Cour d’appel administrative de Toulouse, le 28 mai 2025, n°23TL02475

L’arrêt rendu par une cour administrative d’appel le 28 mai 2025 offre une illustration de l’application rigoureuse des conditions de renouvellement du titre de séjour pour le conjoint d’un ressortissant français. En l’espèce, une ressortissante marocaine, mariée à un citoyen français et titulaire d’un titre de séjour en cette qualité, a sollicité le renouvellement de ce dernier après la cessation de la communauté de vie. Elle a essuyé un refus de la part de l’autorité préfectorale, assorti d’une obligation de quitter le territoire français. L’intéressée a saisi le tribunal administratif qui a rejeté sa demande. Elle a ensuite interjeté appel du jugement, faisant valoir principalement qu’elle avait été victime de violences conjugales, ce qui devait faire obstacle à ce que la rupture de la vie commune lui soit opposée, et que la décision portait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale, notamment en raison de la naissance de son enfant en France. La question posée à la cour était donc de savoir si des allégations de violences conjugales, non corroborées par des éléments jugés probants, et la naissance d’un enfant issu d’une autre union, suffisaient à faire échec à un refus de renouvellement de titre de séjour fondé sur la rupture de la communauté de vie. La cour administrative d’appel répond par la négative et confirme le jugement de première instance, estimant que la réalité des violences n’était pas établie et que, dans les circonstances de l’espèce, la décision préfectorale ne constituait pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de l’appelante.

L’analyse de la décision révèle une appréciation stricte des exceptions légales justifiant le maintien du droit au séjour (I), conduisant à une mise en balance défavorable à l’étrangère de son droit au respect de la vie privée et familiale (II).

I. L’appréciation stricte des conditions dérogatoires au maintien du lien conjugal

La cour examine avec une grande rigueur les deux principaux arguments soulevés par la requérante pour déroger à l’exigence de communauté de vie : d’une part, l’existence de violences conjugales (A) et, d’autre part, son insertion professionnelle (B).

A. L’exigence d’une preuve circonstanciée des violences conjugales

L’article L. 423-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile dispose que « La rupture de la vie commune n’est pas opposable lorsqu’elle est imputable à des violences familiales ou conjugales ». Cette disposition protectrice vise à ne pas pénaliser la victime qui fuit une situation de danger. Toutefois, la charge de la preuve de ces violences pèse sur l’étranger qui les invoque. Dans cette affaire, la cour administrative d’appel se livre à une analyse factuelle détaillée pour conclure que les violences ne sont pas établies. Elle relève que « le certificat médical du 27 septembre 2019 n’était pas suffisamment probant », que le juge civil a rejeté la demande de mesures provisoires et, surtout, que « les plaintes déposées par l’intéressée les 24 janvier 2020 et 16 juillet 2020 auprès des services de police ont été classées sans suite ». En se fondant sur ces éléments concordants issus du dossier examiné par le préfet, le juge administratif confirme que la requérante n’a pas apporté la preuve qui lui incombait. Cette solution démontre que le juge exige des éléments précis et concordants pour établir la réalité des violences et faire jouer l’exception légale, les simples allégations ou des pièces isolées et non concluantes étant jugées insuffisantes.

B. L’inefficacité des démarches d’insertion professionnelle au regard du droit conventionnel

La requérante tentait également de se prévaloir de son activité salariée pour obtenir un titre de séjour sur un autre fondement. La cour rappelle cependant la primauté de l’accord franco-marocain du 9 octobre 1987 en la matière. L’article 3 de cet accord subordonne la délivrance d’un titre de séjour en qualité de salarié à la présentation d’un contrat de travail « visé par les autorités compétentes ». Or, la cour constate que l’intéressée n’a pas démontré avoir soumis son contrat de travail à durée indéterminée, conclu après sa demande de renouvellement, à cette formalité substantielle. Le juge souligne que l’appelante « ne justifie pas avoir communiqué ce contrat à l’autorité préfectorale avant l’édiction de l’arrêté en litige et ne soutient, en tout état de cause, pas que ledit contrat aurait été visé par l’autorité compétente ». Cette approche formaliste, dictée par le texte conventionnel, ferme la porte à une régularisation par le travail qui n’aurait pas suivi la procédure spécifique prévue par l’accord bilatéral, rendant inopérants les efforts d’insertion professionnelle de l’étrangère.

II. La mise en balance du droit au respect de la vie privée et familiale

Après avoir écarté les fondements légaux d’un droit au séjour, la cour procède à un contrôle de proportionnalité au regard du droit au respect de la vie privée et familiale (A), dont l’issue est largement déterminée par l’appréciation de l’intérêt de l’enfant (B).

A. Une mise en balance défavorable au maintien sur le territoire

Conformément à l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le juge administratif examine si le refus de séjour porte une atteinte disproportionnée à la vie privée et familiale de la requérante. Pour ce faire, il met en balance l’ensemble des éléments de la situation personnelle de l’intéressée avec les objectifs de la mesure d’éloignement. La cour retient plusieurs éléments à charge : la durée de présence relativement brève sur le territoire, soit « moins de trois ans à la date de la décision en litige », la rupture du lien avec son conjoint français, et le fait qu’elle « ne soutient pas être sans attaches » dans son pays d’origine. En face, ses efforts d’insertion professionnelle ne suffisent pas à faire pencher la balance en sa faveur. La naissance de sa fille est également prise en compte, mais cet élément est analysé sous l’angle de la stabilité de la cellule familiale, laquelle est jugée précaire. La décision illustre ainsi un contrôle concret où l’absence d’ancrage familial stable et ancien en France emporte la conviction du juge quant au caractère proportionné de la mesure.

B. L’intérêt supérieur de l’enfant apprécié au travers de la situation de ses parents

L’argument relatif à l’intérêt supérieur de l’enfant, garanti par l’article 3-1 de la Convention internationale des droits de l’enfant, est central dans le raisonnement de la cour. Le juge doit en faire une « considération primordiale ». Toutefois, en l’espèce, cet intérêt est apprécié de manière relative. La cour observe que le père de l’enfant, lui-même en situation irrégulière, « n’entretient aucun lien avec l’enfant » et que rien ne suggère qu’il s’opposerait à son départ avec sa mère. La précarité de la situation administrative du père et son absence de rôle effectif dans la vie de l’enfant conduisent le juge à considérer que l’intérêt de l’enfant ne fait pas obstacle à la mesure d’éloignement de sa mère. Cette analyse montre que l’intérêt supérieur de l’enfant est intimement lié à la stabilité de sa cellule familiale et à la situation de ses deux parents. L’éloignement de la mère n’est pas jugé comme portant atteinte à cet intérêt dès lors que la cellule familiale en France est considérée comme inexistante ou non viable, et que la continuité du lien avec la mère est assurée, fût-ce dans un autre pays.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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