Cour d’appel administrative de Toulouse, le 28 janvier 2025, n°23TL02251

Par un arrêt en date du 28 janvier 2025, la cour administrative d’appel a été amenée à se prononcer sur les conditions d’octroi d’un titre de séjour à un étranger pour des motifs tenant à la fois à son état de santé et à sa vie privée et familiale. En l’espèce, un ressortissant marocain, présent sur le territoire français depuis mars 2010, s’était vu délivrer plusieurs autorisations provisoires de séjour en raison de son état de santé. Après une série de décisions administratives et de contentieux, le préfet de l’Hérault a, par un arrêté du 16 janvier 2023, refusé de lui délivrer un titre de séjour et l’a obligé à quitter le territoire français. L’intéressé a saisi le tribunal administratif de Montpellier, qui a rejeté sa demande par un jugement du 9 mai 2023. Le requérant a alors interjeté appel de ce jugement, arguant d’une part que son état de santé nécessitait une prise en charge médicale non disponible dans son pays d’origine, en violation de l’article L. 425-9 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, et d’autre part que la décision préfectorale portait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale, protégé par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et l’article L. 423-23 du même code. Il se posait donc à la cour la double question de savoir si le refus de séjour était entaché d’une erreur d’appréciation au regard de l’offre de soins dans le pays d’origine et s’il portait une atteinte disproportionnée aux liens privés et familiaux noués en France. Par sa décision, la cour administrative d’appel rejette la requête, confirmant ainsi le jugement de première instance et validant la décision préfectorale. La cour, pour rejeter la requête, a développé un raisonnement en deux temps, examinant d’une part le droit au séjour au titre de l’état de santé (I) et d’autre part l’atteinte alléguée au droit au respect de la vie privée et familiale (II).

I. Le contrôle de l’appréciation de l’offre de soins à l’étranger

La cour administrative d’appel confirme la position du préfet en s’appuyant sur une lecture stricte des conditions posées par le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Elle accorde une primauté à l’avis du corps médical spécialisé (A) et impose au requérant une charge probatoire élevée quant à l’inaccessibilité du traitement dans son pays d’origine (B).

A. La primauté accordée à l’avis du collège des médecins de l’OFII

Le juge administratif rappelle d’abord la règle de preuve applicable en la matière, en précisant que la charge de la preuve est aménagée. Il énonce ainsi que « La partie qui justifie d’un avis du collège de médecins de l’Office français de l’immigration et de l’intégration qui lui est favorable doit être regardée comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer l’existence ou l’absence d’un état de santé de nature à justifier la délivrance ou le refus d’un titre de séjour ». En l’espèce, le préfet s’est fondé sur un avis défavorable de ce collège, estimant que si l’état de santé du requérant nécessitait bien une prise en charge, un traitement approprié était accessible dans son pays d’origine. La cour estime que les documents produits par le requérant, notamment des certificats médicaux, ne sont pas suffisamment probants pour renverser cette présomption. En effet, elle juge que les certificats indiquant qu’un suivi ne serait « pas réalisable au Maroc » ou devrait avoir lieu dans un centre « hautement spécialisé à l’étranger » sont insuffisamment circonstanciés pour remettre en cause l’avis de l’OFII. Cette solution confirme la place centrale de l’avis du collège des médecins de l’OFII dans l’appréciation du juge, qui ne substitue son analyse à celle de cet organe spécialisé que si des éléments précis et détaillés permettent de douter sérieusement du bien-fondé de ses conclusions.

B. L’exigence d’une preuve circonstanciée de l’inaccessibilité effective du traitement

Le requérant soutenait également que, au-delà de la disponibilité théorique des soins, il ne pouvait y accéder en pratique, en raison de l’éloignement des centres spécialisés de sa région d’origine et de son absence de couverture sociale et de revenus. La cour écarte ces arguments au motif qu’il « n’apporte pas d’éléments probants à l’appui de ces allégations ». Cette approche révèle une application rigoureuse du principe selon lequel il appartient au demandeur d’établir la réalité des obstacles qu’il invoque. La notion de bénéfice « effectif » d’un traitement, prévue par l’article L. 425-9 du code, ne se limite pas à l’existence d’une infrastructure médicale mais inclut l’accessibilité matérielle et financière des soins. Cependant, cet arrêt illustre que la simple affirmation de difficultés, même plausibles, ne suffit pas. Le juge attend la production de preuves tangibles, telles que des justificatifs de l’absence de protection sociale, des estimations de coûts de traitement, ou encore des éléments précis sur les difficultés de transport. En l’absence de tels éléments, l’appréciation de l’administration, fondée sur l’avis de l’OFII, n’est pas considérée comme entachée d’une erreur manifeste.

Après avoir écarté le moyen fondé sur l’état de santé, la cour examine ensuite le second fondement de la demande, tiré de l’atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale.

II. L’appréciation restrictive des liens privés et familiaux face à la précarité du séjour

Pour apprécier l’atteinte portée au droit au respect de la vie privée et familiale, la cour procède à une mise en balance des intérêts en présence. Elle relativise la portée de l’ancienneté du séjour en France en raison de son caractère précaire (A) et fait prévaloir les attaches familiales demeurées dans le pays d’origine (B).

A. La relativisation de l’ancienneté du séjour en raison de son motif

Le requérant invoquait sa présence en France depuis plus de dix ans pour justifier de l’intensité de ses liens avec le pays. La cour nuance fortement la portée de cet argument en soulignant que « les autorisations de séjour dont il a bénéficié par la suite lui ont été délivrées au titre de son état de santé et ne lui donnaient pas vocation, par elles-mêmes, à rester durablement sur le territoire français ». Par cette formule, le juge rappelle une jurisprudence constante selon laquelle la durée du séjour ne peut être appréciée indépendamment de la nature des titres qui l’ont autorisé. Un séjour accompli sous le couvert de titres précaires ou dont l’objet ne vise pas une installation durable, comme c’est le cas pour des raisons de santé, ne permet pas de créer des droits acquis à un maintien sur le territoire. La cour renforce cette analyse en relevant que l’intéressé a fait l’objet de plusieurs mesures d’éloignement qu’il n’a pas exécutées, ce qui affaiblit d’autant la légitimité de sa présence continue en France.

B. La prépondérance des attaches familiales dans le pays d’origine

Dans son contrôle de proportionnalité, le juge met en balance les liens du requérant en France avec ceux qu’il a conservés dans son pays d’origine. Alors que l’intéressé mettait en avant son hébergement par son fils de nationalité française et ses liens avec ses petits-enfants, la cour retient que « les autres membres de sa famille, à savoir son épouse et cinq de ses enfants, résident au Maroc ». Ce faisant, elle opère une appréciation quantitative et qualitative des liens familiaux, accordant un poids déterminant au noyau familial principal resté au pays. La conclusion de la cour est sans équivoque : « il ne ressort pas des pièces du dossier que M. B… aurait établi en France le centre de ses intérêts familiaux et privés alors que, étant né en 1963, il a passé l’essentiel de son existence dans son pays d’origine ». La décision préfectorale n’est donc pas jugée comme portant une atteinte disproportionnée à son droit au respect de la vie privée et familiale au sens de l’article 8 de la convention européenne. Cette décision d’espèce illustre la difficulté pour une personne entrée en France à un âge avancé de renverser la présomption selon laquelle le centre de ses intérêts demeure dans son pays d’origine, surtout lorsque son conjoint et la majorité de ses enfants y résident encore.

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Hassan KOHEN
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