Par un arrêt en date du 3 juin 2025, la cour administrative d’appel de Toulouse s’est prononcée sur la légalité d’une mesure d’obligation de quitter le territoire français, assortie d’une interdiction de retour, prise à l’encontre d’un ressortissant étranger. En l’espèce, un individu de nationalité tunisienne, entré irrégulièrement en France et ayant fait l’objet de plusieurs condamnations pénales, s’est vu notifier par le préfet du Var un arrêté l’obligeant à quitter le territoire français sans délai. Cette décision était fondée à la fois sur son entrée et son maintien irréguliers et sur la menace que sa présence constituait pour l’ordre public. L’intéressé a saisi le tribunal administratif de Nîmes d’une demande d’annulation de cet arrêté, laquelle a été rejetée. Il a alors interjeté appel de ce jugement, soulevant divers moyens de régularité et de fond, et a parallèlement sollicité le sursis à exécution de la décision de première instance. Devant la cour, le requérant soutenait notamment que le premier juge avait méconnu son office, que la décision préfectorale violait les dispositions du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, l’accord franco-tunisien ainsi que les stipulations de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales relatives au droit au respect de la vie privée et familiale. Il se posait ainsi à la cour la question de savoir si une mesure d’éloignement fondée sur une menace à l’ordre public peut être légalement édictée nonobstant l’obligation nouvelle pour l’administration de vérifier le droit au séjour de l’étranger et l’existence de liens personnels en France. La cour administrative d’appel de Toulouse rejette la requête, considérant que l’autorité préfectorale a, d’une part, correctement évalué la menace à l’ordre public et, d’autre part, procédé à un examen suffisant de la situation de l’intéressé, la mesure n’apparaissant pas disproportionnée au regard des buts poursuivis. La solution, qui confirme la primauté de la notion d’ordre public dans le contrôle de la légalité des mesures d’éloignement (I), conduit à une application rigoureuse des garanties procédurales et des droits reconnus à l’étranger (II).
I. La confirmation de la primauté de l’ordre public dans le contrôle de l’éloignement
La cour administrative d’appel fonde sa décision sur une double validation de l’action préfectorale, en confirmant d’une part l’appréciation de la menace à l’ordre public (A) et en légitimant d’autre part le refus d’appliquer les clauses de séjour de l’accord franco-tunisien (B).
A. La consécration d’une appréciation souveraine de la menace par l’autorité administrative
Le juge administratif exerce un contrôle sur la qualification de menace à l’ordre public, mais celui-ci demeure restreint à l’erreur manifeste d’appréciation. En l’espèce, la cour relève que le requérant, outre son entrée irrégulière, a fait l’objet de plusieurs condamnations pénales pour des faits de violence et de menace de mort, ainsi qu’une mise en cause pour apologie du terrorisme. Elle en déduit que « la présence de M. A… C…, qui, en outre, était entré irrégulièrement sur le territoire français, constitue une menace pour l’ordre public au vu de la réitération de faits de violence et au regard de son comportement ». En validant l’analyse du préfet, le juge confirme que la réitération de faits délictueux, même sans lien direct avec la sûreté de l’État, suffit à caractériser une menace justifiant une mesure d’éloignement.
Cette approche s’inscrit dans une jurisprudence constante qui accorde une large marge de manœuvre à l’administration pour évaluer le comportement d’un étranger en situation irrégulière. La cour écarte ainsi l’argumentation du requérant relative à une précédente décision d’acquittement, la considérant trop ancienne pour être pertinente. Le raisonnement de la cour montre que l’appréciation de la menace s’effectue au moment de la décision attaquée, en se fondant sur un faisceau d’indices concordants et récents qui témoignent d’un comportement contraire à l’ordre public.
B. L’inapplicabilité des dispositions protectrices en l’absence de justification probante
Le requérant invoquait le bénéfice des stipulations de l’article 7 ter de l’accord franco-tunisien, qui prévoit la délivrance de plein droit d’un titre de séjour pour les ressortissants tunisiens justifiant d’une résidence habituelle en France depuis plus de dix ans. L’obtention d’un tel titre ferait en effet obstacle à une mesure d’éloignement. Toutefois, la cour rejette le moyen au motif que l’intéressé n’apporte pas la preuve de la durée de sa résidence. Elle souligne qu’il « se borne à verser aux débats quelques documents médicaux ou attestations portant essentiellement sur les années 2022 à 2024, ne justifie pas résider habituellement en France depuis plus de dix ans ».
Cette solution rappelle que la charge de la preuve de la résidence habituelle et continue pèse exclusivement sur le demandeur. Le juge administratif se montre exigeant quant à la nature des pièces produites, qui doivent couvrir l’ensemble de la période requise de manière non équivoque. En l’absence de ces éléments, les dispositions protectrices d’un accord international ne peuvent être utilement invoquées. La décision de la cour illustre la rigueur avec laquelle le juge vérifie le respect des conditions d’éligibilité à un droit au séjour de plein droit, fermant ainsi la porte à une protection qui aurait pu faire échec à la mesure d’éloignement.
La validation de l’appréciation de la menace à l’ordre public et l’écartement des protections conventionnelles conduisent la cour à examiner la légalité de la mesure au regard des droits fondamentaux de l’intéressé, aboutissant à une interprétation stricte de leur portée.
II. Une interprétation rigoureuse des garanties reconnues à l’étranger
La cour administrative d’appel procède à un contrôle approfondi des garanties procédurales et des droits fondamentaux, mais en adopte une lecture qui favorise l’efficacité de la décision d’éloignement. Cela se manifeste par l’appréciation formelle de l’obligation de vérification préalable du droit au séjour (A) et par une mise en balance défavorable à l’étranger de son droit au respect de la vie privée et familiale (B).
A. La portée limitée de l’obligation de vérification du droit au séjour
Le requérant se prévalait des dispositions de l’article L. 613-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, issues d’une loi récente, qui imposent à l’autorité administrative d’édicter la décision d’éloignement « après vérification du droit au séjour ». Le législateur entendait par là consacrer une garantie substantielle pour l’étranger. La cour considère cependant que cette obligation a été remplie en l’espèce, dès lors que le préfet a examiné les éléments de la situation personnelle de l’intéressé. Elle juge que « son droit au séjour a été examiné au préalable de sorte que M. A… C… a donc bénéficié de la garantie ».
L’arrêt suggère qu’une mention dans les motifs de la décision préfectorale, indiquant la prise en compte de la durée de présence et des liens de l’étranger en France, suffit à satisfaire à cette nouvelle exigence légale. La cour n’exige pas une recherche active par le préfet d’un éventuel droit au séjour, notamment pour raisons de santé, estimant que le requérant n’avait pas apporté d’éléments suffisamment précis à ce sujet. Cette interprétation pragmatique réduit la portée de la garantie à un contrôle formel, laissant intact le pouvoir d’appréciation du préfet, surtout lorsque des considérations d’ordre public sont en jeu.
B. La prévalence des motifs d’ordre public sur le droit à la vie privée et familiale
Le requérant invoquait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale, protégé par l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. La cour procède à la mise en balance des intérêts en présence, mais conclut que la mesure est justifiée. Elle retient que « compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’espèce, en particulier des conditions d’entrée et de séjour de l’intéressé, des motifs d’ordre public qui fondent la mesure d’éloignement, et en l’absence de motifs exceptionnels particuliers, le préfet du Var n’a pas porté au droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts poursuivis ».
L’analyse de la cour met en exergue le poids déterminant de la menace à l’ordre public dans cette balance. La précarité du séjour, l’entrée irrégulière et surtout le comportement délictueux de l’intéressé l’emportent sur la réalité de ses liens en France, que la cour juge par ailleurs insuffisamment établis. Cette décision confirme une jurisprudence bien établie selon laquelle le droit à la vie privée et familiale n’est pas absolu et peut être restreint pour des motifs légitimes de défense de l’ordre et de prévention des infractions pénales. En présence d’un étranger dont le comportement est jugé dangereux, l’ingérence de l’autorité publique est presque systématiquement considérée comme nécessaire et proportionnée.