Par un arrêt en date du 3 juin 2025, la cour administrative d’appel a été amenée à se prononcer sur la légalité de plusieurs décisions prises par une commune à l’encontre d’une de ses agentes, à la suite d’un accident reconnu imputable au service. Une agente territoriale, victime d’une agression sur son lieu de travail, a été placée en arrêt de travail puis en congé de maladie ordinaire. À l’expiration de ses droits, l’administration l’a placée en disponibilité d’office pour raison de santé, a refusé de reconnaître une rechute comme imputable au service, et a finalement statué sur son aptitude professionnelle.
Saisi par l’agente, le tribunal administratif de Nîmes, par un jugement du 22 décembre 2022, avait annulé l’ensemble de ces décisions. La commune a interjeté appel de ce jugement, contestant tant sa régularité que son bien-fondé. Elle soutenait notamment que l’obligation de motivation n’était pas applicable à certaines des décisions litigieuses et que les premiers juges avaient commis des erreurs de droit et d’appréciation dans leur analyse des faits et des procédures suivies. La question de droit soulevée devant le juge d’appel portait ainsi sur l’étendue de l’obligation de motivation des actes administratifs affectant la carrière d’un agent public en raison de son état de santé, et sur les modalités du contrôle exercé par le juge sur le respect de cette obligation ainsi que sur l’appréciation des situations médicales complexes par l’administration.
La cour administrative d’appel a partiellement infirmé le jugement de première instance. Elle a validé l’arrêté plaçant l’agente en disponibilité d’office ainsi que celui refusant la prise en charge de sa rechute, considérant que l’obligation de motivation avait été respectée ou n’était pas applicable. En revanche, elle a confirmé l’annulation de l’arrêté se prononçant sur son inaptitude, en retenant, par une substitution de motifs, qu’il constituait un refus de reclassement insuffisamment motivé. La solution retenue témoigne ainsi d’une appréciation rigoureuse du formalisme administratif (I), tout en consacrant une protection substantielle des garanties offertes à l’agent dans le cadre de son droit au reclassement (II).
***
I. Une application rigoureuse des exigences procédurales encadrant les décisions de l’administration
La cour administrative d’appel, par une analyse différenciée des actes qui lui étaient soumis, a d’abord validé les décisions de placement en disponibilité et de refus de prise en charge de la rechute. Elle a pour cela opéré une application stricte des règles relatives à l’obligation de motivation (A), avant de procéder à un contrôle pragmatique de la régularité de la procédure consultative et du bien-fondé de l’appréciation portée par l’administration (B).
A. La distinction opérée quant à l’étendue de l’obligation de motivation
Le juge d’appel rappelle que « les décisions plaçant d’office un fonctionnaire en disponibilité en raison de l’expiration de ses droits statutaires à congé de maladie ne relèvent d’aucune des catégories de décisions qui doivent être motivées ». Cette affirmation, conforme à une jurisprudence constante, distingue le placement initial en disponibilité d’office, qui est une conséquence automatique de l’épuisement des droits à congé, de son renouvellement. Or, la cour précise que la décision de renouvellement ne devient un refus d’un avantage constituant un droit, et n’a donc à être motivée, que si l’agent est reconnu apte à la reprise de ses fonctions.
En l’espèce, le comité médical ayant implicitement mais nécessairement conclu à l’inaptitude de l’agente à la reprise, celle-ci ne disposait pas d’un droit à réintégration. Par conséquent, la décision de renouveler sa disponibilité d’office n’avait pas à être motivée. En jugeant inopérant le moyen tiré de l’insuffisance de motivation, la cour censure le raisonnement des premiers juges et adopte une lecture littérale des textes, qui conditionne l’étendue des obligations procédurales de l’administration à la situation juridique précise de l’agent. Cette approche formaliste garantit la prévisibilité du droit mais souligne la dépendance de l’agent aux avis des instances médicales.
B. Le contrôle pragmatique de la procédure consultative
Concernant le refus de reconnaître la rechute comme imputable au service, la cour écarte également l’argumentation fondée sur le défaut de motivation et le vice de procédure. Elle constate que l’arrêté litigieux, notifié à l’agente, était accompagné de l’avis de la commission de réforme, lequel exposait les raisons du refus, à savoir « l’absence de matérialité d’une telle rechute ». La motivation par référence, pratique courante et admise, est ici jugée suffisante pour éclairer l’agente sur les motifs de la décision, dans le respect du secret médical.
De plus, le juge d’appel rejette le moyen tiré d’une prétendue irrégularité de la saisine de la commission de réforme. Il relève que l’agente n’a pas été privée d’une garantie, dès lors qu’elle a pu saisir elle-même la commission, qui a effectivement examiné son dossier et rendu un avis. Cette analyse pragmatique démontre que le juge vérifie si, au-delà du respect formel des délais de transmission par l’employeur, le droit de l’agent à voir sa situation examinée par l’instance compétente a été préservé. La finalité de la garantie l’emporte sur une stricte observance de chaque étape procédurale.
***
II. Une protection réaffirmée du droit au reclassement de l’agent
Si la cour administrative d’appel fait preuve de rigueur dans son contrôle des deux premières décisions, elle adopte une posture plus protectrice des droits de l’agente s’agissant de son aptitude. Pour confirmer l’annulation de l’arrêté du 19 juin 2020, elle procède à une requalification audacieuse de l’acte (A), ce qui lui permet de sanctionner le manquement de l’administration à son obligation de motivation dans le cadre du droit au reclassement (B).
A. La requalification de l’acte en refus implicite de reclassement
L’arrêté du 19 juin 2020 déclarait l’agente « inapte au poste d’agent de soutien logistique petite enfance et apte à suivre des actions de reconversion professionnelle ». Alors que les premiers juges l’avaient annulé en raison de l’inadéquation du poste proposé, la cour opère une substitution de motifs. Elle ne se limite pas aux termes de l’arrêté et prend en compte le contexte de son édiction, notamment le fait que l’agente avait antérieurement « demandé à être reclassée sur un poste d’assistante administrative ».
Dès lors, la cour considère que l’arrêté ne constitue pas seulement une déclaration d’inaptitude, mais doit être analysé comme « une décision de refus de reclassement, notamment sur le poste d’assistante administrative demandé par l’intéressée ». Cette requalification est déterminante, car elle déplace l’objet du contrôle du juge. Il ne s’agit plus seulement d’évaluer l’aptitude de l’agente à un poste, mais d’examiner la réponse apportée par l’administration à une demande de reclassement, laquelle ouvre des droits spécifiques à l’agent.
B. La sanction du défaut de motivation comme garantie du droit au reclassement
La conséquence de cette requalification est immédiate et radicale. Une décision qui refuse un reclassement sollicité par un agent est une décision individuelle défavorable qui refuse un avantage dont l’attribution constitue un droit. À ce titre, elle doit être motivée en application de l’article L. 211-2 du code des relations entre le public et l’administration. La cour constate qu’en l’absence de toute justification quant au rejet de la demande de l’agente, l’arrêté est entaché d’un défaut de motivation.
En faisant prévaloir cette analyse, la cour administrative d’appel réaffirme que le droit au reclassement pour un agent public déclaré inapte à ses fonctions n’est pas une simple faculté pour l’administration, mais une obligation qui s’accompagne de garanties procédurales fortes. La motivation de la décision de refus permet à l’agent de comprendre les raisons de ce refus et au juge d’exercer pleinement son contrôle sur l’étendue des recherches de reclassement effectuées par l’employeur. La portée de cette solution est significative, car elle rappelle que même face à des situations médicales complexes, l’administration reste tenue à une obligation de transparence et de diligence dans la gestion de la carrière de ses agents.