Cour d’appel administrative de Toulouse, le 3 juin 2025, n°23TL01871

L’arrêt rendu par la Cour administrative d’appel de Toulouse le 3 juin 2025 offre une illustration précise de la qualification d’accident de service pour un choc psychologique survenu dans le cadre de la fonction publique hospitalière. En l’espèce, une agente d’un centre hospitalier universitaire a déclaré un accident de service à la suite de propos dégradants tenus par un collègue. L’employeur a refusé de reconnaître l’imputabilité de l’affection au service, motivant sa décision par l’absence d’un événement précis, daté et soudain, ainsi que par le défaut de matérialité des faits. Saisi par l’agente, le tribunal administratif de Toulouse a annulé cette décision par un jugement du 25 mai 2023. Le centre hospitalier a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant notamment la dénaturation des faits par les premiers juges et demandant, à titre subsidiaire, une substitution de motifs. La Cour administrative d’appel, après avoir annulé le jugement de première instance pour une irrégularité de procédure, statue par la voie de l’évocation. La question de droit soumise aux juges d’appel consistait à déterminer si une agression verbale unique, provoquant un trouble psychologique médicalement constaté chez une agente sans antécédents, pouvait constituer un accident de service, nonobstant les arguments de l’employeur quant à l’absence de caractère suffisamment marquant de l’événement. La Cour répond par l’affirmative, considérant que l’incident constituait bien un événement soudain, précis et violent, directement à l’origine des lésions psychologiques subies par l’agente. Elle écarte par conséquent la substitution de motifs et confirme l’annulation du refus de l’administration. Cette décision, en appliquant avec rigueur les critères de l’accident de service à un préjudice psychologique (I), renforce la protection des agents publics face aux risques psychosociaux (II).

I. L’application rigoureuse des critères de l’accident de service au préjudice psychologique

La Cour fonde son raisonnement sur une analyse factuelle et juridique stricte, qui établit d’une part l’existence d’un événement certain et daté, et d’autre part le lien de causalité direct entre cet événement et la pathologie développée par l’agente.

A. La reconnaissance d’un événement certain et soudain

L’employeur public tentait de contester la qualification d’accident en arguant que l’état de santé de l’agente résultait d’une accumulation de facteurs et non d’un fait unique. La Cour rejette cette analyse en se concentrant sur les circonstances précises de la déclaration. Elle relève que l’agente « doit donc être regardée comme fondant sa déclaration d’accident sur cet événement précis », à savoir des propos spécifiques qui lui ont été adressés à une date déterminée. La juridiction d’appel prend soin de distinguer cet accident de la demande de protection fonctionnelle pour harcèlement formée par ailleurs, isolant ainsi le fait générateur de l’accident. Pour établir la réalité de cet événement, la Cour s’appuie sur des éléments de preuve concrets, notamment « le rapport de l’enquête administrative diligentée au mois de mars 2020 et des témoignages concordants d’agents alors présents ». Cette démarche démontre que la matérialité d’un fait, même de nature verbale, peut être parfaitement établie pour les besoins de la qualification d’accident de service. La Cour refuse ainsi de diluer la soudaineté de l’agression dans un contexte professionnel général, aussi dégradé soit-il, pour la retenir comme le fait déclencheur exclusif.

B. L’établissement du lien de causalité direct avec la lésion

Une fois l’événement qualifié, il appartenait à la Cour de vérifier sa connexion avec le préjudice subi. La décision s’attache à démontrer que le « choc psychologique violent et subit » est bien la cause directe de l’état dépressif de l’agente. Pour ce faire, les juges s’appuient de manière décisive sur les pièces médicales versées au dossier. Ils citent un certificat médical faisant état de l’apparition des symptômes immédiatement après l’incident, ainsi que le rapport d’un expert psychiatre. Ce dernier est particulièrement déterminant lorsqu’il souligne que l’agente « n’avait pas d’antécédent psychiatrique » et que l’incident du 4 février 2020 « semble avoir directement déclenché » les troubles anxieux et dépressifs. En combinant l’absence de prédisposition pathologique de la victime et la chronologie liant l’agression à l’apparition des symptômes, la Cour établit un lien de causalité direct et certain. La lésion psychologique est ainsi traitée avec la même objectivité qu’une blessure physique, sa réalité et son origine étant validées par une expertise médicale incontestée, confortant l’avis favorable émis par la commission de réforme.

En qualifiant ainsi les faits d’accident de service, la Cour ne se contente pas de trancher un litige individuel ; elle adresse un signal fort quant à la prise en compte des agressions verbales au travail et à l’appréciation de leur impact sur la santé des agents.

II. La portée de la décision dans la protection de l’agent public

Au-delà de sa motivation juridique classique, l’arrêt se distingue par son refus d’une appréciation subjective de la gravité de l’agression et par l’affirmation implicite de la responsabilité de l’employeur dans la préservation d’un environnement de travail sain.

A. Le rejet d’une minimisation de la violence de l’agression verbale

L’un des aspects les plus notables de la décision réside dans le traitement de la demande de substitution de motifs formulée par le centre hospitalier. L’employeur soutenait que l’incident ne présentait pas « un caractère suffisamment marquant pour être le siège d’un accident de service ». Cette argumentation invitait la Cour à se livrer à une appréciation subjective de la gravité des propos tenus. Or, la Cour refuse catégoriquement cette voie en affirmant que l’incident « présente, au regard de sa teneur […], un caractère soudain et violent, suffisamment marquant pour présenter la nature d’un accident de service ». Elle n’évalue pas l’offense selon un standard abstrait de ce qui serait tolérable, mais en fonction de son effet concret sur la victime, tel qu’il a été médicalement objectivé. En qualifiant les propos de « violents », la Cour reconnaît qu’une agression ne doit pas nécessairement être physique pour produire des effets dévastateurs. Cette position est essentielle, car elle empêche l’employeur de se faire juge de la sensibilité de ses agents et de minimiser l’impact de comportements inappropriés ou dégradants au sein de ses services.

B. La consolidation de la jurisprudence sur les risques psychosociaux

Bien que la décision se concentre sur la notion d’accident, elle s’inscrit dans un mouvement plus large de reconnaissance et de prévention des risques psychosociaux dans la fonction publique. En sanctionnant le refus de l’employeur, la Cour rappelle indirectement à ce dernier son obligation de sécurité, qui inclut la protection de la santé mentale de ses agents. Le fait que les propos aient été tenus par un collègue et aient provoqué les « rires d’un groupe d’agents » dépeint un environnement de travail où de tels comportements étaient possibles, voire tolérés. Si le juge ne se prononce pas sur le harcèlement, son analyse rigoureuse d’un événement unique comme accident de service incite les administrations à ne tolérer aucune forme d’agression. La portée de cet arrêt est donc préventive : il signifie qu’un seul dérapage verbal, s’il entraîne une lésion, suffit à engager les conséquences d’un accident du travail. Cette solution renforce la protection des agents et contribue à définir les contours d’un environnement de travail respectueux, où la violence psychologique est prise au sérieux au même titre que la violence physique.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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