Cour d’appel administrative de Toulouse, le 3 juillet 2025, n°24TL01624

Par une décision rendue le 3 juillet 2025, une cour administrative d’appel a statué sur la légalité d’une décision préfectorale fixant le pays de renvoi d’un étranger faisant l’objet d’une obligation de quitter le territoire français. Un ressortissant bangladais, après le rejet définitif de sa demande d’asile par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides puis par la Cour nationale du droit d’asile, s’est vu notifier par le préfet de la Haute-Garonne un arrêté du 14 mars 2024. Cet acte lui enjoignait de quitter la France sous trente jours et désignait le Bangladesh comme pays de destination. L’intéressé a saisi le tribunal administratif de Toulouse, alléguant notamment l’existence de risques pour sa vie et sa sécurité en cas de retour dans son pays d’origine. Par un jugement du 27 mai 2024, le magistrat désigné a annulé l’arrêté préfectoral uniquement en ce qu’il fixait le pays de renvoi. Le préfet a interjeté appel de cette annulation partielle. Devant la cour, l’étranger a conclu au rejet de la requête, soulevant à titre principal l’illégalité de la décision fixant son pays de renvoi au motif qu’elle contreviendrait à l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Il incombait ainsi aux juges d’appel de déterminer dans quelle mesure l’autorité administrative, puis le juge de l’excès de pouvoir, doivent apprécier le risque de traitements inhumains ou dégradants, indépendamment des décisions rendues par les instances de l’asile. La question se posait également de savoir quel niveau de preuve est exigé de l’étranger qui se prévaut de tels risques. La cour administrative d’appel a infirmé le jugement de première instance. Elle a considéré que les éléments produits par le requérant ne permettaient pas d’établir qu’il serait personnellement exposé à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention en cas de retour dans son pays. Par conséquent, la cour a jugé que le préfet n’avait pas commis d’erreur en fixant le pays de destination, rejetant ainsi l’ensemble des prétentions de l’intéressé.

L’arrêt réaffirme avec clarté les principes gouvernant l’office respectif des autorités administratives et judiciaires dans le contrôle des risques encourus en cas d’éloignement (I), avant de les appliquer avec une rigueur qui souligne la charge probatoire pesant sur l’étranger (II).

I. La réaffirmation de l’autonomie des contrôles en matière de renvoi

La décision commentée prend soin de distinguer nettement le rôle de l’autorité préfectorale de celui des instances de l’asile (A), tout en rappelant la plénitude du contrôle exercé par le juge administratif sur l’appréciation des risques (B).

A. L’obligation d’examen distinct pesant sur l’autorité préfectorale

La cour rappelle que le préfet, lorsqu’il décide du pays de renvoi, est tenu de procéder à sa propre analyse de la situation de l’étranger. Cette obligation découle directement de l’article L. 721-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, qui interdit tout éloignement vers un pays où l’étranger établit que sa vie ou sa liberté sont menacées ou qu’il y est exposé à des traitements prohibés par l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme. La décision énonce que si le préfet peut « prendre en considération les décisions qu’ont prises, le cas échéant, l’Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la Cour nationale du droit d’asile », cette faculté ne le dispense nullement de son devoir de vérification.

L’arrêt souligne ainsi que l’examen mené par les instances de l’asile, centré sur les critères de la Convention de Genève ou de la protection subsidiaire, « ne lient pas le préfet, et sont sans influence sur l’obligation qui est la sienne de vérifier ». Cette clarification est fondamentale, car elle confirme que le rejet d’une demande d’asile, même par la Cour nationale du droit d’asile, ne crée aucune présomption d’absence de risque au sens de l’article 3. L’autorité préfectorale doit se forger sa propre conviction au vu de tous les éléments du dossier, y compris ceux qui n’auraient pas été jugés pertinents ou suffisants par les juridictions spécialisées de l’asile.

B. La plénitude du contrôle du juge de l’excès de pouvoir

Dans le prolongement de l’autonomie reconnue au préfet, la cour réitère la nature du contrôle qu’exerce le juge administratif sur la décision fixant le pays de renvoi. Il ne s’agit pas d’un simple contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation, mais d’un contrôle normal, entier, de la réalité des risques allégués. La cour le formule en des termes dénués d’ambiguïté : « il incombe au juge de l’excès de pouvoir d’apprécier, dans les mêmes conditions, la réalité des risques allégués ». Le juge administratif n’est donc pas seulement le juge de l’action administrative ; il est aussi le garant des droits fondamentaux de l’étranger.

Cette position implique que le juge ne se limite pas à vérifier si le préfet a accompli les diligences nécessaires. Il doit lui-même, à la lumière des pièces du dossier et des arguments des parties, apprécier si le renvoi de l’étranger vers le pays désigné l’exposerait à des traitements inhumains ou dégradants. La cour précise d’ailleurs « qu’il importe à cet égard que l’intéressé invoque ou non des éléments nouveaux par rapport à ceux présentés à l’appui de sa demande d’asile ». Cette mention confirme que le contentieux de l’éloignement constitue une procédure entièrement distincte, où l’ensemble des faits et des risques doit être réévalué.

Après avoir ainsi posé le cadre juridique de son analyse, la cour procède à une application concrète qui met en lumière les exigences probatoires requises pour que le risque soit considéré comme établi.

II. L’application rigoureuse des exigences probatoires

La solution retenue par la cour illustre la difficulté pratique pour un étranger de rapporter la preuve d’un risque personnel et actuel (A), et laisse transparaître, malgré les principes d’autonomie, l’influence factuelle du rejet antérieur de la demande d’asile (B).

A. La nécessité d’éléments de preuve personnels et circonstanciés

L’examen des faits auquel procède la cour est particulièrement instructif. Le requérant soutenait encourir des risques en raison d’un conflit successoral l’opposant à des membres de sa famille ayant une influence politique locale. Pour étayer ses dires, il produisait un certificat médical ancien faisant état de blessures graves, une ordonnance de tribunal relative à un litige immobilier, une copie de plainte déposée par lui-même, ainsi que des attestations de proches. Cependant, la cour écarte ces éléments en jugeant que l’intéressé « n’apporte aucun élément permettant d’établir le risque de subir personnellement des traitements inhumains ou dégradants en cas de retour dans son pays d’origine ».

Cette appréciation souveraine des faits montre que de simples allégations, même corroborées par certains documents, ne suffisent pas. La cour attend des preuves qui démontrent non seulement l’existence d’un conflit ou de menaces passées, mais également le caractère actuel et personnel du risque de subir des traitements atteignant le seuil de gravité de l’article 3. Les pièces versées au dossier, bien que relatant des événements violents, n’ont pas été jugées suffisantes pour prouver que, des années plus tard, les autorités publiques seraient incapables ou non désireuses de le protéger, ou que les menaces de ses proches se concrétiseraient inéluctablement à son retour.

B. La portée résiduelle du rejet de la demande d’asile

Alors même que la cour a affirmé que les décisions de l’OFPRA et de la CNDA ne liaient pas le préfet, elle ne manque pas de relever dans son analyse que la demande d’asile de l’intéressé « a été rejetée par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides et la Cour nationale du droit d’asile ». L’emploi de l’adverbe « d’ailleurs » pour introduire cette observation suggère que si ce rejet n’est pas un argument de droit dirimant, il constitue néanmoins un élément de contexte qui pèse dans l’appréciation globale des faits.

Cette mention révèle une réalité pragmatique du contentieux. La CNDA étant une juridiction qui examine en détail les récits et les preuves des demandeurs, son rejet d’une demande rend implicitement plus difficile la tâche de convaincre ultérieurement le juge administratif de la réalité des mêmes risques, sauf à produire des éléments nouveaux et particulièrement probants. Sans remettre en cause le principe de l’autonomie des procédures, cet arrêt illustre que la crédibilité d’un requérant sort affaiblie de la procédure d’asile infructueuse. La décision s’inscrit ainsi moins comme un revirement que comme une application classique et rigoureuse d’une jurisprudence établie, rappelant que la protection contre le renvoi au titre de l’article 3 demeure conditionnée à une démonstration exigeante.

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