Cour d’appel administrative de Toulouse, le 3 juillet 2025, n°24TL00810

Par un arrêt en date du 3 juillet 2025, le juge administratif d’appel a été amené à se prononcer sur la légalité d’une mesure d’éloignement prise à l’encontre d’un ressortissant étranger. En l’espèce, un citoyen tunisien, entré régulièrement en France en 2020, avait bénéficié d’un titre de séjour spécial en qualité de conjoint d’une personne employée par une mission diplomatique, titre qui a expiré au début de l’année 2023. L’intéressé s’est maintenu sur le territoire français sans solliciter le renouvellement de son titre et a fait l’objet, le 15 janvier 2024, d’un arrêté préfectoral lui faisant obligation de quitter le territoire français sans délai, assorti d’une interdiction de retour d’une durée d’un an. L’étranger a saisi le tribunal administratif de Toulouse d’une demande d’annulation de cet arrêté, laquelle a été rejetée par un jugement du 22 mars 2024. Le requérant a alors interjeté appel de ce jugement, soulevant d’une part l’irrégularité de la procédure suivie en première instance, et d’autre part le caractère mal fondé des décisions contenues dans l’arrêté préfectoral. Se posait alors au juge d’appel la question de savoir si la substitution de base légale, opérée par le premier juge et annoncée en cours d’audience, entachait la procédure d’irrégularité. Il lui appartenait également de déterminer si la décision d’éloignement portait une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de l’intéressé, au regard de ses attaches en France et dans son pays d’origine. La cour administrative d’appel rejette l’ensemble des moyens soulevés par le requérant. Elle juge que la procédure de substitution de base légale a été régulièrement menée et que, sur le fond, la décision préfectorale n’est entachée ni d’erreur de droit, ni d’erreur manifeste d’appréciation, l’atteinte portée à la vie privée et familiale du requérant n’étant pas disproportionnée au regard des buts poursuivis par la mesure d’éloignement.

I. La confirmation de l’office du juge dans le contrôle de la légalité de l’acte administratif

La décision commentée offre une illustration de la faculté pour le juge administratif de substituer un nouveau fondement juridique à celui initialement retenu par l’administration, tout en veillant au respect des garanties procédurales. L’arrêt confirme ainsi la portée de l’office du juge en matière de substitution de base légale (A), en validant en l’espèce une modalité d’information des parties qui préserve le caractère contradictoire de la procédure (B).

A. Le principe de la substitution de base légale par le juge

Le juge de l’excès de pouvoir dispose de la faculté de procéder à une substitution de base légale lorsqu’il constate que la décision administrative attaquée aurait pu être légalement prise sur le fondement d’un autre texte. Cette technique jurisprudentielle permet de valider une décision dont le dispositif est justifié, mais dont les motifs de droit sont erronés. L’arrêt rappelle que le juge peut y procéder de sa propre initiative, à la condition que l’administration ait agi dans le cadre du même pouvoir d’appréciation et que l’intéressé ait bénéficié des garanties procédurales attachées au texte de substitution. En l’espèce, le premier juge avait substitué aux motifs de droit de l’arrêté préfectoral de nouveaux articles du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, plus adaptés à la situation factuelle du requérant. L’enjeu central pour l’appelant résidait donc moins dans le principe de cette substitution que dans les modalités de sa mise en œuvre.

B. La préservation du débat contradictoire

La validité d’une substitution de base légale opérée d’office est subordonnée à une condition impérative de procédure : le respect du principe du contradictoire. Le juge doit mettre les parties à même de présenter leurs observations sur le nouveau fondement juridique qu’il envisage de retenir. L’originalité de l’affaire tenait à la manière dont cette obligation a été remplie. Le requérant soutenait que la substitution, n’ayant pas été annoncée avant l’audience, méconnaissait son droit à un recours effectif. La cour écarte ce moyen en se fondant sur les dispositions alors applicables du code de justice administrative. Elle relève qu’il « ressort par ailleurs des mentions du jugement attaqué que le magistrat désigné a informé les parties au cours de l’audience […] de ce qu’il était susceptible de procéder à ces substitutions de base légale ». En validant cette information en cours d’audience, l’arrêt confirme une application pragmatique du principe du contradictoire dans le cadre du contentieux des étrangers, où la célérité de la procédure est requise.

II. Une appréciation restrictive des garanties de fond face à l’irrégularité du séjour

Au-delà de la question procédurale, la cour administrative d’appel examine les arguments de fond du requérant et procède à une appréciation rigoureuse de sa situation personnelle. Elle écarte ainsi l’invocation d’un statut protecteur dont la preuve n’est pas rapportée (A) avant de conclure à l’absence d’une atteinte disproportionnée à son droit au respect de la vie privée et familiale (B).

A. Le rejet d’un statut protecteur non démontré

Le requérant invoquait le bénéfice d’un statut protecteur en tant que conjoint d’un agent de mission diplomatique, arguant de la méconnaissance de la convention de Vienne sur les relations consulaires. Le juge d’appel rejette cet argument en soulignant la charge de la preuve qui pèse sur le demandeur. Ce dernier, qui affirmait que son épouse était repartie dans son pays d’origine, « n’apporte aucun élément relatif à la situation de cette dernière susceptible d’établir que sa mission serait toujours en cours ». Faute de preuve contraire, le requérant ne pouvait plus se prévaloir des dispenses de titre de séjour. Cet attendu réaffirme une solution classique selon laquelle l’invocation d’un statut dérogatoire au droit commun du séjour doit être étayée par des éléments probants, ce qui n’était pas le cas en l’espèce. Le simple fait d’avoir bénéficié par le passé d’un titre spécial ne suffit pas à maintenir une protection une fois les conditions de son octroi disparues.

B. La proportionnalité de l’atteinte au droit à la vie privée et familiale

L’argument principal du requérant reposait sur la violation de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Le juge procède à une balance des intérêts en présence : d’un côté, le droit de l’État à maîtriser les flux migratoires, et de l’autre, le droit de l’individu au respect de sa vie privée et familiale. La cour constate que si l’intéressé est présent en France depuis 2020 et y exerce une activité professionnelle, il a vécu la majeure partie de sa vie dans son pays d’origine où résident son épouse et sa famille proche. En conséquence, la mesure d’éloignement ne porte pas « une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale ». Cette décision s’inscrit dans une jurisprudence constante qui tend à considérer que des liens récents en France, même attestés par un emploi, ne suffisent pas à faire obstacle à une mesure d’éloignement lorsque les attaches familiales dans le pays d’origine demeurent prépondérantes et que l’étranger s’est maintenu irrégulièrement sur le territoire. La décision du préfet n’est alors pas considérée comme entachée d’une erreur manifeste d’appréciation.

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