, une cour administrative d’appel s’est prononcée sur les conditions de délivrance d’un titre de séjour en qualité de salarié à une ressortissante marocaine. En l’espèce, une citoyenne de nationalité marocaine est entrée sur le territoire français munie d’un visa de court séjour. Avant l’expiration de ce dernier, elle a sollicité auprès des services préfectoraux son admission au séjour au titre d’une activité professionnelle, se prévalant d’une autorisation de travail et d’un contrat de travail à durée indéterminée. Le préfet a opposé un refus à sa demande, assorti d’une obligation de quitter le territoire français. Saisi par l’intéressée, le tribunal administratif de Montpellier a confirmé la légalité de cette décision. La requérante a interjeté appel de ce jugement, soutenant que la décision administrative méconnaissait les stipulations de l’accord franco-marocain du 9 octobre 1987, lesquelles, selon elle, ne subordonneraient pas la délivrance d’un titre de séjour pour un motif salarial à la détention préalable d’un visa de long séjour. La question de droit qui était ainsi posée à la cour était de savoir si les stipulations de l’accord franco-marocain de 1987 relatives à l’emploi salarié font obstacle à ce que l’autorité administrative exige d’un ressortissant marocain la production d’un visa de long séjour, conformément au droit commun de l’entrée et du séjour des étrangers. La cour administrative d’appel a répondu par la négative, jugeant que l’accord bilatéral ne traitant pas des conditions d’entrée sur le territoire, la législation nationale avait vocation à s’appliquer. En conséquence, l’absence de visa de long séjour justifiait légalement le refus de titre de séjour. L’arrêt confirme ainsi une lecture stricte de l’articulation entre les conventions internationales et le droit interne en matière de police des étrangers (I), tout en rappelant la portée limitée du contrôle juridictionnel sur le pouvoir d’appréciation de l’administration s’agissant d’une éventuelle régularisation (II).
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I. L’application rigoureuse du droit commun en l’absence de dérogation conventionnelle
L’analyse de la cour se fonde sur une interprétation combinée des stipulations de l’accord franco-marocain et des dispositions du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Elle met en lumière la subsidiarité du droit interne en cas de silence de la norme conventionnelle (A), ce qui confère au défaut de visa de long séjour un caractère dirimant (B).
##### A. La subsidiarité du droit interne face au silence de l’accord bilatéral
Le raisonnement du juge administratif repose sur l’articulation des articles 3 et 9 de l’accord franco-marocain. L’article 3 définit les conditions d’obtention d’un titre de séjour pour les ressortissants marocains souhaitant exercer une activité salariée, incluant la présentation d’un contrat de travail visé. Cependant, la cour relève que cet article est silencieux quant aux modalités d’entrée sur le territoire français. C’est à ce titre qu’intervient l’article 9, qui stipule que « Les dispositions du présent accord ne font pas obstacle à l’application de la législation des deux États sur le séjour des étrangers sur tous les points non traités par l’accord ». La cour en déduit logiquement que les conditions d’entrée, n’étant pas régies par la convention, relèvent du droit interne.
En l’occurrence, l’article L. 412-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile subordonne la première délivrance d’une carte de séjour à la production d’un visa de long séjour. La cour précise que cette exigence n’est pas incompatible avec l’accord bilatéral et a donc pleinement vocation à s’appliquer. Elle énonce ainsi que « Les dispositions précitées de l’article L. 412-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, qui subordonnent de manière générale la délivrance de toute carte de séjour à la production par l’étranger d’un visa de long séjour, ne sont pas incompatibles avec les stipulations de cet accord et ont vocation à s’appliquer ». Cette solution, constante en jurisprudence, réaffirme que les accords bilatéraux en matière de main-d’œuvre, sauf stipulation expresse contraire, ne créent pas une voie d’accès dérogatoire au séjour et ne dispensent pas du respect des conditions d’entrée sur le territoire national.
##### B. Une motivation suffisante justifiant le rejet de la demande
Ayant établi la légalité de l’exigence d’un visa de long séjour, la cour en tire les conséquences quant aux moyens soulevés par la requérante. Elle valide le raisonnement du préfet qui, constatant l’absence de ce visa, s’est estimé dispensé d’examiner plus avant les autres conditions, notamment celles relatives à l’autorisation de travail ou à la réalité de l’emploi. Le juge considère que le défaut de visa constitue un motif légal et suffisant pour fonder la décision de refus. Il est ainsi précisé que « Par ce seul motif, qui n’est pas entaché d’inexactitude matérielle, le préfet pouvait refuser à Mme C… la délivrance d’un titre de séjour en qualité de salariée ».
Cette approche confirme une hiérarchie dans l’examen des conditions d’octroi d’un titre de séjour. La régularité de l’entrée et du séjour constitue un préalable absolu, dont l’inobservation rend inopérant l’examen des autres éléments du dossier, même si ceux-ci paraissent favorables à l’étranger. La solution peut paraître sévère au regard de la situation de l’intéressée, qui disposait d’une autorisation de travail accordée par le ministère de l’intérieur, mais elle est juridiquement rigoureuse. Elle illustre la distinction fondamentale entre l’autorisation de travailler, qui relève du droit du travail, et l’autorisation de séjourner, qui relève de la police des étrangers. L’une ne saurait entraîner automatiquement l’autre, surtout lorsque les conditions procédurales d’accès au séjour ne sont pas remplies.
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II. La confirmation du contrôle restreint sur le pouvoir d’appréciation préfectoral
Au-delà de l’application du droit strict, la décision aborde également la question de l’admission exceptionnelle au séjour, qui relève du pouvoir discrétionnaire de l’administration. La cour rappelle la persistance de cette prérogative (A) avant d’exercer sur son usage un contrôle juridictionnel limité à l’erreur manifeste (B).
##### A. La persistance d’une faculté de régularisation à titre discrétionnaire
L’arrêt prend soin de distinguer le refus de plein droit, fondé sur le défaut de visa, de l’éventualité d’une régularisation au cas par cas. Bien que la requérante ne puisse utilement invoquer l’article L. 435-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers, la cour reconnaît que le préfet conserve la possibilité d’accorder un titre de séjour à titre exceptionnel. Elle affirme que « les stipulations de cet accord n’interdisent pas au préfet, dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire dont il dispose sur ce point, d’apprécier, en fonction de l’ensemble des éléments de la situation personnelle de l’intéressé, l’opportunité d’une mesure de régularisation ».
Cette précision est importante car elle confirme que même pour les nationaux relevant d’un accord bilatéral, le pouvoir général de régularisation de l’administration demeure intact. L’examen de la demande ne s’arrête donc pas à la simple vérification des conditions de plein droit ; il doit être complété, au titre du pouvoir discrétionnaire, par une appréciation globale de la situation de la personne. En l’espèce, le juge constate que le préfet a bien procédé à cet examen en second lieu, mais a conclu qu’aucun motif exceptionnel ne justifiait une admission au séjour. Cette démarche en deux temps est ainsi validée dans son principe.
##### B. Une appréciation des circonstances de l’espèce exempte d’erreur manifeste
Le contrôle du juge sur une décision prise dans l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire est restreint. Le tribunal ne substitue pas sa propre appréciation à celle du préfet, mais vérifie seulement que ce dernier n’a pas commis d’erreur manifeste dans l’évaluation des faits. La requérante mettait en avant son expérience professionnelle et le besoin de l’entreprise qui la recrutait. La cour examine ces éléments mais constate que les diplômes de l’intéressée ne sont pas en adéquation avec le poste proposé.
Dès lors, elle conclut que le préfet a pu, sans commettre une telle erreur, estimer que ces circonstances ne revêtaient pas un caractère exceptionnel suffisant pour justifier une dérogation aux règles générales. En jugeant que la requérante « n’est pas fondée à soutenir que le préfet de l’Hérault aurait entaché sa décision d’une erreur manifeste d’appréciation », la cour adopte une posture de déférence à l’égard de l’autorité administrative. Cette solution rappelle que la charge de la preuve de circonstances exceptionnelles pèse lourdement sur le demandeur et que la seule existence d’une promesse d’embauche, même dans un secteur en tension, ne suffit pas à lier la décision du préfet. L’arrêt s’inscrit ainsi dans une jurisprudence classique qui encadre strictement les possibilités de régularisation et accorde une marge d’appréciation conséquente à l’administration.